Comment j’ai défendu Stalingrad

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La bataille de Stalingrad a été un véritable carnage pour les armées soviétique et allemande. Rares sont ceux qui ont pu traverser du premier au dernier jour le plus terrible face-à-face de l'histoire de l'humanité.

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Plus d'un million de soldats soviétiques ont pris part à la bataille de Stalingrad, qui a été cruciale pour toute la Seconde Guerre mondiale. Certains ont essayé d'arrêter l'ennemi à la périphérie de la ville, d'autres ont dû se battre pour chaque immeuble et chaque rue, d'autres encore ont fini par porter un coup fatal à la plus puissante armée allemande du front de l'Est – la 6e armée de Paulus. 

Après avoir pris connaissance de dizaines de mémoires des soldats de l'Armée rouge qui ont participé à la bataille, nous avons imaginé à quoi aurait pu ressembler ce conflit à travers les yeux d'un simple soldat ayant participé à tous ses épisodes clés, du début à la fin de ce cauchemar.

Rencontrez notre héros, le Sibérien Mikhaïl Nekrassov, 20 ans, membre d’une division de fusiliers. Tout juste appelé dans les rangs de l'Armée rouge, il fera son baptême militaire dans la pire bataille de l'histoire. Son journal est basé sur les souvenirs de fantassins, de conducteurs de chars, d’opérateurs radio, d’artilleurs et de soldats d'autres branches de l'armée, qui ont réussi à briser la Wehrmacht dans cette ville sur les rives de la Volga.

Vue sur la Volga et la ville de Stalingrad (aujourd'hui Volgograd), détruite par les nazis, 1942

23 août 1942

On vient d’arriver à Stalingrad, tout droit en enfer. Des centaines de bombardiers allemands transforment la ville en un cauchemar ardent. Tout ce qui peut brûler brûle. Même la Volga, du pétrole en flamme se déversant dans le fleuve depuis les réservoirs endommagés.

3 septembre 1942

Sous les bombardements et les tirs d'artillerie, nous traversons vers la rive ouest de la Volga. Il est difficile de voir ce qui se passe de l’autre côté, seules se dessinent les lignes des bâtiments, détruits en fragments de briques, de rondins de bois et de ferraille, et puis les cimes noires des arbres. Nous nous établissons dans ces ruines. Ici, presque sur la berge, se trouve le quartier général de notre 62e armée.

Des soldats russes pendant la bataille de Stalingrad

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12 septembre 1942

L'aviation allemande survole la ville jour et nuit. Il n'y a pas moyen d'échapper à ce grondement. Un seul désir persiste : s'enfouir profondément dans le sol, le ronger et le creuser avec ses ongles pour se fondre avec lui, pour devenir invisible. Il n’y a presque plus d’avions alliés, parfois des « Ishak » (I-16) tentent d'intervenir, mais volent en éclats sous le feu des « Messerschmitt ».

15 septembre 1942

Devant la formation, le commandant du 1345e régiment, le major Joukov, et le commissaire du régiment, l'officier politique supérieur Raspopov, ont été abattus : « Attaqués par l'ennemi, ils se sont dégonflés au combat, ont abandonné le régiment et se sont honteusement enfuis du champ de bataille ». Les lâches sont méprisés. Tout le monde a peur, mais tout le monde ici se bat. Et ceux-là ont reçu leur dû…

Lors d’un raid de l'aviation allemande

19 septembre 1942

L'infanterie ennemie s'est dirigée vers le centre-ville et quelque part vers la rivière. Il y a eu un ordre de reprendre le bâtiment de la Banque d'État, d'où les Allemands avaient toute la Volga comme dans la paume de leur main. La 13e division de fusiliers de la Garde a pris d'assaut l’unité de blocage, nous l'avons soutenue. Les démineurs, sous le couvert de mitrailleurs, ont apporté des caisses de TNT jusqu'au bâtiment. Après l'explosion, les escouades d'assaut ont fait irruption et ont intercepté la garnison stupéfaite. Les unités de blocage à Stalingrad sont en guerre au même titre que les unités ordinaires. Le commandement les utilise principalement comme réserve, et non pour leur usage initial. Et malgré ça, il n'y a pas assez d'hommes !

