Comment les agents britanniques ont travaillé au déchiffrement des codes secrets soviétiques

Histoire
NIKOLAÏ CHEVTCHENKO
Les deux camps ont remporté de multiples victoires au cours de l'affrontement entre services de renseignements rivaux.

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Le 12 mai 1927, le travail de l'ARCOS (All-Russian Co-operative Society) – un organisme commercial soviétique créé à Londres pour superviser les échanges commerciaux entre l'URSS et le Royaume-Uni – a été interrompu.

À 16h20 ce jour-là, des policiers britanniques en uniforme et en civil ont pénétré de force dans l’institution, ont arrêté ses employés, ont confisqué tous les documents et ont pris possession du central téléphonique. Les pièces fermées à clé et les coffres-forts ont été percés avec du matériel de forage.

Les officiers qui ont mené la perquisition ont également découvert une salle de cryptage secrète et ont récupéré des documents qui, selon la police britannique, confirmaient que l'ARCOS servait de façade à des activités d'espionnage au Royaume-Uni, en Amérique du Sud et du Nord, en Afrique, et même en Australie.

La raison de cette descente était un tuyau du MI6 (Service de renseignement secret) et du MI5 (Service de sécurité) reçu de la Government Code and Cypher School (École gouvernementale du chiffre et du code), une agence de renseignement britannique ayant résulté de la fusion, en 1919, de certains membres du personnel du renseignement militaire en une seule agence de décryptage. À partir de ce moment, une guerre de longue durée a éclaté entre les décrypteurs britanniques et soviétiques.

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Ennemis

Dès les premiers jours de son existence, la Government Code and Cypher School – aujourd'hui communément appelée GCHQ – a été chargée d'intercepter et de déchiffrer les communications de l'Union soviétique. Londres devait savoir quelles étaient les relations de l'URSS avec les mouvements ouvriers de gauche en Grande-Bretagne et dans d'autres pays d'Europe et du monde.

Le tuyau qui a abouti au raid, et au scandale politique et d'espionnage qui a suivi, connu sous le nom d'Affaire ARCOS, est venu de la GCHQ lorsqu'elle a réussi à déchiffrer les codes de communication soviétiques peu après la Révolution russe de 1917.

Le déchiffrage des messages secrets du premier gouvernement soviétique n'a pas été une tâche difficile pour les Britanniques. Ils ont en effet utilisé l'aide d'officiers tsaristes désenchantés et ayant fui la guerre civile, puisque les nouvelles autorités soviétiques avaient recours à l'ancien système de codage en vigueur dans la Russie impériale et ne l'avaient que légèrement amélioré.

Pendant quelques années, les services de renseignement britanniques ont ainsi pu lire les messages soviétiques secrets, y compris ceux qui entraient et sortaient de la société commerciale soviétique ARCOS, où, selon le MI6, étaient détenus des manuels d'entraînement aux signaux classifiés britanniques, obtenus illégalement auprès de militaires d'Aldershot, ville du Sud du pays abritant un important complexe des forces armées britanniques.

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Amis

Le raid et l'affaire ARCOS ont provoqué une grave crise dans les relations britannico-soviétiques. En justifiant le raid sur l'ARCOS soviétique devant la Chambre des Communes (chambre basse du Parlement du Royaume-Uni), le premier ministre Stanley Baldwin a révélé par inadvertance que les services secrets britanniques avaient réussi à déchiffrer les communications secrètes soviétiques.

La partie soviétique a réagi et a rapidement modifié son système de chiffrement : à partir de ce moment, les diplomates, espions et autres fonctionnaires soviétiques en mission clandestine ont commencé à utiliser des codes à usage unique pour transmettre des messages. La communication soviétique actualisée était pratiquement impossible à déchiffrer.

La Seconde Guerre mondiale a toutefois fait des anciens ennemis – le Royaume-Uni et l'URSS – des amis, unissant leurs forces dans la lutte contre l'ennemi commun, l'Allemagne nazie. De nombreux spécialistes du cryptage soviétique ayant été exécutés au cours des purges de Staline, les dirigeants soviétiques se sont appuyés sur des informations acquises auprès du gouvernement britannique, mais aussi auprès de taupes soviétiques au sein de l'establishment britannique, telles que Kim Philby, qui dirigeait incognito le département anti-communiste des services secrets du Royaume-Uni.

De leur côté, les nazis ont été incapables de déchiffrer les codes soviétiques pendant la Seconde Guerre mondiale – un exploit qui témoigne de la bravoure et de la rigueur des cryptographes d’URSS.

La bataille de la guerre froide

L'amitié de courte durée des cryptographes britanniques et soviétiques a pris fin avec le début de la guerre froide. Les services de renseignements britanniques ont alors pris les armes avec leurs collègues américains pour tenter de déchiffrer codes et messages soviétiques.

Bien que le nouveau système soviétique de chiffrement fût inexplicable de l'extérieur, une erreur interne du NKVD (Commissariat du peuple aux Affaires intérieures) soviétique a fait que les clés à usage unique contenant des répétitions ont été compilées dans un seul livre, ce qui a permis aux renseignements britanniques d'exploiter le système en 1946 et de déchiffrer les communications des forces terrestres et aériennes soviétiques, ainsi que celles de la marine.

Grâce à ses propres agents doubles dans la communauté du renseignement britannique, l'Union soviétique a cependant eu vent de la fuite en 1948 et a modifié les codes ainsi que les procédures de communication utilisés par les pays du pacte de Varsovie, cette organisation vouée à faire contrepoids face à l’OTAN.

Depuis lors, les services de renseignement britanniques n'ont pas révélé de percée importante dans le déchiffrage des communications secrètes soviétiques ou russes.

Dans cet autre article, nous revenions sur les trois plus grands fiascos du renseignement soviétique.