COP26: quel est l'agenda de la Russie?

Sciences & Tech
MARIA STAMBLER
Que peut apporter la Russie – quatrième émetteur mondial de gaz à effet de serre – à la table du sommet de la COP26 de Glasgow, dont l’objectif est d’éviter au monde une catastrophe climatique?

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La Russie a contribué à hauteur de 6,9% aux émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2) depuis 1850, selon une nouvelle analyse d'experts du site web d'analyse climatique Carbon Brief.

Si cela peut sembler peu, les données de l'Union of Concerned Scientists mettent les choses en perspective : la Russie est quatrième au monde en termes d’émissions annuelles de carbone et, si l'on tient compte des émissions globales depuis la période préindustrielle, la Russie passe à la troisième place, derrière les États-Unis et la Chine.

Heureusement, le pays commence à prendre conscience des réalités du changement climatique. Dans son discours vidéo au sommet du G20 à Rome, le président Poutine a affirmé que la Russie réduisait ses émissions de gaz à effet de serre plus rapidement que les pays du G7.

Cependant, un optimisme prudent est de rigueur, car le pays prévoit d’atteindre ses objectifs climatiques en comptant sur ses forêts et ses marécages pour absorber suffisamment de gaz à effet de serre, tout en continuant à augmenter ses émissions de carbone jusqu'en 2050, a rapporté le quotidien économique Kommersant, citant le Projet de stratégie du ministère du Développement économique.

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Que propose la Russie à la COP26 ?

La délégation russe est dirigée par le vice-premier ministre Alexeï Overtchouk. Il est accompagné par :

Maxime Reсhetnikov (ministre du Développement économique),

Alexandre Kozlov (ministre des Ressources naturelles et de l'Écologie),

Rouslan Edelgueriev (Envoyé spécial du président pour le changement climatique),

et Anatoli Tchoubaïs (Envoyé spécial du président de la Fédération de Russie pour les relations avec les organisations internationales).

Le président Poutine s'est exprimé lors du sommet par liaison vidéo.

De par sa nature, le sommet de Glasgow ressemble à l'Accord de Paris - c'est un accord financier, on y parlera d'argent, pas d'émissions, rappelle Alexeï Kokorine, responsable du programme Climat et énergie de WWF Russie.

« Les résultats de ces sommets visent à sécuriser l'aide aux pays à faible revenu et vulnérables, nous avons donc deux groupes de pays : environ 50 pays développés qui sont obligés de fournir de l'aide et environ 100 à 120 bénéficiaires. Enfin, il existe un très petit groupe de pays qui ne reçoivent pas d'aide et pourraient fournir de petites sommes d'aide sur une base volontaire. La Russie fait partie de ce troisième groupe. Donc, nous devons comprendre que les principaux objectifs et résultats du sommet ne sont pas axés sur la Russie, il n'y a aucun avantage économique à en retirer pour elle. Nous participons à ces réunions pour montrer notre solidarité, notre caractère progressiste, etc. La Russie participe à l'élaboration de documents techniques pour des projets internationaux, car certains de ces projets pourraient également avoir lieu sur le territoire de notre pays. Mais dans l'ensemble, ce sommet n'est pas pour la Russie », ajoute Kokorine.

Par exemple, l'un des premiers accords majeurs de la COP26 a vu plus de 100 dirigeants mondiaux s’engager à mettre fin et à inverser la déforestation d'ici 2030 ; l'engagement comprend près de 19,2 milliards de dollars de fonds publics et privés. Mais ces fonds seront alloués aux forêts tropicales humides. Pour la Russie, cet engagement est simplement « quelque chose d'agréable, car sauver les forêts tropicales est une bonne cause », selon Kokorine.

Les autres grandes questions de la conférence porteront sur ce qui a été fait depuis 2015, date de la signature de l'Accord de Paris sur le climat. On cherchera en outre à savoir si le monde a réussi à éviter la catastrophe.

« Nous avons déjà la réponse à cela ; le secrétaire général de l'Onu António Guterres et Greta Thunberg disent que très peu a été fait et que nous sommes maintenant au point de non-retour », a déclaré Mikhaïl Kanichtchev, directeur de l'ANSELM, un organisme de recherche scientifique  axé sur l'amélioration de l'efficacité énergétique et la réduction des émissions.

La Russie doit encore présenter une stratégie ambitieuse actualisée pour lutter contre le changement climatique, comme cela était requis en vue du sommet de la COP26. Cependant, sur la base des déclarations des membres de la délégation russe et de plusieurs experts de l'énergie et du changement climatique, certains sujets figurent en tête de l'agenda de la Russie cette année. La Russie profitera de la COP26 pour promouvoir ses ressources énergétiques et ses initiatives énergétiques en les présentant comme « vertes ».

Selon Kanichtchev, la Russie a ses propres priorités nationales, qui façonnent son agenda lors de la Conférence des Parties (COP) de cette année, la première étant la reconnaissance des énergies nucléaire et hydraulique comme énergies « vertes ». La Russie est un leader dans la construction de centrales nucléaires, ainsi, la reconnaissance et l'acceptation de l'énergie nucléaire à faible émission de carbone donnera au pays carte blanche pour la construction de centrales dans le monde entier ; c'est l'occasion de renforcer considérablement ses revenus pour de nombreuses années à venir.

