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« Est apparu Sviatoslav, traversant la rivière dans une barque scythe. Il était assis aux rames et ramait avec les autres, sans se différencier d'eux. Sa tête était absolument nue, mais une touffe de cheveux pendait sur un côté – un signe de noblesse. Il avait l'air maussade et sauvage. Il avait une boucle en or à une oreille ; elle était décorée d'une escarboucle encadrée de deux perles ». C'est ainsi que l'historiographe de Byzance Léon le Diacre a décrit Sviatoslav Ier, le grand prince de Kiev, lors de sa rencontre avec l'empereur de Byzance Jean Ier Tzimiskès au Xe siècle.
Boucle solitaire
Les guerriers russes se perçaient les oreilles depuis des temps anciens. Dans la culture de divers peuples, il s’agissait d’un acte magique protecteur. Une boucle à l'oreille d'un guerrier était à l'origine portée comme un talisman contre les forces du mal, mais aussi comme un indicateur banal de statut. Plus la décoration était coûteuse et complexe, plus il y avait de perles ou de pierres précieuses sur la boucle, plus son propriétaire était de haut rang. Léon le Diacre, décrivant l'apparence de Sviatoslav, a témoigné que « sa tenue était blanche et ne différait des vêtements des autres que par sa propreté ». La boucle d'oreille en or était donc l'accessoire le plus onéreux du souverain de la Rus’ de Kiev.
Le port de boucles d'oreille par les hommes était populaire chez les Alains et les Bulgares de la Volga, comme l’ont démontré les fouilles de tombes de nobles de ces peuples. On sait que les Scythes avaient des boucles d'oreille avec un capuchon en forme de champignon, portées par les hommes et les femmes, visiblement en guise de signe distinctif de leur tribu. Les boucles d'oreille étaient portées parmi les membres de la Horde d'or, et de là, elles se sont également répandues en Russie. Au début, les boucles « solitaires » (odinets), c’est-à-dire uniques, étaient populaires. Par la suite, à partir du XIVe siècle, se sont répandues les boucles avec une tige ou un pendentif (en forme de point d'interrogation), sur lequel on enfilait une ou plusieurs perles. En 1358, dans son testament, le prince Ivan II a par exemple légué à ses deux fils une boucle d'oreille en or avec une perle.
À partir du XVIe siècle, l’on trouve des boucles d'oreille « doubles » et « triples » avec respectivement deux et trois maillons. Le prince Dmitri d'Ouglitch, selon la description de sa trésorerie, possédait des boucles d'oreille « grandes » et « triples » avec du corindon (rubis ou saphir) et des pierres rouges (rubis ou spinelle), ornées de grains, de fabrication novgorodienne et orientale. Les boucles d'oreilles étaient faites d'or, d'argent, ou d'alliage de cuivre, recouvertes de dorure et nécessairement ornées de perles.
Bien sûr, les boucles d'oreille en Russie n'étaient pas seulement portées par la noblesse. De simples boucles en cuivre en forme de croissant non fermé étaient également arborées par les hommes du peuple. Au XVIIe siècle, une boucle d'oreille « cassée » a ainsi été mentionnée parmi les biens d'un paysan, ce qui confirme que même les bijoux abîmés étaient appréciés et conservés dans les familles paysannes.
Et qu'en est-il des femmes russes ? Comme l'écrit l'archéologue Natalia Jilina, « dans l'habillement slavo-russe s’avérait traditionnel le port de grands anneaux temporaux, fixés avec une couronne de métal, au VIIIe siècle se sont répandues des boucles d'oreilles miniatures d'aspect pro-byzantin ». Cependant, les femmes nobles russes des XIVe et XVe siècles ne portaient pas de boucles d'oreille coûteuses, leur parure de cérémonie étant le riasna – pendentif en métal accroché à leur coiffe.
Il est révélateur qu'au XVIe siècle, le prince Ivan Rouzski ait hérité de sa mère « deux paires de boucles d'oreille en corindon et une troisième en pierres rouges » et les ait données à sa sœur qui avait perdu sa dot. En d'autres termes, les boucles d'oreille de l'époque n'avaient pas d'appartenance rigide à un sexe. Les boucles d'oreille précieuses pour femmes sont redevenues populaires aux XVIe et XVIIe siècles, déjà sous l'influence de la culture européenne. Dans les descriptions des biens de la tsarine Anastasia, la première épouse d'Ivan le Terrible, on trouvait en effet des « boucles d'oreilles diverses ».
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Pour un ami bien-aimé
Avec l'expansion de l'État russe, l’on comptait de plus en plus de cosaques, des personnes libres qui étaient à la fois agriculteurs, commerçants et soldats qui gardaient les frontières du pays. Parmi eux, les boucles d'oreille sont devenues une forme de signe de distinction dans les rangs de leur armée.
