Cette espionne sud-africaine sauvée grâce à des agents soviétiques

Histoire
NIKOLAÏ CHEVTCHENKO
Lorsque sa couverture a été découverte et qu'elle était sur le point d'être arrêtée, un diplomate soviétique inconnu l'a sauvée. Néanmoins, elle n'a jamais eu l'occasion de le remercier en personne.

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Recrutée dans sa jeunesse par le Congrès national africain (ANC) de Nelson Mandela pour espionner le régime d'apartheid sud-africain, Sue Dobson a rapidement gravi les échelons et établi des contacts avec les personnalités du gouvernement de la minorité blanche. Elle était loin de se douter que sa couverture allait bientôt être découverte et qu'elle devrait utiliser toutes ses compétences, acquises en URSS, pour rester en vie et libre, contre vents et marées.

Cartes postales d'Europe

L'incroyable histoire de Sue Dobson – qui a inspiré un livre et un film à paraître prochainement – commence dans l'Afrique du Sud du début des années 1980, un pays où la minorité au pouvoir applique impitoyablement le régime d'apartheid et élimine ceux qui osent résister.

Par l'intermédiaire de sa belle-sœur, Sue Dobson, 20 ans, issue d'une famille sud-africaine blanche privilégiée, diplômée avec confiance d'une école réservée aux Blancs, entre dans les rangs du Congrès national africain, un parti politique social-démocrate qui était alors interdit en Afrique du Sud. 

En son sein, elle a été recrutée dans la branche des renseignements du parti et envoyée en Union soviétique pour affiner ses compétences militaires et de renseignement.

« J'ai été recrutée par l'ANC et ai rencontré le chef des renseignements militaires, Ronnie Kasrils. Il m'a enrôlée et a proposé une formation militaire dans ce qui était alors l'URSS. Je devais suivre une formation en Union soviétique, puis retourner en Afrique du Sud, où je devais travailler sous couverture à un poste proche du gouvernement. C'est exactement ce que j'ai fait », a déclaré Dobson.

Pour quitter leur pays plusieurs mois, Sue et son mari ont cependant dû mettre au point un alibi solide afin de ne pas soulever de soupçons.

« Le plan a été très soigneusement élaboré. Nous avions une légende où nous disions à la famille et aux amis que nous allions partir en sac à dos à travers l'Europe et que nous allions être absents pendant environ un an, après quoi nous reviendrions en Afrique du Sud et nous nous installerions. Nous avons collecté un maximum de cartes postales d'autant de destinations que possible. Nous avons écrit ces cartes postales, qui ont été postées par des fonctionnaires soviétiques dans divers pays d'Europe occidentale vers l’Afrique du Sud, de manière à faire croire pendant notre formation à Moscou que nous les avions envoyées à nos amis et à notre famille depuis ces pays », a expliqué Sue.

Une fois la phase de préparation terminée, la jeune femme et son mari étaient donc prêts à partir.

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Une maison sécurisée au cœur de Moscou

Durant l’automne 1985, le couple a atterri à l'aéroport moscovite de Cheremetievo, la capitale de l'Union soviétique, un pays phare du bloc socialiste qui, à l'époque, se proclamait champion de l'égalité raciale. En pleine guerre froide, cela signifiait que l'URSS soutiendrait l'ANC, non seulement en raison de la lutte du parti pour l'égalité des races en Afrique du Sud, mais aussi parce qu'en aidant à mettre fin à la domination de la majorité blanche antisoviétique dans le pays, Moscou pourrait potentiellement établir un important bastion sur le continent africain.

Cependant, pour Dobson, idéaliste de 20 ans, qui croyait de tout cœur à la cause de l'ANC, l'Union soviétique apparaissait simplement comme la terre promise où régnaient l'égalité raciale et la justice sociale.

« On nous a appris [à l'école] que l'Union soviétique était quelque chose de très différent, qu'elle était très mauvaise. Et j'ai été étonnée de voir à quel point c'était ordinaire et à quel point les rues étaient belles. C'était l'époque de la perestroïka et de la glasnost et Gorbatchev était très populaire à l'époque. Il était assez intéressant de voir des gens ordinaires dans les rues, manifestant pour la paix, et c'était quelque chose que je n'avais jamais vu auparavant. À l'époque, cela m'a offert une vision de l'humanité que je n'avais jamais vue avant », a confié Dobson.

