Comment contrefaisait-on le thé en Russie? 

Histoire
ANNA POPOVA
En 1816, le tsar Alexandre Ier signa un décret interdisant la fabrication de la tisane de Koporié. En 1839, le Code rural de Police, qui s’appliquait aux serfs de la couronne, prohibait la récolte de l’épilobe à partir duquel on préparait cette tisane. Qu’est-ce qui motiva ces décisions des autorités? Le fait qu’on contrefaisait le véritable thé de Chine avec des feuilles d’épilobe!

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La première mention du thé en Russie remonte au XVIIe siècle : des ambassadeurs de Chine firent présent de cette plante au tsar Mikhaïl Fiodorovitch (1596-1645). En 1679, les deux pays conclurent un traité d’échange : la Chine exporterait des feuilles de thé séchées vers la Russie qui, en retour, la fournirait en peaux, fourrures et tissus. Jusqu’en 1862, la ville bouriate de Kiakhta fut la plaque tournante du commerce du thé en Russie. Transporter cette marchandise déjà onéreuse en soi par voie terrestre faisait considérablement augmenter son prix. Ce qui expliquait pourquoi le thé était le privilège des très riches.

En 1821, le tsar Alexandre Ier autorisa la vente de thé dans les cabarets (трактиры / traktiry) et les restaurants. Au milieu du XIXe siècle, la Russie importait annuellement près de six mille tonnes de feuilles de thé séchées ! Si la boisson obtenue de leur infusion plaisait de plus en plus, leur prix de vente ne baissait pas. Certains esprits ingénieux comprirent comment régler le problème. Il suffisait de faire sécher les feuilles déjà infusées, de les traiter pour qu’elles aient un aspect convenable, de les conditionner et de les vendre une nouvelle fois. Pour mieux tromper les consommateurs, on mélangeait simplement quelques feuilles séchées une seule fois à celles séchées déjà deux fois. Boire de ce « thé » pouvait être dangereux pour la santé : les feuilles resséchées étaient en effet traitées avec différentes substances, dont des colorants, pour les faire passer pour ce qu’elles n’étaient plus.

Tisane de Koporié

Une plante qui pousse en Russie remplaçait le thé pour ceux qui n’avaient pas les moyens de s’en payer : l’épilobe, depuis longtemps connu pour ses propriétés curatives sous le nom d’Ivan-Tchaï (chamerion). Il était conseillé pour soulager les ulcères et les maux de tête. Après avoir récolté ses feuilles, on les faisait sécher et fermenter dans les environs du village de Koporié (situé à soixante-quinze kilomètres à l’ouest de Saint-Pétersbourg), d’où le nom de la tisane.

Le procédé de fabrication fut bientôt connu et appliqué dans toute la Russie, d’autant plus facilement que l’épilobe est une plante rustique qui pousse pratiquement partout.

On mélangeait feuilles d’épilobe et feuilles de thé et on les vendait comme du thé de Chine à un prix nettement plus bas que le vrai thé ; d’un à trois roubles le poud (16,3 kilogrammes) de feuilles. Selon certaines études, Koporié à lui seul écoulait plusieurs dizaines de milliers de pouds par an, ce qui était du même ordre que le véritable thé de Chine.

Interdiction pure et simple de l’épilobe  

Les marchands de thé de Chine luttaient contre les contrefaçons. Ils déposèrent même une requête dans laquelle ils expliquaient « ressentir de la gêne dans leur activité et recevoir des réclamations à cause de petits commerçants qui vendent de la tisane de Koporié au prix du thé ».

La fabrication de contrefaçon de thé de Chine et sa commercialisation furent interdites respectivement en 1816 et 1833. Les contrevenants risquaient la confiscation de leurs marchandises et les récidivistes, la déchéance de leurs droits civiques et les travaux forcés dans la partie européenne de la Russie.

Dans son décret, Alexandre I disposait que : « Si le client d’une boutique ou d’un marché ou d’un autre établissement de vente découvre que le thé de Chine qu’il a acheté est mélangé à de la tisane de Koporié ou Ivan-Tchaï et qu’une enquête prouve que c’est effectivement un mélange, le commerçant vendant cette contrefaçon sera considéré comme ne méritant aucune confiance. En plus de l’amende qu’il aura à payer conformément à la loi, il fera l’objet d’une publication dans les journaux des deux capitales ». Le Code rural de Police de 1839 interdit la récolte et la consommation d’épilobe, en tisane ou mélangé à du thé de Chine.

En 1888 se tint un procès retentissant, celui des frères Alexandre et Ivan Popov accusés de fabriquer de la tisane de Koporié. Ils portaient le même nom de famille que Konstantin et Semion Popov, des marchands de thé bien établis. Les contrefacteurs de thé de Chine avaient également copié l’emballage du thé de leurs homonymes. Les clients inattentifs se laissaient prendre et payaient à prix fort du thé qui n’en était pas. Alexandre Popov, qui prit toute la responsabilité de l’entreprise sur lui, fut déchu de tous ses droits et condamné à la relégation à perpétuité dans le gouvernement de Tomsk, en Sibérie.

Dans cette autre publication, découvrez pourquoi les Russes boivent souvent du thé au citron.

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