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« La maison impériale [russe] a mis fin à son existence en 2007, lorsque la dernière représentante de la lignée Romanov, qui avait le statut absolument incontestable de membre de la famille impériale, est décédée à Montevideo [capitale de l’Uruguay]. C'était la princesse de sang impérial Catherine Ivanovna. Il n’existe plus aucune maison impériale », déclare le docteur en histoire Evgueni Ptchelov, l'un des principaux experts de la dynastie Romanov.
Pourtant, l’on trouve encore des individus se prétendant « héritiers des Romanov » et rêvant même de faire revivre la monarchie en Russie. C'est grâce à leurs efforts que le mariage qui s'est tenu à la cathédrale Saint-Isaac de Saint-Pétersbourg le 1er octobre a été couvert par les médias russes et occidentaux comme le « mariage de l'héritier du trône russe ».
Pourquoi le trône impérial n'existe-t-il plus en Russie ?
« J'aime beaucoup la Russie », a déclaré Rebecca Bettarini dans une interview après ses fiançailles avec Georges Romanov, qui se sont déroulées au monastère Ipatiev de Kostroma. « Nous espérons visiter davantage la Russie ensemble », a ajouté son promis.
Ces phrases, prononcées dans un russe particulièrement bancal, ne sont pas surprenantes, car le couple a été élevé dans des familles qui ne parlaient pas cette langue. Malgré cela, de nombreux correspondants des médias russes et étrangers lors de la visite du couple en Russie les ont appelés « majestés », tandis que Georges Romanov a été qualifié de « grand-duc » et « héritier ».
Georges et sa mère Maria ont obtenu la citoyenneté russe en 1991 sur décision du président de l'époque, Boris Eltsine. Avant d'obtenir un passeport russe, Georges avait pour nom de famille von Hohenzollern, car il est un descendant de la maison dynastique prussienne et le fils du prince Franz Wilhelm de Prusse. Son arrière-arrière-grand-père, l'empereur allemand Guillaume II, avait autrefois déclaré la guerre à l'Empire russe – la Première Guerre mondiale. Son grand-père paternel, le prince Karl Franz de Prusse, a quant à lui servi dans la Wehrmacht pendant la Seconde Guerre mondiale et a été décoré de la Croix de fer.
Alexandre Zakatov, directeur du bureau de l'organisation à but non lucratif qui se fait appeler Maison impériale de Russie (une organisation regroupant les descendants du cousin de Nicolas II, Cyrille de Russie, à laquelle appartiennent Georges et sa mère Maria), a déclaré à la chaîne de télévision Rossia 24 : « La succession ne se poursuit pas dans le sens d’une prétention au pouvoir, mais dans le sens où si le peuple veut un jour restaurer la monarchie, alors il pourra le faire dans le respect de toutes les traditions, de tout le parcours historique ». Cependant, les traditions constituent justement ici le plus gros problème.
Ivan Matveïev, historien de la dynastie Romanov, souligne qu'il n'y a plus d'héritiers au trône : « Tout cela est de l'histoire. Nous devons maintenant l'étudier, l'analyser – mais c'est déjà du passé ». En effet, la loi de 1797 sur la succession au trône et les autres lois de l'Empire russe ont perdu toute valeur juridique il y a déjà plus de 100 ans.
En outre, le 2 mars 1917, l'empereur Nicolas II a abdiqué en faveur de son frère, le grand-duc Michel. Le lendemain, après avoir consulté son entourage, celui-ci a cependant signé un acte de non-acceptation du trône. Selon ce document, la dynastie Romanov ne pouvait être restaurée qu'après la formation d'une Assemblée constitutionnelle qui approuverait le retour de la monarchie. Le 4 mars 1917, le pouvoir en Russie est ensuite passé au Gouvernement provisoire. Bien qu'une Assemblée constitutionnelle ait bien été formée par la suite, elle n'a pris aucune décision pour restaurer la monarchie, et le pouvoir dans le pays est passé aux bolcheviks, dirigés par Vladimir Lénine. Le concept de « trône impérial » n'existe ainsi plus en Russie depuis le 3 mars 1917.
