Comment vit-on à Anadyr, le coin le plus reculé de la Russie?

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ANNA SOROKINA
Ici, il fait froid, tout est loin, la nourriture et l’immobilier sont hors de prix. Pourquoi les gens déménagent-ils donc dans la capitale de la Tchoukotka?

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Lorsque l’on part à destination de cette petite ville au climat extrême et située au bout du monde, l‘on s’attend à tout sauf à la réalité. Et la réalité est qu’aujourd’hui Anadyr peut prétendre au titre de ville la plus colorée de Russie. Ici, quasiment chaque édifice est décoré d’une peinture murale. Voici des morses curieux qui observent les passants, et un renne géant qui fait un clin d’œil depuis un autre immeuble. Dans cette ville aux rues sinueuses et assez confortables, l‘on peut trouver un cinéma, un club de sport, et plein de parcs pour enfants avec des sculptures d’animaux arctiques.

Les prix – un art à part entière

Il y a plus de 8h de vol entre Moscou et Anadyr, la capitale du District autonome de Tchoukotka. C’est la ville la plus à l’est de la Russie et de l’Eurasie, après elle – quelques petits villages et la toundra sans fin. La cité est très reculée de toutes autres agglomérations, par conséquent tous les produits importés ici prennent beaucoup de valeur. Il n’est ainsi pas surprenant qu’Anadyr, peuplée d’environ 13 000 personnes, s’impose comme l’une des villes les plus chères du pays.

Les prix dans les magasins locaux sont un vrai choc pour les visiteurs. Une brique de lait coûte environ 3 à 4 fois plus cher qu’en moyenne en Russie, les fruits et légumes frais – 4 à 5 fois.

Et ces prix-là sont estivaux, c’est donc encore plus cher en hiver.

Comme disent les habitants – les prix sont une sorte d’attraction touristique.

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Ce coût élevé des produits du quotidien est dû au fait qu’ils sont amenés à Anadyr par bateau, quand il fait beau seulement (ce qui arrive rarement). En raison des conditions géographiques et climatiques, il n’y a ici ni voies ferrées (la station la plus proche est à environ 2 000 kilomètres), ni routes pour les voitures (seulement les dits « zimniki » (dérivé du mot hiver), qui sont des routes en-dehors de la ville que l’on ne peut emprunter qu’en tout-terrain). L‘on pourrait, bien sûr, utiliser l’avion, mais ce serait encore plus cher.

La navigation d’approvisionnement se déroule à Anadyr de mi-juin jusqu’à début-novembre environ et dépend de la météo. Les produits sont chargés à Vladivostok sur un grand ferry qui parcourt ensuite la distance de 3 700 km en un mois. D’abord, il part vers Anadyr, puis vers d’autres communes de la Tchoukotka. En un été, il réalise plusieurs trajets.

L’entretien et les livraisons des magasins sont gérés par des entrepreneurs locaux qui sont indemnisés par le gouvernement. Sans cela, le business se serait retrouvé déficitaire et personne n’aurait voulu le faire tourner.

La production locale existe aussi en Tchoukotka, et les prix sont nettement moins importants que pour le reste, comparables à la moyenne russe. Les habitants d’Anadyr fabriquent par exemple leur propre pain (à partir de farine importée, bien sûr), de la viande de renne, du saumon nerka et des plantes cultivées dans des serres en été. Les entrepreneurs locaux tentent de développer le marché des serres pour cultiver des tomates et des concombres accessibles toute l’année, mais ils n’en sont qu’à leurs débuts.

Le coût de la vie élevé à Anadyr ne s’arrête pas qu’aux produits. Tout type de logement est aussi très cher. Une simple chambre d’hôtel dans cette ville de province reculée vous coûtera autant qu’un hôtel quatre étoiles à Moscou (10 000 roubles la nuit, soit environ 160 euros). Le prix d’un appartement une pièce dans une khrouchtchevka d’Anadyr est comparable à celui de Moscou (à partir de 7 millions de roubles, soit environ 115 000 euros).

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Malgré les difficultés décrites ci-haut, beaucoup de jeunes spécialistes viennent à Anadyr, comme en Tchoukotka en général. La ville est adaptée à la vie des enfants, mais peu de retraités y résident.