Deuxième sujet important, la disposition de la Russie à prendre en compte les projets de séquestration dans le cadre de la régulation transfrontalière sur le carbone et, de manière générale, la volonté de créer un système unifié d'échange de quotas d’émission – sinon à l'échelle mondiale, du moins en Europe. Kozlov a déclaré à Reuters qu’à Glasgow, la délégation demanderait un rapport complet sur la capacité d'absorption des forêts russes (1,2 milliard de tonnes par an, dont la moitié est perdue en raison des incendies et de l'exploitation forestière).

« Il peut y avoir des problèmes avec cette initiative, explique Kanichtchev. Les Européens eux-mêmes n'ont pas encore compris la capacité d'absorption des forêts et comment en rendre compte ; ils ne sont pas prêts à négocier avec nous [la Russie] et à réduire les paiements potentiels à leurs budgets dans le cadre de la réglementation carbone transfrontalière. »

L'autre grande ambition de la Russie à la COP26 est la levée des sanctions. Kanichtchev pense que les discussions sur l'arrêt et l'inversion du changement climatique peuvent donner à la Russie un atout pour défendre la position selon laquelle les projets « verts » devraient être exemptés de sanctions et avoir accès à la finance et à la technologie vertes. Avant de partir pour Glasgow, Rouslan Edelgueriev n'a pas exclu qu'il soulèverait la question de la levée des sanctions sur les projets « verts ».

« Après tout, face à une catastrophe, il est plus facile de donner aux entreprises russes des technologies qui réduiront leur impact sur la nature et leur fourniront de l'argent bon marché pour permettre la mise en œuvre de ces projets – c’est essentiellement une démarche gagnant-gagnant », a déclaré Kanichtchev.

Cependant, Kokorine est sceptique à cet égard. Si la Russie améliore son image grâce à la conférence, cela pourrait avoir un impact sur la levée des sanctions, mais c'est quelque chose de si indirect et hypothétique qu'il est peu probable que cela se produise. Cela dit, l'expert estime que « la délégation russe a bien l'objectif affiché de faire une impression aussi bonne que possible sur les autres pays pour permettre à nos amis d'insister plus facilement sur la levée des sanctions. Par exemple, l'Italie insiste pour lever les sanctions, alors maintenant Rome peut dire : regardez, la Russie est plus verte maintenant ».

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Nous sommes ce que nous construisons

Alors que l'industrie, les transports et l'agriculture sont les « coupables » les plus cités en matière de changement climatique, à l'échelle mondiale, le secteur de la construction est responsable d'environ 40 % des émissions ; en Russie, 21 % des émissions totales de CO2 liées à l'énergie provenaient du secteur de la construction.

Pour cette raison, les bâtiments et l'environnement bâti occupent une place de choix dans l'agenda environnemental, aux côtés des énergies renouvelables et de la déforestation. Dans cette édition de la COP, le dernier jour sera la Journée villes, régions et environnement bâti, avec un pavillon virtuel « Construire mieux maintenant » ouvert tout au long du sommet.

En janvier 2019, il y avait 21 432 000 bâtiments résidentiels en Russie et sur ce nombre, 17 213 000 ont été inaugurés avant 1995, sans tenir compte des exigences réglementaires actuelles en matière d'économie d'énergie dans les bâtiments, explique Konstantin Borissov, chercheur principal au Centre pour l’efficacité énergétique au XXIe Siècle (CENEF).

« Les bâtiments qui ont été rendus opérationnels avant l'établissement des exigences réglementaires actuelles en matière d'économie d'énergie sont les principales causes de la consommation élevée de combustibles et de ressources énergétiques ainsi que des émissions de gaz à effet de serre », ajoute Borissov.

Selon les estimations des experts, entre 2018-2050, les émissions de gaz à effet de serre provenant des bâtiments peuvent être réduites de 24 % d'ici 2030 et de 33 % d'ici 2050 (les niveaux de 2018 servant de référence). Borissov note que des progrès sont déjà visibles, car les chiffres pour la période 2000-2018 indiquent une certaine amélioration en ce qui concerne la consommation de carburant et d'énergie et les émissions de GES liées à l'énergie.

Un potentiel aussi important de réduction des émissions de GES dans le secteur du bâtiment et de la construction en Russie peut apporter une contribution considérable à la lutte contre le changement climatique. Malgré toutes les recherches pointant la nécessité de s'attaquer à ce secteur polluant et vorace en énergie, il ne semble pas être à l'ordre du jour de la Russie à la COP26.

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Ce qui est en jeu pour la Russie

La Russie se réchauffe 2,5 fois plus vite que le reste de la planète et ses régions arctiques se réchauffent particulièrement vite, a déclaré le président russe Vladimir Poutine dans son discours vidéo au sommet du G20. Rien qu'au cours de la dernière décennie, a-t-il ajouté, la température annuelle moyenne en Russie a augmenté d'environ 0,5 degré Celsius – et à mesure que la crise climatique s'intensifie, la Russie est confrontée à de multiples menaces, notamment la désertification, l'érosion des sols et la fonte du pergélisol. Le sud et l'est de la Russie sont particulièrement vulnérables face à de telles menaces.

Le ministère des Ressources naturelles énumère les conséquences possibles du changement climatique, et la liste est longue : « Les bâtiments, routes et autres infrastructures se détérioreront plus rapidement à cause des déformations liées à la température et à l'humidité… Des précipitations plus intenses rendent plus probables les crues des rivières et les torrents de boue, ce qui peut conduire à des inondations et à la destruction des infrastructures côtières. »

De plus, la Russie perd environ 4 à 6 % de son PIB chaque année en raison de catastrophes environnementales.

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