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Une fausse couronne sur la tête
Pourquoi, alors, Georges se proclame-t-il grand-duc et héritier du trône ? Sa mère, Maria, est la petite-fille du grand-duc Cyrille, cousin de Nicolas II, qui a soutenu la révolution en février 1917 en arborant un nœud rouge et en mettant personnellement l'équipage de la Garde, se trouvant sous son commandement, à la disposition de Mikhaïl Rodzianko, président de la Douma d'État. Par la suite, les marins de l'équipage de la Garde ont occupé les gares de Tsarskoïé Selo et de Nikolaïevsk (respectivement les actuelles gares de Vitebsk et de Moscou, à Saint-Pétersbourg) pour empêcher les troupes loyales à Nicolas II d'atteindre la capitale impériale, accélérant ainsi indirectement la chute de la monarchie en Russie.
Le 31 août 1924, plus de sept ans après la chute de la monarchie en Russie, Cyrille s’est toutefois déclaré empereur de toute la Russie sous le nom de Cyrille Ier. À l'époque, ce fait a été contesté par la plupart des descendants survivants de la dynastie Romanov. Malgré cela, le fils de Cyrille, le prince de sang impérial Vladimir, bien qu'il ne se soit pas déclaré empereur, a de son côté utilisé le titre de « Son Altesse Souveraine Impériale le Grand-Duc » et se considérait comme le chef de la maison Romanov.
En 1948, Vladimir a épousé Leonida, la fille du prince Georges Bagration-Moukhranski, membre de la dynastie géorgienne devenue sujet de l'Empire russe au début du XIXe siècle. La fille issue de ce mariage, Maria, a quant à elle épousé le prince Franz Wilhelm de Prusse à Madrid en 1976. En 1981, Georges est né de cette union.
En 1989, Vladimir a proclamé sa fille Maria héritière du trône de Russie, avant de décéder en 1992. Après la mort de son père, Maria a publié un « Manifeste sur la réception de la Primauté au sein de la Maison impériale russe » dans lequel elle déclarait son fils Georges héritier, tsarévitch. Les actions de Maria ont provoqué à plusieurs reprises des réactions indignées de la part des descendants de l'aristocratie russe. Par exemple, Piotr Cheremetiev, un descendant de la célèbre famille du comte du même nom, a déclaré sans ambages dans une interview accordée à la chaîne Rossia 24 : « Elle se rend à des soirées avec une couronne "impériale" sur la tête ! C'est tellement laid et vulgaire ! Comment peut-on aller à un bal avec une fausse couronne ? Ce sont des escrocs ».
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« Le mariage du siècle »
Georges et Rebecca se sont mariés à la cathédrale Saint-Isaac de Saint-Pétersbourg le 1er octobre. Il n'a pas été nécessaire d'obtenir de permis spécial – l'organisation d'une cérémonie coûte à partir de 20 000 roubles (239 euros). Notons aussi que les représentants de la dynastie Romanov ne se sont jamais mariés à la cathédrale Saint-Isaac – c'est là que se trouvait autrefois l'église Saint-Isaac le Dalmate, où Pierre le Grand a épousé Catherine Iʳᵉ, et ce, en 1712, soit bien avant la construction de l’actuelle cathédrale, consacrée en 1858. Plus tard, les mariages des membres de la famille impériale se tenaient dans la Grande église du palais d'Hiver.
Les articles dédiés au récent mariage sont par ailleurs truffés d'erreurs, notamment la référence au « premier mariage de descendants Romanov sur le sol russe depuis 120 ans ». Même une publication comme le New York Times n'a pas échappé à cette regrettable déclaration. Or, comme l'indique Ivan Matveïev, entre la révolution de février 1917 et l'émigration du dernier membre de la famille impériale en juillet 1920, six mariages Romanov ont été célébrés dans le pays. Qui plus est, Georges et Rebecca ne sont même pas les premiers descendants des Romanov à s’être unis en Russie après l'effondrement de l'URSS. Le premier est le prince Dimitri (1926-2016), qui a épousé la comtesse Dorrit Reventlow (née en 1942) à Kostroma le 28 juillet 1993. Dimitri lui-même, dernier représentant de la branche des descendants de Nicolas II, était un opposant à la restauration de la monarchie et estimait que la Russie « devait avoir un président démocratiquement élu ». Par ailleurs, la dernière dame de la famille impériale, mentionnée par Evgueni Ptchelov, la princesse Catherine, a signé une renonciation à tout droit au trône de Russie en 1937 avant d'épouser le marquis italien Ruggero Farace di Villaforesta.
