Pourquoi les Tchouktches étaient-ils de grands guerriers?

Paul Niedieck/Domaine public
Pendant un siècle et demi, les Russes n’ont pas réussi à soumettre les habitants de la péninsule de Tchoukotka. Finalement, ils ont décidé de simplement négocier avec les farouches éleveurs nomades de rennes.

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« Les Tchouktches sont un peuple fort, grand, courageux, trapu, robuste, sensé, juste, belliqueux, aimant la liberté et ne tolérant pas la tromperie, vindicatif, en temps de guerre, se trouvant dans une position dangereuse, ils se donnent la mort », c’est ainsi que l’officier russe Dmitri Pavloutski décrivait le peuple indigène de la péninsule de Tchoukotka, située à la limite orientale de l’Eurasie, que la Russie avait commencé à conquérir au milieu du XVIIe siècle.

Peu de peuples à l’est des montagnes de l’Oural ont offert une telle résistance aux Russes que les Tchouktches. En refusant d’accepter la soumission au tsar et de payer le tribut, ils ont mené des guerres sanglantes avec les intrus pendant près de cent cinquante ans, ravageant leurs colonies et tendant des embuscades à leurs détachements militaires.

Une famille tchouktche devant sa hutte près du détroit de Béring

Pour les troupes russes (essentiellement des cosaques), il était extrêmement difficile de soumettre les éleveurs de rennes nomades, en raison du climat rigoureux de la péninsule, de sa distance par rapport au centre de l’État russe et des ressources humaines limitées. Une raison importante de ces échecs fréquents était par ailleurs le fait que les Tchouktches comptaient parmi les guerriers les plus féroces et les plus habiles de toute la Sibérie et de l’Extrême-Orient. 

Le culte de la force

Tchouktche en armure avec une lance et un arc. Tiré du livre Costume des peuples de l'Empire russe d'Edward Harding. Londres, 1810

La force physique et l’endurance étaient valorisées par-dessus tout dans la société tchouktche. Dès leur plus jeune âge, les futurs éleveurs de rennes et chasseurs apprenaient à développer leur corps, à supporter facilement la faim et à dormir peu. Dès l’âge de cinq ans, les enfants couraient après le troupeau sur des raquettes à neige auxquelles étaient attachées des pierres.

Les Tchouktches pratiquaient la course (parfois en armure lourde) et la lutte tous les jours. En outre, les duels d’entraînement avec des lances, leur principale arme de mêlée, ainsi qu’un sport rappelant le rugby avec un ballon en poils de renne étaient très populaires.

« Les Tchouktches, en particulier les éleveurs de rennes, sont des marcheurs remarquables, écrivait le capitaine d’état-major N. Kallinikov au début du XXe siècle. Ce sont des gens d’acier pour ce qui est de surmonter la fatigue, la faim, l’insomnie... surtout dans les jeunes années ».

La mort n’effrayait en outre pas les Tchouktches. Ils craignaient bien plus de faire preuve de lâcheté et de laisser un souvenir désagréable. Une fois capturés, les guerriers se privaient souvent de nourriture jusqu’à ce qu’ils meurent.

Les maîtres du combat rapproché

Armure de guerrier et arc tchouktches, XIXe siècle

Au combat, un Tchouktche n’était pas seulement habile avec un arc, une lance ou un couteau, mais pouvait aussi, si nécessaire, se battre avec succès muni d’un lasso à renne, un propulseur avec des fléchettes pour la chasse au gibier d’eau et même un bâton conçu pour arrêter les rennes s’éloignant du troupeau.

Les Tchouktches n’utilisaient pas de boucliers et leur agilité développée leur permettait d’esquiver les flèches de leurs éternels adversaires, les Koriaks (un peuple parent des Tchouktches, vivant plus au sud, qui a accepté sa sujétion à la Russie). Néanmoins, le corps des guerriers était protégé de la tête aux genoux par une armure lamellaire faite de peau et d’ivoire de morses, de côtes de rennes, d’ivoire de baleines ou de fer.

