It’s Winter: ce jeu vidéo stimulant le désespoir de la vie dans une banlieue de Russie en hiver

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GUEORGUI MANAÏEV
Le jeu It’s Winter (C’est l’Hiver) vous piège dans une éternelle nuit d’hiver en banlieue d’une ville provinciale russe : une simulation terriblement convaincante de la vie d’un citoyen moyen, avec ses nombreux travers.

Soudainement, vous vous réveillez la nuit dans un appartement d’une pièce, dans une ville russe. Vous êtes pauvre : vous n’avez pas d’ordinateur, seulement une radio dans la cuisine. Ouvrons donc le réfrigérateur pour voir s’il y a de quoi se remplir l’estomac : étonnamment, vous y trouvez des tomates, quelques œufs et de la saucisse. Le micro-ondes fonctionne, contrairement à la bouilloire. Pas de thé pour vous. Dans votre salon deux tristes fleurs fanées trônent sur le rebord de fenêtre, tandis qu’un tapis orne le mur. Dehors, il neige inlassablement.

Pour les amateurs de l’obscur art russe, le jeu It’s Winter a été conçu en tant que partie d’un projet baptisé « WINTER » par le poète moscovite Ilia Mazo. Ce projet, qualifié par son auteur d’« opéra digital », comprend un recueil de poèmes, un album musical, ainsi qu’une performance théâtrale d’ores et déjà annoncée.

Dysfonctionnement de la réalité

C’est toutefois le jeu, et non pas les poèmes ou la pièce, qui a attiré le plus d’attention, tant des joueurs que des médias russes et anglophones. Rendu accessible sur Steam au début de mars 2019, il semble en effet être une simulation parfaite de la vie en Russie. Et malheureusement, cette simulation est tout aussi peu fonctionnelle que l’existence dans ce pays peut parfois l’être. Était-ce l’intention de son développeur ?

Créé par Alexandre « sad3d » Ignatov, It’s Winter est une simple simulation d’exploration. Tout comme dans le jeu Dear Esther du studio britannique The Chinese Room, le joueur peut en effet y marcher et interagir avec des objets sélectionnés. Vous pouvez ainsi ouvrir et fermer un réfrigérateur, éteindre ou allumer la lumière. Vous ne pouvez cependant pas vous asseoir ou vous allonger. Allumez la radio et vous entendrez des interférences ainsi qu’un poème lu par une fois féminine. Peut-être y a-t-il autre chose à faire en dehors de cet appartement ?

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Il s’avère que vous avez uniquement la possibilité de ramasser les détritus éparpillés dans le hall, derrière votre porte. Les autres appartements ne s’ouvriront pas, même si vous frappez à leur porte. Dans la cour de l’immeuble, vous apercevez une aire de jeu déserte, les fenêtres éclairées des autres bâtiments (dans lesquels vous ne pouvez pénétrer), et pouvez longer les magasins, tous fermés. Lorsque vous tentez de quitter les lieux, vous croisez au mieux un tracteur solitaire. Si vous essayez de vous enfoncer dans la forêt, le jeu commence alors à subir des latences, tandis que votre personnage se bloque dans des éléments de décor. Apparemment un bug dans ce Matrix russe. On lance alors une nouvelle partie.

Or, ce qui a le plus attiré les joueurs est ce sentiment d’être pris au piège. En effet, lors que vous vivez dans la périphérie d’une ville provinciale russe, les jours défilent mais se ressemblent, surtout en hiver. Ici, le décor est méticuleusement réalisé, avec une grande attention accordée au détail. Et cela vous donne encore plus envie que ce jeu soit davantage enrichi.

« Tout d’abord, j’ai tiré la chasse avec les poèmes dans la cuvette »

Je me trouve dans l’entrée,

Mâchant un morceau de tourte,

Je suis sorti de la cuisine,

Mais il n’y avait nul besoin de rentrer dans la chambre.

