Pourquoi les hussards étaient-ils les troupes les plus folles de la Russie impériale?

Maksim Blinov/Sputnik
Tout comme en Europe, en Russie les hussards avaient la réputation d’être les plus audacieux de tout le corps militaire. Il se trouve que leurs habitudes, de la boisson aux bagarres, étaient pour une grande part dues à leur fonction.

Le fameux « général hussard » de l’armée française, le comte de Lassalle, disait que « tout hussard qui n’est pas mort à trente ans est un jean-foutre », et cette description était tout aussi valable pour les hussards russes. D’une bravoure confinant à la folie, ils étaient souvent ceux qui allumaient la mèche ; ils étaient aussi les premiers à contre-attaquer et à lancer des assauts éclairs. Armés et équipés légèrement, ils encaissaient de sérieux dommages. C’est pourquoi, en temps de paix, les hussards en profitaient, faisant valoir leur honneur, et étaient toujours prêts à se battre jusqu’à la mort. Comme le résumaient les commandants russes, les hussards et les gardes royaux étaient le genre de militaires dont le train de vie chevaleresque faisait partie intégrante de la fonction.

Boire pour être un hussard

Les premiers régiments de hussards apparurent sous Pierre le Grand, et ne firent pas fait long feu. Le véritable essor des hussards au sein de l’armée russe survint lors de la seconde moitié du XVIIIe siècle. L’armée des Cosaques ukrainiens, réformée par Catherine II, a été convertie en cinq régiments de hussards, ainsi qu’en un des régiments hussards de la garde royale. Ils étaient composés en grande partie de Cosaques, utilisaient leur propre système de commandement et s’inspiraient de leurs fringantes traditions.

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Il était possible de devenir hussard sur un coup de chance, ou bien en étant dûment sélectionné dans l’armée. Tout jeune homme en bonne santé pouvait aussi rejoindre le régiment. Pour ce faire, il fallait se rendre dans une ville, telle Minsk ou Moguilev (aujourd’hui en Biélorussie), où se tenaient parfois des sélections improvisées.

Cela ressemblait à des rixes d’ivrognes : de joviaux hussards, commandés par des sous-officiers dévalaient les rues, versant du vin sur les jeunes aux alentours. Le coût du vin était ponctionné sur les fonds du régiment, environ 8 roubles par personne, un lourd tribut à cette époque où 16 kg de pain coutaient à peine 1 rouble. Les hommes essaimaient pour boire à l’œil, et chaque jour, les hussards ramenaient un grand nombre de tonneaux à leur campement.

Les hussards étaient un régiment de cavalerie légère, ils étaient armés de sabres, carabines et pistolets. Ils portaient de chatoyants uniformes détaillés en fonction de leur régiment, et qui étaient inspirés de ceux des premiers hussards hongrois. Les caractéristiques premières des hussards étaient la vitesse et la brusquerie de leurs attaques. Cela demandait une grande bravoure, voire de l’imprudence. Bien évidemment, un hussard se devait d’être physiquement affuté, ce qui était garanti par des exercices incessants.

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Épuisant du soir au matin

Charger un pistolet est une tâche méticuleuse, mais cela devient encore plus difficile lorsque cela doit être fait au crépuscule, sous une pluie battante, monté en selle sur un cheval en mouvement. Les hussards étaient formés pour cela, et étaient sévèrement punis (de 200 coups dans le dos avec une tige de métal par exemple) s’ils mettaient trop de temps à recharger ou bien si leur pistolet tirait à blanc. Et ce n’est qu’un exemple de la sévérité du service des hussards parmi tant d’autres.

Ils se levaient à 5 heures du matin, nourrissaient d’abord leurs chevaux, et ensuite eux-mêmes. La journée était consacrée à l’exercice et à l’entraînement à l’équitation, qui se terminait à 6 heures du soir. Les joueurs de trompette – obligatoires pour chaque régiment – informaient de l’heure. Durant les combats, ils étaient dans la mêlée, donnant les signaux pour changer de formation, attaquer ou battre en retraite. Au total, il existait plus de 50 signaux de trompette. Ils étaient particulièrement difficiles à effectuer au galop, mais les trompettistes hussards en étaient capables.

Vivre pleinement et mourir jeune

Tout d’abord, la boisson : « Cela faisait très spartiate : le sol était recouvert de tapis, au centre se trouvait une casserole, le sucre brûlait en trempant dans du rhum ; tout autour, en cercle, étaient assis les fêtards, tenant leurs pistolets dans leurs mains… Lorsque le sucre était fondu, on ajoutait du champagne, et la +jjenka+, fin prête, était alors versée dans les pistolets. C’est ainsi que commençait la beuverie… », écrivait le comte Osten-Sacken.

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Boire seul était considéré comme un « comportement obscène », même pour des hussards. Parmi les boissons favorites figuraient le champagne, le rhum, le punch et la vodka à la menthe. Il était courant de boire uniquement une boisson de votre choix pendant un mois ou deux, puis d’en changer.

Ensuite, les escapades : « Ivres, nous nous rendîmes sur l’île Krestovski, à Saint-Pétersbourg. C’était un jour férié d’hiver, et de nombreux Allemands descendaient les collines en traineau. Nous nous séparâmes en deux groupes en regardant la foule. À chaque fois qu’un Allemand s’asseyait sur un traineau, nous le renversions par en dessous et le faisions dévaler la pente sur les fesses… Balachov, le gouverneur général de Saint-Pétersbourg, me fit plus tard appeler et me transmit une réprimande venue du Tsar lui-même », écrivit Sergueï Volkonski, un futur décembriste. Hélas ! Si seulement ces réprimandes avaient pu arrêter les hussards !

