Pays de grandes distances et d'hivers «chauds»: après un an en Russie, une Française témoigne

Alexander Kislov
Dans le cadre de ses études, Marine s'est envolée pour Ekaterinbourg, cité de 1,5 million d'habitants s'imposant comme la capitale de l'Oural. La jeune femme s'est alors immergée dans le quotidien authentique d'une ville provinciale russe, détruisant au passage quelques idées préconçues sur le pays.

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« Ça sonne bien », telle a en effet été ma motivation pour apprendre le russe et en 2018 cette décision m’a conduite en échange universitaire à Ekaterinbourg, ville considérée comme la capitale de l’Oural. C’est ainsi que je me suis élancée à la découverte de ce pays si vaste et de sa culture. En arrivant de nuit, par une température avoisinant les 0°C, et en voyant les grands bâtiments industriels aux alentours de la ville où je m’apprêtais à passer les prochains 10 mois, j’ai pensé qu’elle correspondait aux clichés qui existent sur la Russie. Or, à la fin de mon séjour, les stéréotypes que j’avais ont disparu et j’ai découvert une tout autre facette de ce pays, et son peuple me semble bien moins mystérieux.     

C’est un pays d’une très grande diversité. Je n’ai pour l’instant eu l’occasion de me rendre qu’à Saint-Pétersbourg, Ekaterinbourg et Kazan, mais j’ai déjà pu constater les différences entre ces trois villes.

Mosquée Qolsharif, Kremlin de Kazan

Dans la capitale de la République du Tatarstan, Kazan, la cohabitation entre de nombreuses religions est marquante. Ainsi, son kremlin abrite entre autres la cathédrale de l'Annonciation et la mosquée Qolsharif, situées à quelques centaines de mètres l’une de l’autre. Dans la ville, on trouve également le Temple de toutes les religions, composé notamment d’une église orthodoxe, d’une mosquée et d’une synagogue, mais dont l’architecture porte également des empreintes bouddhistes et d’autres croyances. 

Saint-Pétersbourg et Ekaterinbourg ne sont pas en reste concernant les lieux de culte : dans la capitale dite du Nord, on peut notamment citer les imposantes cathédrales Saint-Sauveur-sur-le-Sang-Versé, Pierre et Paul et Notre-Dame-de-Kazan, et à Ekaterinbourg, ce sont l'église de Tous-les-Saints et celle de Maximilian (ou Bolchoï Zlatoust), ou encore le site de Ganina Yama, qui valent le détour. D’ailleurs, en dépit de l’abondance des églises j’ai l’impression que la perception de la religion varie elle aussi d’une ville à l’autre. Ainsi, d’après mes observations, elle est plus présente dans la vie des habitants d’Ekaterinbourg, où à de très nombreuses reprises j’ai vu des passants se signer en passant devant les cathédrales orthodoxes, ce que je n’ai pas remarqué à Saint-Pétersbourg.  

Ganina Yama

La nourriture est également très différente entre Saint-Pétersbourg et Ekaterinbourg d’un côté, et Kazan de l’autre. Au Tatarstan, il existe de nombreux plats locaux que l’on ne trouve dans le reste de la Russie que dans les restaurants spécialisés, comme les qistibi (chaussons), peremech (beignets) ou le tchak-tchak (délicieux dessert fait de pâte et de miel).

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Enfin, les langues locales et russe cohabitent : ainsi à Kazan les menus dans les restaurants et certains panneaux de signalisation sont écrits tant en tatar qu’en russe, et il n’est pas rare d’entendre les gens passer de l’un à l’autre sans aucune difficulté.

La Russie mesure 25 fois la taille de la France, pour seulement un peu plus du double en population. Tout y est donc beaucoup plus grand, beaucoup plus vaste, et ça peut nous paraître démesuré. Ces dimensions gigantesques m’ont impressionnée dès mon arrivée : il y a un métro à l’intérieur de l’aéroport Cheremetievo de Moscou, tant il est immense ! De plus, les bâtiments de 15 étages ne sont pas rares à Ekaterinbourg (la ville abrite d’ailleurs les tours Vyssotski et Isset, plus hauts gratte-ciels russes en dehors de Moscou et Saint-Pétersbourg), et la plus grande rue de la ville, celle du 8 mars, mesure 6,5 kilomètres.

