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1940 – pour le Pacte germano-soviétique de non-agression
Année 1939. Une guerre était imminente. Hitler venait de prendre la Tchécoslovaquie et les futurs alliés – la France, la Grande-Bretagne et l'URSS – négociaient un traité de défense multilatéral pour tenter d'arrêter l'Allemagne nazie.
Néanmoins, les pourparlers piétinaient. La France et la Grande-Bretagne craignaient que Staline n'utilise l'aide militaire comme prétexte pour occuper les États voisins – elles n'avaient pas oublié l'idée originale des communistes d'une révolution mondiale. En outre, ils se demandaient si, après les purges, l'Armée rouge était réellement capable de se battre. Comme l'a écrit le premier ministre britannique de l'époque, Neville Chamberlain, à son ami : « Je dois avouer la plus profonde méfiance à l'égard de la Russie. Je ne crois absolument pas en sa capacité à maintenir une offensive efficace, même si elle le voulait ».
Staline, pour sa part, soupçonnait que les deux autres espéraient orienter l'expansion d'Hitler vers l'Est – de sorte que les communistes et les nazis s'affaiblissent mutuellement, épargnant ainsi à l'Europe occidentale tous les problèmes. Lui aussi avait toutes les raisons de douter d'eux – la France et la Grande-Bretagne venaient de trahir leur allié, la Tchécoslovaquie, et étaient restées inactives alors qu’Hitler soutenait les fascistes en Espagne, annexait l'Autriche et mettait le traité de Versailles en pièces.
C'est dans ce climat que Staline a fait un dernier pari – et a choisi un pacte de non-agression avec Hitler plutôt qu'une perspective d'alliance avec Paris et Londres, qui semblait bien incertaine. Avec ce pacte, il a gagné du temps pour préparer la guerre et, conformément au protocole secret, a déplacé les frontières soviétiques de plusieurs kilomètres vers l'ouest, annexant les pays baltes, la Pologne orientale et certaines parties de la Roumanie – soit à peu près les frontières de l'ancien Empire russe. De son côté, Hitler sécurisait le front de l'Est et était libre de faire la guerre à l'Ouest.
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Les deux dirigeants ont également relancé la coopération économique qui avait fortement diminué après l'arrivée au pouvoir d'Hitler en 1933. Quatre jours avant le traité de non-agression, Moscou et Berlin ont en effet signé un accord commercial massif en vertu duquel l'URSS devait fournir au Troisième Reich des matières premières en paiement de ses machines et de ses équipements d'usine. Pour Staline, cela signifiait qu'il pouvait compter sur la technologie allemande pour achever l'industrialisation de l'URSS, tandis qu'Hitler, de son côté, avait accès aux vastes réserves de matières premières soviétiques pour maintenir son économie de guerre.
Dire que le pacte a été un choc est un euphémisme. Le Time Magazine l'a qualifié de « démarche diplomatique qui a littéralement bouleversé le monde » et a nommé Staline « Homme de l'année » pour avoir à lui seul « modifié l'équilibre des pouvoirs en Europe » et ainsi ouvert la voie à l'Allemagne pour déclencher la Seconde Guerre mondiale.
« En sanctionnant d'un seul coup une guerre nazie et en devenant par la suite le partenaire d'Adolf Hitler dans l'agression, Joseph Staline a jeté par la fenêtre la réputation méticuleusement entretenue de la Russie soviétique de nation pacifique et respectueuse des traités », peut-on lire dans le magazine, qui déplore la démarche de Staline après des années de lutte contre les nazis.
La presse européenne a été tout aussi surprise. Le Guardian britannique a qualifié cette action de « défection de la Russie » et a laissé entendre que l'URSS et l'Allemagne avaient pu convenir de diviser les sphères d'influence en Europe de l'Est. En France, le journal Paris-soir a déclaré que les travailleurs des usines et fabriques « se frottaient les yeux en lisant les nouvelles » et a comparé le pacte à une « bombe qui a explosé sur le front diplomatique européen ».
Pendant ce temps, la presse soviétique a eu son propre choc – après des années de dénigrement du Troisième Reich en tant qu'« envahisseurs fascistes » et « agresseurs », elle a dû soudain utiliser un langage beaucoup plus modéré, comme « troupes allemandes » ou « Allemands ». Néanmoins, la plupart des journaux ont fait l'éloge du pacte de non-agression comme un pas vers la paix et ont publié le discours du ministre des Affaires étrangères Molotov en première page.
Il y accusait Londres et Paris de « lenteur » et de « négligence » dans les négociations d'alliance, ce qui, selon lui, ne laissait guère d'autre choix à Moscou que de chercher « d'autres moyens de garantir la paix et d'éliminer le risque d'une guerre entre l'Allemagne et l'URSS ». C'est là, selon lui, le sens ultime du traité : mettre fin à l'animosité entre les deux plus grands pays d'Europe et, par conséquent, renforcer la paix.