Selon les observations des explorateurs russes de la Sibérie à la fin du XVIIIe siècle, vingt éleveurs de rennes tchouktches « sauvages, rudes, indisciplinés et cruels » pouvaient facilement disperser cinquante Koriaks. Les Tchouktches vivant sur le littoral, sédentaires, étaient moins belliqueux que leurs frères nomades, mais ils étaient aussi considérés comme de redoutables adversaires.

Les armes à feu des Russes ont causé une certaine peur parmi les Tchouktches, qui pensaient que les coups de feu étaient « le tonnerre du ciel » et que les blessures par balle étaient « des blessures de foudre », mais ils s’y sont habitués assez rapidement. Comme les Russes n’étaient pas pressés de vendre leurs fusils aux dangereux éleveurs de rennes, ces derniers pouvaient les obtenir comme trophées ou les troquer auprès des Koriaks.

Les maîtres des raids et des embuscades

Une famille tchouktche à Anadyr durant l'été 1906

Les Tchouktches préféraient se battre en hiver. Après avoir parcouru subrepticement de nombreux kilomètres sur des traîneaux à rennes et à chiens, ils attaquaient les colonies ennemies, tuant, brûlant les maisons, faisant des prisonniers et détruisant tout ce qu’ils ne pouvaient emporter avec eux. En gâchant les réserves de nourriture, ils condamnaient délibérément l’ennemi à la famine.

Si une campagne contre les Koriaks ne comptait généralement que quelques dizaines de personnes, contre un ennemi aussi sérieux que les Russes, les tribus tchouktches pouvaient mobiliser plusieurs centaines, et dans des cas exceptionnels – jusqu’à deux mille soldats. Ainsi, pendant la campagne militaire de 1731-1732, le détachement de Pavloutski a détruit dans les batailles environ un millier de Tchouktches.

L’embuscade était pour les Tchouktches le principal moyen de faire la guerre aux Russes, techniquement supérieurs. En outre, ils utilisaient toute erreur de l’ennemi à leur avantage. Par exemple, une fois, les cosaques ont établi leur camp sur la colline Maïorskaïa, entourée d’eau glacée, et, se fiant à la minceur de la glace, n’ont pas installé de sentinelles. Les Tchouktches n’ont pas été découragés par le danger de tomber à travers la glace. En rampant à plat ventre sur elle, ils ont librement massacré tous les intrus.

La meilleure solution : trouver un accord

Le fort d'Anadyr sur la carte d'Ivan Lvov, vers 1710

La guerre contre les Tchouktches, qui a commencé au milieu du XVIIe siècle, a été longue et sanglante pour la Russie. Malgré le fait que les guerriers féroces perdaient des centaines de soldats dans les affrontements, ils refusaient obstinément de reconnaître l’autorité du tsar.

Les troupes russes ont parfois subi de graves défaites. Ainsi, en 1730, lors de la bataille d’Egatch, trente cosaques, menés par le colonel Afanassi Chestakov, sont morts. Dix-sept ans plus tard, la bataille sur la rivière Orlovaïa s’est terminée par la mort du major Pavloutski en personne et de cinquante de ses hommes. Compte tenu des ressources limitées dont disposait la Russie dans la région, ces déconvenues apparaissaient extrêmement douloureuses.

Finalement, Saint-Pétersbourg, capitale de l’Empire, a décidé de simplement négocier avec les Tchouktches insoumis. Une étape importante dans la normalisation des relations a été la liquidation du fort d’Anadyr (ville qui est aujourd’hui la capitale du District autonome de Tchoukotka) en 1771, qui irritait fortement les Tchouktches et dont l’entretien coûtait cher au trésor public. Après cela, les envoyés de l’impératrice Catherine II pouvaient déjà mener des négociations fructueuses avec les dirigeants locaux - les toïones.

En 1779, la Tchoukotka a officiellement été annexée à l’empire. Dans le même temps, les Tchouktches ont été dispensés de payer le iassak (tribut) pendant dix ans et ont en fait conservé une indépendance totale dans leurs affaires intérieures. Même au début du XXe siècle, beaucoup d’entre eux n’avaient aucune idée qu’ils étaient des sujets russes.

Dans cet autre article, découvrez comment la Sibérie est devenue un pays (et pourquoi elle a cessé de l’être).

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