Vue sur Ekaterinbourg depuis le 52ème étage de la tour Vysotsky

La notion des distances est également différente chez la population : d’après mon copain russe, un trajet en voiture de 6 heures, temps suffisant pour traverser certains sujets fédéraux, peut être qualifié de « court ».

La Russie est pleine d’histoire. Au milieu des villes, on peut trouver un bâtiment moderne et, juste à côté, une vieille maison en bois. Les églises anciennes côtoient les gratte-ciels, et l’ensemble architectural, loin d’être discordant, est au contraire très harmonieux, et fait voyager entre les époques en quelques pas.

Quand j’ai dit à ma famille et mes amis que je partais étudier à Ekaterinbourg, j’ai entendu de nombreuses remarques sur les ours, le froid, la vodka et les espions. Une fois arrivée, j’ai vite constaté que tout cela n’était, eh bien, qu’une montagne de clichés tous plus faux les uns que les autres. Cependant, on trouve souvent une part de réalité dans ces derniers : pas d’ours, mais on peut voir des ratons-laveurs en laisse, et j’ai pu monter et démonter un AK47 lors d’un atelier organisé dans le hall de l’université.

Je n’ai en outre rencontré aucun Russe aimant la vodka. La bière semble être l’alcool le plus populaire parmi les jeunes adultes, mais le spiritueux qu’on associe largement à l’image de la Russie n’a pas l’air très apprécié.

Le cliché qui dit que les Russes sont malpolis a la vie dure, et est pourtant faux. Mon expérience m’a permis de constater que la politesse est simplement différente en France et en Russie : ne pas s’excuser en bousculant quelqu’un au supermarché ou ne pas dire bonjour à la caisse ou à l’entrée de l’université n’est pas considéré comme impoli, c’est tout simplement normal. Au restaurant, on m’a regardé bizarrement de nombreuses fois quand je disais merci quand on me débarrassait de ma veste, lorsque le serveur amenait le menu, les boissons, les plats, l’addition… D’un autre côté, la galanterie est bien plus présente en Russie qu’en France : je n’ai que très rarement ouvert une porte, mis mon manteau moi-même, porté les lourds sacs de courses, et j’ai toujours eu une place assise dans les transports en commun.  

Bien que les Russes puissent paraître intimidants au premier abord, ils sont en fait très généreux et disposés à aider. Le lendemain de notre arrivée, j’ai dû me rendre à la pharmacie. Je ne parlais pas bien russe, et la pharmacienne et moi ne nous comprenions pas ; la cliente qui attendait derrière moi a alors spontanément servi d’interprète en anglais. À de nombreuses autres occasions, les caissières m’ont demandé si tout se passait bien en Russie et si je n’avais pas de problème, m’ont recommandé de faire bien attention si je conduisais, et faisaient beaucoup d’effort pour m’aider à comprendre ce qu’elles disaient. Des personnes que je connaissais à peine ont passé des heures à m’aider à trouver un appartement, les chauffeurs de taxis de Saint-Pétersbourg me racontaient l’histoire de la ville… Ils sont en réalité très gentils, et ne demandent qu’à partager leur culture et à vous inviter à boire une tasse de thé.

Cathédrale Saint-Isaac de Saint-Pétersbourg

Les Russes sourient, mais pas à n’importe qui. Pas de sourire en croisant le regard de quelqu’un ou lors d’interactions au magasin. Une fois la relation installée, cependant, les Russes sont très souriants et expressifs. Ne pas faire un grand sourire en arrivant à la caisse est encore compliqué pour moi quand je suis en Russie, mais au moins j’ai la certitude qu’il n’y a pas de fausse amabilité et que les Russes sont honnêtes quant à leurs sentiments.

