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« Nos chemins futurs sont pleins d’incertitude... Que Dieu envoie à tous la force et la raison de surmonter et de survivre à cette trouble période russe » : c’est par ces mots que l’un des chefs du mouvement blanc antisoviétique pendant la guerre civile russe, le baron Piotr Wrangel, s’est adressé à ses troupes en novembre 1920.
L’Armée russe qu’il dirigeait avait subi une lourde défaite face aux bolcheviks et s’empressait d’embarquer sur des navires pour quitter définitivement la Russie. Avec elle, a été évacué son commandant, le dernier grand ennemi du pouvoir soviétique dans ce terrible conflit.
Piotr Wrangel était issu d’une ancienne famille danoise russifiée, dont de nombreux représentants s’étaient illustrés au service de la Russie. Le baron lui-même a suivi des études d’ingénieur à l’École des mines, mais a ensuite opté pour une carrière militaire.
Pendant la guerre russo-japonaise, Wrangel s’est élevé au rang de sotnik (chef d’un escadron de cosaques) et a reçu plusieurs récompenses pour la bravoure dont il avait fait preuve au combat. « Pendant la guerre de Mandchourie, Wrangel a senti instinctivement que la lutte était son élément et le combat sa vocation », a écrit le général Pavel Chatilov, qui a servi avec lui.
Le baron a été l’un des premiers à être décoré dans l’Armée russe au cours de la Première Guerre mondiale. Le 19 août 1914, près du village de Kaushen (dans l’actuelle région de Kaliningrad), il a mené son escadron dans une lancée audacieuse pour capturer une batterie d’artillerie allemande.
« Il a ensuite brillamment commandé des unités de cavalerie, jusqu’à une division », a noté le grand-duc Nicolas Romanov. À la fin du conflit mondial, le baron avait atteint le grade de major-général.
Wrangel a réagi à l’effondrement de l’autocratie lors de la révolution de février 1917 en déclarant : « C’est la fin, c’est l’anarchie ». Il était favorable à la répression de la révolution par la force militaire, mais il n’avait ni l’autorité ni les possibilités pour le faire.
Après la révolution d’Octobre des bolcheviks, le baron s’est éloigné de la politique pendant un certain temps et a rejoint sa famille à Yalta, en Crimée. Il y a alors été arrêté, mais a rapidement été relâché.
Ayant miraculeusement échappé à la mort, Wrangel a décidé de se joindre à la lutte contre le pouvoir soviétique. En septembre 1918, il a rejoint l’Armée des volontaires blancs du général Anton Denikine, sur la base de laquelle seront ultérieurement déployées les Forces armées du Sud de la Russie.
En tant qu’officier expérimenté, le baron a reçu sous son commandement une division montée, puis un corps d’armée. Après avoir vaincu avec succès les forces rouges dans le Kouban et le Caucase du Nord, il s’est vu confier le commandement de l’Armée volontaire du Caucase.
Le 30 juin 1919, les troupes de Wrangel se sont emparées de Tsaritsyne (aujourd’hui Volgograd), que les Blancs avant lui avaient pris d’assaut sans succès à trois reprises. Le 3 juillet, Denikine y a ainsi signé la « Directive de Moscou » sur l’offensive décisive contre la capitale.
Le baron a critiqué le plan pour sa trop grande dispersion des forces et son manque de manœuvre, le qualifiant de « condamnation à mort des Forces armées du Sud de la Russie ». Il a néanmoins participé, avec ses troupes, à sa mise en œuvre.
Les Forces armées du Sud de la Russie ont, comme il l’avait prédit, bel et bien été vaincues et repoussées jusqu’à la péninsule de Crimée. Denikine a quitté son poste de commandant, repris, en avril 1920, par le baron Wrangel en personne. À son initiative, les Forces armées du Sud de la Russie ont alors été rebaptisées Armée russe.
La Crimée s’est en cette occasion imposée comme le dernier bastion du mouvement blanc dans le sud du pays. Wrangel est parvenu à réorganiser les troupes et s’est engagé dans la politique intérieure, essayant de faire de la péninsule un exemple à suivre pour le reste de la Russie.
C’est ainsi, notamment, que le baron a procédé à une réforme agraire. La majeure partie des terres des propriétaires a été transférée à la paysannerie contre une caution qui devait être versée à l’État. L’État, à son tour, devait payer les propriétaires des terres aliénées. Cependant, le régime de Wrangel n’a pas obtenu un large soutien de la part des paysans par ces mesures.
Par ailleurs, Wrangel a abandonné l’idée maîtresse du mouvement blanc – « une Russie une et indivisible » – et a tenté d’établir une coopération militaire avec l’un ou l’autre des centres politiques qui émergeaient sur le territoire de l’empire anéanti. Sans succès, il est vrai.
Pendant longtemps, la Crimée de Wrangel s’est maintenue grâce au fait que l’Armée rouge menait une lourde guerre contre la Pologne et avait donc d’autres priorités. Au début du mois de juin 1920, les troupes blanches sont même parvenues à envahir la côte septentrionale de la mer Noire et à prendre le contrôle d’un certain nombre de territoires, qu’elles ont cependant rapidement abandonnés.
À l’automne de la même année, la phase active de la guerre soviéto-polonaise a pris fin et les bolcheviks ont jeté toutes leurs forces sur Wrangel. En novembre 1920, l’Armée rouge a percé les lignes de défense blanches sur l’isthme de Perekop et a pris d’assaut la péninsule. La Crimée blanche était déjà condamnée.
En l’espace de trois jours, l’Armée russe, son commandant et les civils fuyant les bolcheviks – environ 146 000 personnes au total – ont évacué la péninsule avec le soutien des flottes de l’Entente. Il ne restait par conséquent plus aucun opposant au pouvoir soviétique de l’envergure de Wrangel en Russie.
En exil, Piotr Wrangel a créé une grande organisation antisoviétique, l’Union générale des combattants russes, qui a réuni, au milieu des années 1920, jusqu’à 100 000 anciens gardes blancs. Ils devaient participer à la future guerre de l’Entente contre les bolcheviks.
Cependant, le baron ne connaîtra aucun nouvel affrontement contre l’Armée rouge. Il est subitement, en 1928, décédé de la tuberculose, mais une version veut que les services secrets soviétiques aient joué un rôle dans sa mort.
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