La jeune femme a été si impressionnée par ce qu'elle a observé qu'elle affirme s'être à l'époque identifiée comme communiste.

« Depuis la chute de l'Union soviétique et la désintégration du bloc de l'Est, il y a beaucoup de choses que les gens ont reconsidérées. Or, certaines choses sont meilleures en théorie qu'elles ne le sont en pratique, et nous ne le savons pas nécessairement. Mais, venant d'une situation comme la mienne, je croyais fermement que l'URSS offrait une meilleure alternative au peuple sud-africain que ce qu'il avait à ce moment-là. Je pense que je me décrirais comme un communiste », a-t-elle souligné.

Immédiatement après leur arrivée, Dobson et son mari ont été logés dans une maison sécurisée de la rue Gorki (actuellement rue Tverskaïa, axe principal de Moscou), à deux pas du Kremlin et de la place Rouge. Pendant sept mois, le couple a suivi une formation militaire et de renseignement poussée, dirigée par des instructeurs soviétiques et visant à affiner les compétences d'espionnage et de survie des agents secrets de l'ANC au sein du gouvernement sud-africain.

« Au fur et à mesure de ma formation, il était important pour moi d'apprendre la surveillance et la contre-surveillance. Il était important de comprendre comment faire de la surveillance à pied, en voiture, comment les équipes de surveillance changent. Il y avait une équipe de surveillance de cinq ou six personnes et ma tâche consistait à les trouver en utilisant autant de techniques que possible : traverser une route, s'arrêter soudainement pour demander l'heure à quelqu'un et voir qui est derrière vous, monter et descendre des transports publics. Il y avait beaucoup de choses enseignées pour vous rendre plus vigilant. Il y avait aussi des formations aux explosifs, à la radio, à la politique, aux armes – c'était un cours très complet. Plus tard, ces choses m'ont en fait sauvé la vie », a décrit Dobson.

Lorsque le moment est venu de quitter Moscou, Sue est donc retournée dans son Afrique du Sud natale en tant qu'agent qualifié. Elle était toutefois loin de se douter que les compétences et les contacts qu'elle avait acquis pendant son séjour en Union soviétique lui seraient bientôt utiles lorsque sa couverture serait découverte.

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Piégée à Gaborone

De retour en Afrique du Sud en 1986, Dobson a travaillé pour un journal basé à Pretoria, avant d'être employée par le bureau d'information du gouvernement, où elle a obtenu de précieux détails sur les plans de l’exécutif sud-africain, notamment pour discréditer le parti SWAPO de Namibie.

Néanmoins, malgré son importance croissante en tant qu'atout pour les services de renseignements de l'ANC, Dobson n'a jamais eu d'échappatoire au cas où sa couverture serait découverte.

« C'était à moi et à mon supérieur hiérarchique d'établir un itinéraire sûr, de créer un plan B. Malheureusement, cela n'a jamais été le cas, car Ronnie [Kasrils] ne l'a jamais fourni. C'était une lacune. Je n'avais pas de papiers, je n'avais pas d'argent, je n'avais pas de documents, pas de maisons sûres, nulle part où je pouvais me réfugier. C'était un grave manquement de la part de mon responsable et de mon organisation. Cela n'aurait pas dû se produire », a souligné Sue.

Travaillant comme agent secret de l'ANC dans les rangs du bureau de l'information, Dobson a eu accès à des membres du parlement et à des ministres. Finalement, la jeune professionnelle, qui n’éveillait pas les soupçons, a été considérée pour un poste au bureau du président Frederik de Klerk, un travail de rêve pour tout agent secret de l'ANC. Le haut poste exigeait toutefois un autre niveau d'habilitation de sécurité et une vérification plus approfondie des antécédents, ce qui a révélé son lien avec l'ANC. Sue Dobson était ainsi démasquée.

Coincée et livrée à elle-même contre toute la puissance du gouvernement, la jeune femme n'a eu d'autre choix que d’agir seule et dans la précipitation.

« J'ai dû me sortir d'une situation très difficile. Si je n'avais pas eu la formation, je n'aurais probablement pas été capable de le faire. Je travaillais en Namibie à l'époque lorsque j'ai compris que ma couverture était compromise. Je devais m'exiler le plus rapidement possible, afin de me sauver. Mais je ne pouvais pas prendre l'avion, car ils s'attendaient à ce que je prenne un vol de Namibie vers l'Europe. J'ai donc loué une voiture et ai parcouru la distance au volant, ce qu'ils n'avaient pas prévu que je fasse. Je suppose que l'entraînement en URSS m'a appris à sortir des sentiers battus », a relaté Dobson.

