Surmonter une crise: la méthode russe

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GUEORGUI MANAÏEV
L’histoire de la Russie fournit de nombreuses raisons expliquant la capacité de ce pays à faire face aux crises. Explorons l'art russe ancestral de faire face aux aléas du destin et de rester debout quand tout part en vrille.

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En cette période de crise mondiale et d'incertitude, Internet regorge de messages de motivation et de tutoriels psychologiques pour remonter le moral de la population dans les moments difficiles. Naturellement, les Russes ont également leur mot à dire…

De quel droit pouvons-nous parler d’« ancien art russe de faire face » ? Réfléchissez un peu : il n’y a pas eu une seule génération de Russes qui n’ait pas eu à traverser une crise nationale ou mondiale. Revenons en arrière : il y a eu les crises financières de 2012-2013, et plus tôt celle de 2008 ; avant, la terrible crise de 1998, et encore plus tôt, l'URSS s'est effondrée, précédée par la catastrophe de Tchernobyl, qui s'est produite dans une conjoncture économique déjà difficile d’effondrement et de pénuries… On pourrait dire que le peuple soviétique a vécu relativement bien entre la Seconde Guerre mondiale et les années 1980 - enfin, si vous appelez vivre « relativement bien » la vie sous un régime totalitaire après un conflit militaire dévastateur, avec la menace continue de la guerre froide…

On continue à rembobiner ? Les révolutions de 1917 et 1905, et encore auparavant, la chute économique qui s'est produite après l'abolition du servage... Demandez à n'importe quelle babouchka russe, et elle vous prodiguera des conseils utiles pour surmonter la crise tirés de leur expérience de vie. Et ils pourraient même s’avérer meilleurs que ceux de vos coachs de vie...

1. N'économisez pas trop

En raison des événements énumérés ci-dessus, la majorité des Russes n'ont jamais possédé ou économisé beaucoup. En conséquence, ils ont appris à être prudents, génétiquement. Cela peut ne pas sembler ainsi à première vue, quand on voit certains de nos compatriotes flamber des millions dans des fêtes et des jets privés. Mais savez-vous qui sont les gens les plus dépensiers ? Ceux qui étaient pauvres récemment… Vous seriez surpris de constater combien de Russes savent vraiment comment éplucher les pommes de terre sans retirer ce qui peut être bon à manger. Ou survivre avec 10 dollars pendant une semaine. Non, ce n'est pas que nous devons impérativement utiliser ces « compétences ». Mais les maîtriser peut s’avérer utile…

Et si vous n’avez rien, vous n’avez rien à perdre. Au cours des siècles précédents, les criminels notoires russes et soviétiques n’aimaient pas se vanter de leurs trésors et de leurs richesses - au contraire, leur « code des criminels » exigeait d’eux qu’ils n’aient aucun patrimoine.

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2. Restez centrés sur votre foyer et vos amis

Dans la liste des pays par densité de population, la Russie occupe la 181ème place. Près des deux tiers du territoire du pays sont des zones difficiles d'accès. Une compétence russe innée consiste à vivre dans des endroits peu peuplés. Et à apprendre à survivre non pas tout seul, mais avec très peu de monde autour. Votre maison devient votre forteresse et vos voisins et votre famille sont votre équipe. Dans la Russie tsariste, les simples paysans ne vivaient pas seuls - ils faisaient toujours partie d’une communauté villageoise, appelée obchtchina (« община », littéralement « communauté »). Lorsqu'il y a des centaines de kilomètres jusqu’au village le plus proche du vôtre, la vie en communauté devient une nécessité très impérieuse...

De plus, la politique du gouvernement soviétique consistant à fournir à ses citoyens un logement ressemblait étrangement au système du servage : les gens recevaient un appartement, et bien qu'il ne leur appartenait pas, il devait être enregistré à leur nom (enregistrement qui s'appelait propiska). Et il n'y avait pas de marché immobilier à l'époque soviétique - en gros, une propiska signifiait que vous ne pouviez pas bouger de toute votre vie. Oh, sauf si l'État décidait de vous envoyer ailleurs faire un autre emploi.

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3. Conservez votre patrimoine dans des actifs stables

Comme vous pouvez probablement le comprendre maintenant, il n'y a jamais eu de marché financier stable en Russie. Fondamentalement, la plupart des Russes étaient toujours endettés. Donc, pour le peu que nous avions, nous devions trouver un actif vraiment stable que personne ne puisse emporter. Pendant des siècles, un tel atout a été un petit lopin de terre personnel.

Les paysans russes travaillaient sur les terres qui appartenaient à leurs propriétaires, mais ils avaient aussi de minuscules lopins sur lesquels ils vivaient, construisaient leur maison et plantaient des légumes. Ces parcelles, les maisons et leurs effets personnels étaient tout ce que la plupart des Russes possédaient vraiment. Et dans la Russie post-soviétique, après la privatisation massive des maisons et des appartements, les logements personnels restent l'actif le plus stable pour ceux d'entre nous qui en sont propriétaires - plus de la moitié de la population, soit environ 78,8 millions de personnes, sont actuellement propriétaires directs d'appartements ou de maisons.