Les trains sont bien différents de nos TGV : lorsque nous avons décidé de visiter Kazan (à environ 1 000 kilomètres à l’ouest d’Ekaterinbourg), nous avons choisi de prendre le train sur le chemin de fer transsibérien, pour l’expérience. Ce trajet a duré près de 15 heures. Pour l’aller, nous étions dans un wagon sidiatchi (qui signifie « assis », il n’y a pas de couchettes dans ce compartiment), tandis qu’au retour, nous étions dans un « platskart » (compartiment avec couchettes). L’atmosphère y est différente des trains que nous connaissons : bien que le train soit chauffé, les autres passagers avaient tous gardé manteau, bonnet et écharpes. Lors d’un arrêt, les voyageurs assis devant nous ont entrouvert la fenêtre pour avoir un peu d’air frais, et un autre, emmitouflé dans sa parka, est immédiatement venu leur demander de fermer car « il fait trop froid ». Dormir dans un platzkart est aussi particulier : les couchettes sont très étroites, et si vous dormez sur la couchette couloir, les gens vous effleureront en passant, le couloir étant très exigu.

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À Ekaterinbourg, la neige tombe d’octobre à mai. Elle est ensuite tassée par les passages répétés, et le sol devient alors très glissant. Cela n’empêche toutefois pas les habitants de la ville de sortir, et il n’était pas rare de voir une femme en talons hauts avoir une démarche assurée, tandis que nous marchions très lentement pour ne pas risquer de tomber. Malgré toutes les précautions, la chute est tout de même inévitable. Lorsque je suis tombée pour la première fois, je ne pouvais plus bouger et deux inconnus sont gentiment venus me relever ; quelques minutes plus tard, une dame âgée a chuté, s’est remise debout souplement, a enlevé la neige de son manteau, et est repartie d’un pas décidé, comme si rien ne s’était passé.

Malgré la neige, en Russie, il fait trop chaud. Certes, la température extérieure peut descendre jusqu’à -35°C à Ekaterinbourg (et, en janvier, la température moyenne de la petite ville d’Oïmiakon, en Sibérie, est de -46°C !), mais le système de chauffage est très performant, à tel point que l’un de mes professeurs sur place disait que « en Russie, le chauffage est le plus performant du monde. Tellement efficace, que nous devons ouvrir les fenêtres ! ». Dans les immeubles, le chauffage est centralisé, et on ne peut pas régler la température des radiateurs. Le centre commercial par lequel je devais passer pour aller à l’université était chauffé à 27°C. Emmitouflée dans ma grosse doudoune achetée en Russie, avec mon écharpe, mon bonnet et mes gants, je passais donc souvent d’une température extérieure de -20°C à une température intérieure de 30°C ! J’ai donc plus souvent eu chaud que froid, car les vêtements et manteaux russes sont très efficaces pour garder la chaleur. Le froid y est par conséquent supportable, mais quand on passe en dessous des -20°C il devient difficile de respirer ; par -30°C, les cheveux, cils et sourcils peuvent geler.

Neva gelée, archives personnelles

Beaucoup de boutiques et supérettes sont ouvertes jusqu’à 22h. Le grand supermarché de Guiperbola, à Ekaterinbourg, est même ouvert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. C’est bien pratique, si vous avez une soudaine envie de pirojkis frais ou si vous vous rendez compte à la dernière minute qu’il vous manque un ingrédient crucial pour votre repas ! Attention cependant : il est impossible d’acheter de l’alcool en magasin après 23 heures.

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Ekaterinbourg était une ville fermée jusqu’en 1991, et, encore aujourd’hui, n’est pas la première destination choisie par les touristes. Les habitants sont donc peu habitués à entendre des gens parler dans une autre langue. Plusieurs fois, on nous a jeté des regards mauvais, critiqué en russe sans savoir qu’on parlait la langue, une enfant est même allée se cacher derrière sa mère en m’entendant parler français avec mes amis. C’est très surprenant au début, mais on s’y habitue, et la majorité des habitants était cordiale.

Peu de monde parle anglais, et se faire comprendre et être compris quand on maîtrise peu la langue russe est compliqué. Les jeunes parlent de plus en plus la langue de Shakespeare, mais pas les générations plus âgées. J’étais très surprise, perdue dans l’aéroport international de Cheremetievo, à Moscou, de ne trouver aucune personne anglophone ! Mais c’est un atout pour pratiquer la langue : quand on n’a pas le choix, on évolue beaucoup plus vite, et au bout de quelques mois il était bien plus facile de dépasser la barrière linguistique.

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