Une boucle à l'oreille gauche était portée par les cosaques s’avérant fils uniques (ils pouvaient avoir des sœurs). Une boucle aux deux oreilles – par un enfant unique de sexe masculin. Et une à l'oreille droite était le signe du dernier homme de la lignée. L’on essayait alors de ne pas emmener des individus de ces catégories dans des missions dangereuses et dans le feu de l'action.
Les boucles d'oreille pour hommes de la haute noblesse russe sont brièvement passées de mode aux XVIIe-XVIIIe siècles – à cette époque, elles étaient principalement portées par les cosaques, ainsi que par les marins, soldats et artisans européens, de plus en plus nombreux dans le Tsarat de Moscou. Pour les artisans des terres étrangères, une boucle d'oreille en or était souvent une réserve « pour les mauvais jours », qu'il était difficile de perdre, mais qui pouvait être mise en gage, vendue ou, en désespoir de cause, dépensée en boisson.
Au début du XIXe siècle, les boucles d'oreille pour hommes sont revenues à la mode, d'abord dans les milieux militaires. L’historien Mikhaïl Pyliaïev a noté que cette mode venait « du Caucase, des Géorgiens et des Arméniens », chez qui se déroulait alors la guerre du Caucase, à travers les batailles de laquelle de nombreux officiers russes ont dû passer. « La mode des boucles d'oreilles s'est surtout épanouie chez les militaires des régiments de cavalerie, et il est difficile de croire que les hussards des années précédentes, les "hardis compagnons de bouteille", ont tous suivi cette mode féminine, et que non seulement les officiers, mais aussi les soldats portaient des boucles d'oreille », écrit Pyliaïev. On parle de mode « féminine », notamment parce que les militaires portaient les bijoux de leurs dames en guise de talisman et de cadeau sentimental. « On assure, écrit Pyliaev, que le célèbre proverbe "pour un ami bien-aimé une boucle d'oreille" [signifiant que l’on est prêt à faire beaucoup pour son ou sa bien-aimé(e), ndlr] a été inventé à cette époque par des soldats ».
La boucle d'oreille en URSS
Au début du XXe siècle, une boucle à l'oreille d'un homme n'était déjà un attribut que pour un cosaque ou un gitan. « Il portait une boucle en forme de croissant d'argent à l'oreille gauche, sa barbe et ses cheveux couleur corbeau n'ont pas pâli jusqu'à sa vieillesse, et dans sa colère, il devenait fou furieux... », c’est ainsi qu’a décrit Mikhaïl Cholokhov dans Le Don paisible Panteleï Prokofievitch, un cosaque du Don.
Dans l'État soviétique, surtout avec le durcissement des conditions de vie dans les années 1930, tout détail de l'apparence d'un homme pouvant être trouvé dans l'image d'une femme a commencé à être sévèrement rejeté. Les fonctionnaires et les ouvriers soviétiques ne pouvaient par ailleurs pas s'offrir de bagues et d’anneaux – cela aurait été considéré comme un plaisir « bourgeois », « décadent ». Même les alliances sont passées de mode dans les premières décennies de l'URSS.
Le travailleur engagé, physiquement fort et résolument masculin, et la femme active s’étant libérée des chaînes de l'esclavage domestique – les bijoux ne résonnaient pas avec l'image de l’idéal soviétique. Et si les bijoux féminins sont progressivement revenus et devenus plus complexes, ceux pour hommes resteront longtemps encore un signe de « la belle vie ». Dans le film Le Bras de diamant, les doigts du chef de la mafia sont d’ailleurs ornés de bagues et d'anneaux, l'attribut d'une crapule.
Bien sûr, les bagues et les anneaux étaient portés par les fashionistas, les fartsovchtchiki (revendeurs et spéculateurs de produits importés ou déficitaires) et les stiliagui (équivalent soviétique des zazous). Cependant, une boucle d'oreille pour un homme est longtemps demeurée un excès en URSS – même les hippies n'osaient pas en porter. Une simple boucle d'oreille, dans le contexte d'homophobie généralisée que l'État a lui-même instillé, faisait de son porteur une victime pour tout hooligan de rue. Ce n'est que dans les années 1980 que la boucle solitaire, selon l'ancienne terminologie, est revenue chez les punks et musiciens de rock, mais uniquement à l’oreille gauche. Jusqu'à récemment, une boucle à l'oreille droite d'un homme était un indice d'une orientation sexuelle alternative, mais depuis les années 2010, avec la mondialisation de la mode, cette distinction a pratiquement disparu. Aujourd'hui, en Russie comme ailleurs dans le monde, les hommes portent souvent non seulement des boucles d'oreille, mais aussi des écarteurs dans le lobe. Une telle mode aurait sûrement été au goût des anciens soldats des tsars et des cosaques !
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