Romantisme du nord, ou l’Anadyr des Soviets

Anadyr a été fondée en 1889 (jusqu’en 1934, la ville portait le nom de Novo-Mariinsk). À l‘ère soviétique, son infrastructure a bénéficié d’énormes investissements étatiques. La raison ? Son emplacement – la ville se trouve en effet près de la frontière maritime avec les États-Unis et, de ce fait, avait été placée en état d’alerte. D’autre part, des gisements d’or et d’argent y ont été mis au jour à la fin des années 1950, donc il y avait assez de travail. Habiter dans le Nord était toujours cher, mais au temps de l’URSS, cela était simplement compensé par les énormes salaires et avantages, comme une retraite plus rapide – c’est ce que l‘on surnommait « partir en quête du rouble long ».

Anadyr n’a jamais été une mégapole. C’est en 1989 qu’elle a connu son pic – 17 000 habitants –, mais à cause de la crise liée à la chute de l’URSS, pendant la décennie qui a suivi, la ville a été délaissée par un tiers des habitants, si ce n’est plus (partout en Tchoukotka, le nombre d’habitants s’est réduit d’un tiers). Beaucoup ont vendu leurs appartements à des prix de billets d’avion pour Moscou, tellement tout allait mal.

Au début des années 2000, les gens ont toutefois commencé à revenir. Selon leurs dires, cela s’est produit grâce, notamment, au gouverneur de la Tchoukotka de l’époque, le désormais célèbre businessman Roman Abramovitch (il a occupé ce poste entre 2001 et 2008). Selon les médias d’alors, il a investi en payant notamment de sa poche l’impôt sur les revenus des locaux, ce qui revient à des millions de dollars.

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Il a payé les arriérés des salaires, s’est mis à développer de nouvelles entreprises, et a entre autres mis de l’ordre dans certaines communes de la région. La Tchoukotka s’est transformée en un grand chantier. Les habitants se souviennent chaleureusement de l’ancien gouverneur, car, grâce à son aide, une région autrefois dépressive est redevenue non-pas florissante, mais a au moins cessé de mourir. Par-dessus tout, aujourd’hui, Anadyr est de nouveau une ville où un spécialiste peut partir en quête de ce « rouble long ».  

La vie en Tchoukotka

Angela est arrivée depuis le sud de la Russie et travaille en tant que vendeuse dans un magasin. Sauf qu’ici, elle touche un salaire deux fois plus important que chez elle. « Louer un appartement ici est, bien sûr, en comparaison avec ma ville natale, très cher, je n’ai pu trouver qu’un T2 à 30 000 roubles (environ 500 euros). Peu de nouveaux logements sont construits, donc le nombre d’habitants ne change pas vraiment ».

En Tchoukotka même, les gens travaillent, la plupart du temps, dans les industries extractives et les mines d’or – environ 10% de l’or russe vient justement d’ici. Et à Anadyr, il n’y a pas de production, alors les habitants travaillent en tant que professeurs, médecins, ou dans des bureaux. Des spécialistes viennent également ici pour entretenir le port et l’aéroport.

Beaucoup de travaux sont proposés en roulement, quand après plusieurs semaines l‘on peut retourner chez soi, puis revenir. À part le salaire, dans la plupart des cas, l’employeur paie aussi le logement et le transport. Une fois tous les deux ans, des vacances sont offertes aux employés au frais de l’entreprise, n’importe où en Russie. D’autre part, dans certains secteurs, l’âge de la retraite est diminué. La retraite en elle-même est ici 1,5 fois plus importante que dans les autres régions de Russie. En général, les gens viennent ici pour travailler pendant quelques années, économisent pour un appartement ou une maison chez eux et repartent.

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En Tchoukotka, le climat subarctique est plutôt rude (quasiment toute l’année est occupée par l’hiver, l’été est court et froid), soufflent d’horribles vents et le Soleil se fait discret. Pourtant, les personnes qui viennent ici y voient quelque chose de romantique.

« J’ai vécu sans neige pendant 25 ans de ma vie, j’ai pour la première fois senti le froid en Tchoukotka, raconte Mourfet, qui est venu depuis la Sibérie et travaille dans le domaine des transports. Avant, c’était une ville fermée. Je ne savais pas où j’allais. D’abord, ce fût un choc. Les rues avaient l’air de dater du siècle dernier, Puis j’y suis retourné quelques fois, en vacances, et j’ai compris que je me repose ici, sans les problèmes urbains ». Il est venu à Anadyr en 2007 pour le travail, et a décidé de rester y vivre. « Le plus important ici – c’est le temps. On vit ici. On a du temps pour lire, pour soi, sa famille. On se parle beaucoup entre nous, on a beaucoup d’amis, pas d’abonnés, mais de vrais amis ».

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