Lorsque la fugitive est arrivée au Botswana, elle a soudain remarqué une filature et a compris que ce n'était qu'une question de temps avant que les agents du gouvernement sud-africain ne l'appréhendent.

« Je savais que j'étais sous surveillance. J'arrivais à Gaborone lorsque j'ai remarqué la filature. Il y avait une voiture sud-africaine à mes trousses. J'ai compris que l'on approchait probablement du moment où ils allaient procéder à l'arrestation. J'ai réussi à me rendre dans un hôtel, un Holiday Inn à Gaborone. J'ai pris une chambre, je suis montée à l'étage, j'ai vérifié la surveillance, j'ai remarqué que la voiture était garée dans le parking, avec la mienne. J'ai alors compris que je n'avais pas beaucoup de temps. J'ai pris l'annuaire téléphonique et j'ai cherché le numéro de l’ambassade soviétique, sachant qu'il n'y avait pas de plan B. Je n'avais pas d'instructions sur ce qu'il fallait faire si les choses tournaient mal. Il était tard dans la soirée. J'ai tenté ma chance et ai espéré que quelqu'un répondrait. Et ils l'ont fait ».

« Je les ai salués en russe. J'ai expliqué qui j'étais, j'ai parlé du danger et j'ai dit : "S'il vous plaît, pourriez-vous m'aider, car personne d'autre n'a pu m'aider ?". L'homme au téléphone a dit : "Retrouvez-moi en bas dans 20 minutes. C'est ce que j'ai fait. Je suis sortie par l'entrée arrière de l'hôtel et j'ai attendu. Une voiture s'est approchée de moi et quelqu'un m'a dit de monter. Je ne savais pas si c'était lui, je prenais un risque absolu. Il s'est identifié et j'ai entendu son accent. Il était Russe. Puis il m'a conduit au complexe soviétique de Gaborone », s’est remémoré Dobson.

Elle est restée dans l'enceinte soviétique pendant quelques jours avant que les Russes ne la fassent monter dans un avion à destination de Londres.

« Ils m'ont mis sur un vol pour le Royaume-Uni. Mais c'était juste à la dernière minute. Juste avant la fermeture de la porte, ils m'ont fait passer en urgence. Il y a eu un arrangement avec la sécurité de l'aéroport. Je me souviens que mon ami russe a parlé à l'homme à la porte d’embarquement et qu'il m'a fait signe de passer. J'ai réussi à me rendre au Royaume-Uni en toute sécurité », résume Sue.

Dobson dit qu'elle a choisi Londres, parce que ce lieu avait été discuté auparavant avec son responsable. Si on lui avait offert l'asile en Union soviétique, elle aurait peut-être reconsidéré sa décision.

« Je suppose que j'étais prête à aller au Royaume-Uni, mais si l'invitation avait été faite, j'aurais été très tentée de me rendre en URSS », a-t-elle en effet déclaré.

Aujourd'hui, Sue Dobson mène une vie tranquille au Royaume-Uni. Bien qu'elle se soit rendue dans son pays natal, l'Afrique du Sud, une fois hors de danger, elle n'a jamais eu l'occasion de retourner à Moscou ou de remercier personnellement ses instructeurs et le diplomate soviétique qui était venu à son secours au Botswana. Cette femme espère qu'en publiant son histoire, ses mots de gratitude pourront parvenir jusqu’à eux.

« Je veux dire merci aux personnes qui m'ont formée, qui se sont occupées de moi et qui m'ont sauvée. Parce qu'ils ont fait une telle différence dans ma vie. Je n'aurais pas été capable de faire les choses que j'ai faites ou d'avoir la vie que j'ai eue sans ces personnes. Je leur suis immensément reconnaissante ».

Bientôt, l'histoire de Sue Dobson sera enfin racontée, à la fois sous forme de livre et de film. Selon elle, cela constituera une contribution importante à l'histoire de l'Afrique du Sud. Quant à ses sentiments pour la Russie, elle porte toujours dans son cœur ce pays qui a joué un rôle crucial dans sa vie, aussi bref qu'ait été son séjour à Moscou.

« J'aurais aimé y retourner. J'aimerais toujours y retourner », conclut-elle.

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