Mais rappelez-vous également que 46% des Russes possèdent en outre une datcha, une maison de campagne, ce qui nous amène au prochain conseil russe…

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4. Ayez un abri

Effectuer une retraite dans le pays est depuis longtemps la technique militaire tactique préférée des commandants russes. Naturellement, parce qu'ils pouvaient se le permettre. Lorsque vous opérez sur le plus grand territoire du monde, il y a toujours de l'espace. Et c’est ainsi que les Russes ont vaincu deux des plus grandes armées du monde, celles de Napoléon et Hitler – en se retirant dans l’immense pays et en épuisant l'ennemi, afin de riposter quand il était à bout de forces.

Alors, quand vous en aurez assez, retirez-vous dans votre datcha. Et quand il est trop cher de vivre et de se nourrir en ville, réfugiez-vous à la campagne - mais soyez prêt à apprendre à vous occuper seul.

5. Occupez-vous tout seul

Comment les vastes terres de la Russie auraient-elles pu être explorées, peuplées et civilisées, si chaque étape devait être approuvée par les autorités ? Par le passé, lorsqu'il fallait des mois pour que la correspondance atteigne des régions reculées, de nombreux Russes devaient agir par leurs propres moyens, à leurs risques et périls, prendre leurs propres décisions et risquer leur propre peau. Et ce n'était pas seulement une approche du type : « Je vais trouver quelque chose à faire, pour passer le temps ».

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Ekaterina Dzalaïeva, une postière d'Ossétie (Caucase russe) âgée de 83 ans, qui a passé un demi-siècle à parcourir un itinéraire de 40 km pour livrer du courrier dans les villages de montagne, dit qu'il est important pour elle de « sortir, de parler aux gens » et de faire son travail.

Une étude sociologique de 2016 sur l'économie dite des garages dans les régions russes a montré que, par exemple, dans la région de Samara, 40% des pièces automobiles étaient produites dans des ateliers privés alors que dans la région d'Oulianovsk, la production privée représentait 80% de toute la production de meubles de la région. Selon d'autres recherches, environ 25% de la population active en Russie (environ 15 à 17 millions de personnes) appartient actuellement à la catégorie des travailleurs indépendants.

Mais être indépendant signifie qu'il est essentiel d'avoir des compétences en communication, ou tout simplement, de se bouger.

6. Soyez sociable !

Récemment, un plombier trouvé sur internet a réparé ma baignoire et je l'ai vu accomplir merveilleusement un travail difficile et compliqué. La prochaine fois que j'aurai besoin d'aide pour la plomberie, je préfère l'appeler personnellement, plutôt que par le biais de son entreprise ; et il peut aussi me donner le contact d’un certain nombre de ses amis qui peuvent m'aider à changer les cadres des fenêtres ou quelque chose d’autre. Ce principe (« Je connais un gars qui connaît un gars qui… ») continue encore et encore. En temps de crise, ce réseau fonctionnerait même sans argent ; mais l'entraide russe n'est pas pour les solitaires - il faut communiquer avec les gens pour entrer dans le réseau. C’est un trait de caractère national probablement hérité de l’époque de l’obchtchina.

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Mais qu'en est-il actuellement, en 2020, alors que l'épidémie de coronavirus fait rage ? Eh bien, selon les analyses russes, plus de 80% des Russes utilisent Internet et 65% le font quotidiennement. Du 23 mars au 12 avril, les écoles russes sont en vacances à cause du coronavirus - des millions d'écoliers se préparent à étudier en ligne, en utilisant plusieurs plateformes de co-étude, le streaming vidéo, des messageries, etc. - tous ces outils ayant déjà été intégrés dans le processus d'étude. De nombreux lycéens se tournent également vers l'enseignement à distance. Ainsi, la communication n'est pas toujours une question d'interaction physique.

7. Rire, mais pas besoin de sourire

« Nous n'avons jamais bien vécu - et ça ne sert à rien de commencer maintenant » est un proverbe russe sinistre, mais quand la situation est vraiment désastreuse, cela peut aider à faire face. Chaque époque de l'histoire russe a ses blagues, et la situation actuelle liée au coronavirus ne fait pas exception. Ainsi, aborder la situation avec humour est toujours une bonne idée. Mais au lieu d'un sourire béat, vous pouvez simplement arborer un rictus.

Dans des moments comme ceux-ci, vous pouvez également vous permettre de porter un « visage russe » et de ne pas sourire du tout. Pas la peine de simuler la bonne humeur lorsque vous luttez. Et être de bonne humeur et fournir du soutien aux autres ne nécessite pas d’avoir la « banane » du matin au soir. Restez juste zen...

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