Le Time, cependant, avait sa propre idée sur les raisons pour lesquelles Staline avait conclu un accord avec Hitler. « Pendant longtemps, les Russes ont été obsédés par le cauchemar d'une combinaison de nations capitalistes qui se retourneraient contre elle », peut-on lire dans ses pages, suggérant que c'est peut-être « cette peur obsédante » qui a poussé Staline « à prendre des mesures... contre une attaque facile ».
Aujourd'hui encore, les historiens débattent des implications réelles du pacte. A-t-il renforcé la défense soviétique contre les nazis ou prouvé l'expansionnisme de Staline ? Staline aurait-il dû faire confiance à la Grande-Bretagne et à la France ? Ou a-t-il été plus malin qu'eux dans leur propre jeu de pouvoir ? Le saurons-nous jamais avec certitude ?
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Il est à noter que ce débat n'est pas toujours polarisé sur les lignes de démarcation entre la Russie et l'Occident, bien que les deux parties aient leur propre approche mainstream de ces événements. Les universitaires américains et européens considèrent souvent le traité comme l'unique acte vicieux qui a déclenché la Seconde Guerre mondiale. C'est ce que soutient l'auteur américain Timothy Snyder : « Nous ne savons pas comment la guerre aurait pu se dérouler sans le traité... ce que nous savons, c'est que la guerre telle qu'elle s'est réellement déroulée, avec toutes ses atrocités, a commencé par une alliance germano-soviétique ».
Certains vont plus loin et affirment qu'en raison du pacte, Staline et Hitler sont tous deux responsables de toutes les horreurs de la guerre qui a suivi – un avis qui trouve un écho dans la résolution de l’Union européenne en 2019, qui affirme que « la guerre a été déclenchée comme un résultat immédiat du tristement célèbre traité nazi-soviétique de non-agression... par lequel deux régimes totalitaires qui partageaient l'objectif de la conquête du monde ont divisé l'Europe en deux zones d'influence ».
Les historiens russes réfutent avec véhémence cette position, affirmant que le pacte n'était que le dernier d'une série de mesures politiques égoïstes et à courte vue qui ont permis à Hitler de s'en sortir. « La collusion avec Hitler a été un scénario testé d'abord par les démocraties occidentales », écrit ainsi Artiom Malguine de l'Institut d'État des relations internationales de Moscou. Les actions soviétiques, affirme-t-il, étaient tout aussi cyniques que la politique d'apaisement de la France et de la Grande-Bretagne, mais « l'URSS a eu recours à la collusion avec Hitler alors qu'elle était confrontée à une menace militaire beaucoup plus importante sur son propre territoire et à une époque où l'Allemagne était bien mieux préparée à la guerre ».
Le président russe Vladimir Poutine, dans son article de 2020 pour la publication Intérêt national, souligne que « contrairement à beaucoup d'autres dirigeants européens de l'époque, Staline ne s'est pas déshonoré en rencontrant Hitler, qui était connu parmi les nations occidentales comme un homme politique assez réputé et qui était un invité bienvenu dans les capitales européennes ».
Une chose est claire, cependant : les événements qui ont suivi ont coûté cher aux nations d'Europe de l'Est. Après que Staline eut annexé leurs territoires, il a commencé à procéder à des arrestations et à des déportations massives pour écraser toute résistance avant qu'elle ne prenne forme. En Pologne, 22 000 officiers ont été exécutés lors du massacre de Katyn et quelque 325 000 citoyens ordinaires ont été envoyés dans des colonies et des camps spéciaux entre septembre 1939 et juin 1941, selon les estimations du groupe de défense des droits internationaux Memorial. En Estonie, 10 000 personnes ont été déportées au cours de la même période, tandis que la Lettonie et la Lituanie ont vu respectivement 17 000 et 17 500 de leurs citoyens emmenés. Au moins 30 000 individus ont également été déportés des régions annexées de Roumanie.
En 1989, l'Union soviétique a condamné les protocoles secrets du pacte, affirmant qu'ils étaient illégaux et violaient la souveraineté et l'intégrité territoriale d'autres nations. En 1940, le magazine Time a rendu un jugement beaucoup plus sévère en déclarant qu'en attaquant ses voisins, Staline avait trahi les socialistes du monde entier et avait égalé le Führer « en tant qu'homme le plus détesté du monde ».
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1943 – pour la défense héroïque de Stalingrad
Mais quelle que soit la représentation accablante que le Time ait donnée de Staline en 1939, trois ans plus tard, il découvrira son autre facette – celle d'un leader à la volonté de fer, d'un homme d'État infatigable qui s'oppose fermement aux hordes nazies et les transforme « en poussière ».
En fait, le magazine avance que Staline a sauvé non seulement la Russie, mais aussi tout le continent européen, par la façon dont il a tenu tête à Stalingrad.
« Si les légions allemandes avaient balayé Stalingrad et liquidé la puissance d'attaque de la Russie, Hitler aurait été non seulement l'homme de l'année, mais il aurait été le maître incontesté de l'Europe, peut-on lire dans Time, qui décrit la plus grande et la plus sanglante bataille de toute la Seconde Guerre mondiale. Mais Joseph Staline l'a arrêté ».