Voici l’un des poèmes, parmi une centaine d’autres, inclus dans le recueil de poésie imaginé pour ce projet. Ils sont tous minimalistes et n’ont, il est vrai, que peu de sens, voire pas du tout, mais cela n’est-il pas également le reflet d’une certaine réalité ?

Les utilisateurs de la plateforme Steam ne leur accordent cependant que peu d’attention, alors qu’Ilia Mazo, à l’initiative du projet, affirme que les poèmes sont la colonne vertébrale même de ce dernier. « Tout d’abord, j’ai tiré la chasse avec les poèmes dans la cuvette », écrit un utilisateur sur la page Steam du jeu. Les Russes semblent en réalité uniquement désirer jouer à cette simulation du désespoir et qu’elle soit aussi fidèle que possible.

« Les mégots de cigarettes sont partout, mais tu ne peux pas fumer. Il n’y a pas de désespoir russe sans nicotine ! », s’exclame par exemple un joueur. « J’aimerais en voir plus de la ville réelle, je veux du bruit dans les appartements voisins, des cris d’alcooliques s’échappant des fenêtres ! ».

Les gamers russes adorent le désespoir, mais en aucun cas ils ne perdraient leur sens de l’humour.

« Créez une version multijoueur, je veux faire un duel de consommation de vodka avec mon ami », plaisante ainsi l’un d’eux.

« Pourquoi je ne peux faire que des œufs brouillés ? C’est quoi ce bordel, je ne peux pas faire de soupe ? J’ai pendant longtemps frappé les patates et le chou avec un couteau, mais je ne peux pas les couper ? POURQUOI ?! », s’insurge un autre.

Certains joueurs anglophones ont eux aussi apprécié le projet : « Si vous sentez que votre vie est surchargée, achetez ce jeu, c’est trop relaxant pour être ignoré. Mon meilleur conseil est de laisser couler l’eau dans la baignoire et l’évier, et attendez que le bruit de l’eau vous conduise dans votre propre monde à l’intérieur du jeu. C’est une ambiance très particulière, un peu effrayante, mais très relaxante. Un climat tellement sombre », décrit par exemple l’un d’entre eux.

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D’autres utilisateurs cependant, ont fait preuve d’un scepticisme total. Comme en témoigne l’un des joueurs, ce programme est trop exigeant pour un jeu indépendant basé sur le moteur Unity. « Pour 204 roubles [2,75 euros] j’ai plus envie d’aller moi-même dans un quartier dépressif et d’acheter quatre dochiraks [plats de nouilles instantanées à réchauffer] dans un kiosque local, plutôt que de payer cette carte codée sur Unity par des programmeurs qui ont décidé de ne pas s’occuper de l’optimisation de leur produit », soutient un commentateur, dont l’avis est partagé par bien d’autres, qui considèrent que le jeu n’en vaut pas la chandelle. « C’est un concept sympa mais on veut plus d’interactions, plus de contenu », est ainsi l’une des requêtes les plus fréquentes.

Les développeurs se défendent néanmoins face à ces critiques. « Nous sommes complètement indépendants, et nous sommes seulement deux, c’est pourquoi le jeu n’est pas optimisé : cela aurait été aussi difficile que de créer un nouveau jeu. Baissez la qualité des graphismes et ça devrait régler le problème. Nous avons fait de notre mieux pour créer le jeu, ne nous blâmez pas si votre ordinateur ne fonctionne pas correctement, ou autrement vous n’aurez pas de jeux sur l’hiver russe, mais uniquement des Far Cries avec des budgets de plusieurs millions ».

Et sur ce point, ils n’ont pas tort.

Ce qui est clair ici est que les Russes ne peuvent obtenir assez de désespoir et de tourment dans leur vie. « Je joue à un simulateur de vie dans un immeuble en béton préfabriqué, tout en étant moi-même assis dans un bâtiment en béton préfabriqué. J’attends que la version réalité virtuelle sorte, pour échapper à la réalité en allant dans la réalité », ironise l’un des joueurs.

Et il n’aurait pas pu mieux dire.

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