Sergueï Volkonski

« Nous détestions l’ambassadeur français, de Caulaincourt (pendant les guerres napoléoniennes)… Nombre d’entre nous cessèrent de se rendre dans les établissements qu’il fréquentait. Parmi nos accès de colère en voici un. Nous savions qu’un buste de Napoléon se tenait dans le salon de Caulaincourt, au-dessus d’une espèce de trône. Et rien d’autre. Nous considérions cela comme une insulte à la Russie. Une nuit d’hiver, certains d’entre nous arrivèrent en traineau près de sa maison, sur les berges, et jetèrent de lourdes pierres vers sa chambre, brisant la fenêtre. Les jours suivants, il y eut des plaintes et des enquêtes, mais à ce jour, personne ne sait qui était dans ce traineau », se rappelait Volkonski.

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Les officiers hussards fréquentaient les bals et les recevaient parfois, mais cela n’était possible que pour les plus nobles et ceux jouissant de la meilleure forme. Lors d’un bal, des centaines de bougies de cire étaient allumées. Ces événements étaient onéreux, sans même tenir compte des sommes faramineuses dépensées en nourriture et boissons.

« Il donnait trois bals chaque année et avait finalement dilapidé [sa fortune], écrivait Pouchkine dans Eugène Onéguine. Nous avons reçu un ordre plutôt badin… torturer les femmes allemandes avec des danses. Avec ferveur, nous nous sommes acquittés de notre tâche : nous avons dansé à en tomber. Les jolies filles allemandes étaient ravies ! Après le somptueux repas, à trois heures du matin, après une libation au nom des dieux antiques Bacchus et Aphrodite, débuta la mazurka, qui se termina seulement à 7 heures du matin… Nous avions ordonné à nos soldats de se saisir des habits chauds de nos hôtes et de renvoyer leurs attelages, afin d’être sûrs qu’ils resteraient jusqu’au matin… », racontait Faddeï Boulgarine.

La présence d’un nombre conséquent d’Allemands en Russie peut s’expliquer par le fait que, durant les guerres napoléoniennes, beaucoup s’y réfugièrent. Ils se sentaient en sécurité dans un pays dirigé par des monarques issus de familles germaniques.

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Pour tout dire, les hussards aimaient se laisser emporter par tout. Ces jeunes hommes pleins d’énergie saisissaient la moindre opportunité de passer le temps agréablement. Le hussard Sergueï Marine écrivit à un ami que son régiment changeait de divertissement comme de gants : en hiver tout le monde jouait aux échecs ; au printemps, au billard ; puis en été ils réalisaient des fontaines et des cascades ; enfin à l’automne, tout le monde allait chasser.

On (ne) plaisante (pas) avec la mort

La morale militaire du XIXe siècle voulait que l’on considère la mort comme une partie inhérente à la vie, et qui, le moment venu, devait être acceptée de manière froide et placide. « Quand une balle siffle, ne clignez pas de l’œil. Dans une bataille, charcutez bravement. Lors d’une attaque, ne vous cramponnez pas à votre cheval, confiez votre âme à Dieu, et s’il le faut, mourez », suggérait une joyeuse chanson hussarde, révélant l’attitude de ceux-ci face à la mort.

En temps de paix, les hussards n’hésitaient pas à montrer leur courage, qualité considérée comme primordiale pour un soldat, et plus particulièrement pour un hussard. D’où les duels, très nombreux. À propos de tout et n’importe quoi.

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Un hussard cornette avait reçu le surnom de « Bouyanov » (« Le Bagarreur »), et ce n’était pas pour rien. Son premier duel à Moscou se déroula face à un officier de la garde royale qui avait offensé l’honneur du régiment de Bouyanov. Ce dernier blessa légèrement l’officier, fut dégradé et envoyé dans le Caucase.

Après trois ans il regagna son rang de cornette et repris sa place au sein de son unité. Dans l’année, il provoqua alors un gouverneur provincial en duel pour avoir insulté la femme de son compagnon officier. Il fut encore une fois dégradé au rang de simple soldat et retourna dans son régiment quatre ans plus tard, seulement pour un autre duel avec un officier. Après sa troisième dégradation, son sort était réglé.

L’attitude des officiers hussards envers la mort était assez radicale. Ils étaient prêts à défendre leur honneur, même sans pistolet. En 1807, le régiment hussard de Hrodna se trouvait en Prusse, bataillant contre Napoléon aux côtés de l’armée prussienne. Lors d’un tournoi de cartes dans une taverne, un officier prussien offensa un lieutenant-général hussard russe, le comte Podgoritchani. Le Prussien était adroit au tir, et choisît donc le pistolet pour arme. Le comte répondit qu’il n’en avait pas, mais qu’il était prêt à parier sa vie aux cartes : celui qui gagnerait la partie tuerait son rival. Ils se mirent à jouer et le comte gagna. Tous les officiers suivirent les duellistes dans le jardin ; le Prussien pensait que la décision du comte relevait de la boutade, mais ce dernier saisit un fusil et tua aveuglément son adversaire, en déclarant « je ne plaisante pas avec la mort. J’aurais perdu le duel, je me serais alors tenu droit et l’aurais laissé me tuer ».

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