En effet, c'est dans les rues brûlées et ensanglantées de Stalingrad que les Soviétiques ont brisé l'épine dorsale de la machine de guerre d'Hitler. Au total, l'Allemagne et ses alliés y ont vu périr jusqu'à 850 000 de leurs combattants – tués au combat, blessés ou capturés. L'Armée rouge a payé un prix plus lourd – 1,1 million de victimes, incluant celles qui ont reçu des blessures graves et sont mortes sur le champ de bataille ou en captivité.
Les pertes civiles sont également conséquentes, car des gens sont morts par milliers sous les bombardements impitoyables, de maladie et de faim, ou directement aux mains des envahisseurs. En 1943, une commission d'État spéciale chargée d'enquêter sur les crimes nazis dans la région a signalé que 38 554 citoyens ordinaires de la région de Stalingrad avaient été délibérément tués ou torturés à mort par les forces d'occupation, tandis que 42 797 étaient morts des bombardements et que 64 224 avaient été emmenés en Allemagne pour y être réduits en esclavage. Aujourd'hui, les historiens disent que le nombre réel est peut-être plus élevé – certains estiment qu'au moins 235 000 civils sont morts dans la ville et dans la région au cours de la bataille, bien que la question reste largement sous-étudiée.
Pourtant, après 5 mois de combats brutaux, Staline a infligé à Hitler une défaite dont le führer ne se remettra pas. Et il l'a fait, soutient le Time, en ne comptant que sur la seule force de la volonté – la sienne et celle du peuple russe.
Une grande partie de ses armées a disparu, ainsi que les terres agricoles et les industries ; des millions de personnes ont été emmenées au front, si bien que chez eux, les hommes coupaient maintenant le bois et travaillaient dans les usines aux côté des femmes et souvent des enfants. L'aide américaine arrivera trop tard, perturbée par les attaques allemandes sur les routes et un second front européen n'ouvrira pas avant 1944...
« Seul Staline sait comment il a réussi à faire de 1942 une meilleure année pour la Russie que 1941, assure l'article du Time, Mais il l'a fait... Stalingrad a été tenu. Le peuple russe a tenu ».
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« La magnifique volonté du peuple russe de résister » était la clé, mais l'infatigable habileté politique et diplomatique de Staline l'était aussi, écrit le Time. Alors que son peuple, sous-alimenté et surchargé de travail, luttait dans des batailles, il a conçu des stratégies, choisi des chefs d'armée compétents et stimulé le moral de la nation en promettant l'aide des Alliés.
Cette dernière ne s'est toutefois pas toujours déroulée sans heurts. À l'automne 1942, alors que les livraisons d'aide via la route de l'Arctique étaient suspendues et que la bataille de Stalingrad faisait rage, Joseph Staline a rédigé une lettre au correspondant de l'AP à Moscou, Henry Cassidy, exhortant les dirigeants occidentaux à « remplir leurs obligations pleinement et à temps ». Il a aussi qualifié l'aide des Alliés de « peu efficace », par rapport à « l'aide que l'Union soviétique apporte aux Alliés en attirant sur elle-même la principale force du fascisme allemand ».
Ainsi, les usines que Staline avait construites dans son impitoyable et révolutionnaire processus d’industrialisation ont joué un rôle majeur en 1942, où l'URSS ne tenait qu'à un fil et ne pouvait pas beaucoup compter sur les Alliés. Comme le dit le magazine, la force surprenante de l'URSS pendant la Seconde Guerre mondiale a montré que Staline, en effet, a réussi à faire de la Russie « l'une des quatre grandes puissances industrielles de la planète ». Le Time est même allé jusqu'à affirmer que les méthodes « dures » de Staline avaient « payé » - une chose impensable à dire étant donné le coût humain horrible de ses grands projets.
Stalingrad a sans aucun doute retourné les marées de la Seconde Guerre mondiale contre Hitler. Il est vrai que les forces alliées ont remporté d'autres victoires cruciales en 1942 : les Britanniques ont battu l'Allemagne à El Alamein en Afrique du Nord et les Américains ont repoussé avec succès le Japon dans le Pacifique. Mais, comme le dit le Time, leurs exploits, « aussi méritoires soient-ils... sont inévitablement pâles en comparaison de ce qu'a fait Joseph Staline en 1942 ».
Les voici donc, deux numéros du Time et deux histoires sur la façon dont Joseph Staline a horrifié et stupéfié le monde – d'abord en tant que tyran brutal, puis en tant que combattant acharné menant sa nation à la victoire. Opportuniste et homme d'État avisé, dictateur impitoyable et défenseur de la Mère Patrie, architecte de purges massives et homme de l'industrialisation, 80 ans plus tard, le monde se demande encore quelle partie de son héritage il faut retenir.
Dans cet autre article, nous vous narrons comment Staline a tenté de mettre la main sur une partie de l’Iran.