La simple énumération des circonstances du mariage de Georges et Rebecca, réalisée par Ivan Matveïev, se passeront probablement de tout commentaire. Aucun personnage officiel n'a assisté au mariage, ni le gouverneur de Saint-Pétersbourg, Alexandre Beglov, ni la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova. Il n'y a pas eu de message de félicitations du président russe Vladimir Poutine. Pas une seule chaîne de télévision russe n'a retransmis la cérémonie, pas même la chaîne patriotique orthodoxe Tsargrad, dont le fondateur, l'homme d'affaires Konstantin Malofeïev, est pourtant favorable à la branche des descendants de Cyrille et soutient activement sa cause.
L'absence au mariage du père biologique du marié, le prince Franz Wilhelm de Prusse, était frappante. Sur les plus de 400 évêques de l'Église orthodoxe russe, seuls sept y ont assisté. Il est d'autant plus révélateur que lors de la cérémonie de mariage proprement dite, les noms des mariés ont été annoncés selon la formule habituelle : « Ô serviteur de Dieu, Georges, et servante de Dieu, Victoria », sans aucun titre, démontrant ainsi au public que l'Église orthodoxe russe, qui honore la mémoire du tsar Nicolas II et de sa famille, canonisés en martyrs, ne considérait pas possible de nommer ce couple selon des titres inexistants.
Des épisodes complètement inexplicables ont en outre été constatés ce jour-là. Le plus étrange est peut-être le fait que la traîne de la mariée portait l'image d'un aigle bicéphale, qui traînait sur le sol de la cathédrale pendant la cérémonie – un affront inconditionnel à la dignité et à la mémoire de l'Empire russe et de la dynastie Romanov. Lors du buffet qui a suivi, les mariés ont crânement et démonstrativement bu de la vodka sous les objectifs des caméras. Rien de tel ne s'est jamais produit ou n’aurait pu se produire à aucun mariage impérial dans l'histoire de la Russie. Une princesse qui aurait bu de la vodka aurait été immédiatement exposée comme un membre du bas peuple, tandis qu'un prince pouvait probablement en prendre un verre, mais uniquement dans le cadre d’un cercle masculin et certainement pas le jour de son mariage, immédiatement après la cérémonie. Ce petit détail montre le peu de connaissance que les participants et les organisateurs de la cérémonie ont des traditions de la Russie tsariste, et où les a menés leur désir obsessionnel d'« être Russes ».
Après le mariage, le couple, sortant de la cathédrale Saint-Isaac, a été accueilli par une garde d'honneur avec des sabres levés. « L'arche de sabres » est une tradition spécifique adoptée par les militaires britanniques et américains lors des mariages militaires. Georges, quant à lui, n'a pas servi dans l’armée et n'a pas de grade militaire. Selon la chaîne Telegram Mash na Moïke, basée à Saint-Pétersbourg, le bureau du procureur militaire de la Fédération de Russie vérifie actuellement la légalité de la participation des militaires à cet événement : les soldats « ont été rapidement et presque par hasard coordonnés pour s'y rendre ».
La cérémonie ne peut par conséquent être décrite que comme une farce, un bricolage de traditions nuptiales et monarchistes, oubliées et déformées même par ceux qui ont assisté au mariage et qui se considèrent comme les héritiers de ces traditions.
« Le plus triste, souligne l'historien Evgueni Ptchelov, est que ces personnes sont totalement dépourvues d'une estime de soi adéquate et ne font que faire rire tout le monde autour d'elles par leur apparence et leur comportement, mettant ainsi sous un jour indécent les Romanov et la Russie historique, au nom de laquelle ils tentent de parler ».
Note : Dans un précédent article, se référant à des publications de médias tiers, la rédaction de Russia Beyond avait elle-même commis l’erreur concernant l’absence de tout mariage Romanov sur le sol russe depuis plus d’un siècle. Nous en excusant, nous corrigeons cela par la présente analyse de cet événement.
Dans cet autre article, admirez les plus fastueux mariages impériaux de Russie au travers de sublimes images.