3 octobre 1942

Les combats sont pour chaque immeuble, chaque rue. Le jour et la nuit. Il n'y a plus de peur, elle s’est émoussée. Le sentiment d'être proche de la mort est constant. Il y a un sentiment de désespoir et d'indifférence. Notre char touché se dresse là, quelque chose brûle et explose à l'intérieur. Le contremaître s'approche du véhicule en feu avec une marmite de bouillie et la dépose sur le blindage pour la réchauffer. On s'habitue à tout...

Combat de rue dans la ville de Stalingrad

7 octobre 1942

Parfois, nous voyons nos chars T-34 et KV avec des croix allemandes sur les tours. Une fois, au crépuscule, plusieurs de ces chars capturés par les Allemands ont fait une brèche dans la colonne des nôtres en route pour être réparés. Sur le territoire de l'usine de tracteurs, ils se sont tenus dans les coins et ont ouvert le feu. Ils ont causé beaucoup de dégâts avant d'être détruits. Nos soldats sont des héros, bien sûr, mais les Allemands réalisent aussi parfois des sacrifices fanatiques.

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23 octobre 1942

Le commandement s'est fixé pour tâche de garder à tout prix le territoire des usines « Barricades » et « Octobre Rouge ». Juste derrière ces complexes géants se trouve la Volga. Si nous les perdons, nous perdons la ville. Cependant, c'est plus facile à dire qu'à faire. Malgré notre obstination, les Allemands nous poussent vers le fleuve.

11 novembre 1942

Tous les ateliers de l’usine « Barricades » ont été perdus. Les restes de notre division ont réussi à s'accrocher en bordure du site. L'ennemi a massacré la division voisine et nous a bloqués de trois côtés sur une petite parcelle de terre. Derrière nous, il y a la Volga. La communication avec le reste du territoire n'est assurée que par bateaux.

Des soldats soviétiques tirent sur les nazis qui s'étaient barricadés dans des bâtiments à la périphérie de la ville

18 novembre 1942

Nous nous accrochons aux dernières forces. Tout notre petit « îlot » est balayé par l'ennemi de part en part. Le jour les Allemands effectuent des assauts et, la nuit, ils tentent de percer des tunnels. Nous nous battons au corps à corps. Toutes les caves sont remplies de cadavres. Avec la nourriture que nous avons en poche, l’on ne peut se mettre sous la dent qu'un biscuit sec par jour. Les bateaux essaient de livrer des fournitures et de ramasser les blessés, mais subissent de lourdes pertes. La nuit, nos avions larguent leurs cargaisons, mais manquent leur cible la plupart du temps. Il n'y a pas assez de munitions, nous nous battons avec des armes arrachées à l’ennemi. Lorsque nos hommes se sentent trop mal, ils implorent sur eux-mêmes le feu de notre artillerie, basée sur l’île Zaïtsevski.

22 novembre 1942

La bonne nouvelle est enfin arrivée. Il s'avère que depuis quelques jours, à la périphérie de la ville, notre compagnie mène l'opération Uranus – une offensive contre les troupes roumaines couvrant les flancs de l'armée allemande. Il y a toutes les raisons d'espérer un succès. Les troupes roumaines sont moins bien équipées et moins efficaces à la guerre que la Wehrmacht. Cela nous a donné un peu de répit. Les Allemands se sont calmés, ils n'attaquent plus nos positions. 

Stalingrad. Décembre 1942. Combats près de l'usine Octobre rouge

29 novembre 1942

Nous avons reçu l'ordre d'attaquer. La division va maintenant libérer le territoire de l'usine et se déplacer vers le centre de Stalingrad. Je n'y participe pas – moi et quelques soldats sommes appelés hors de la ville pour renforcer « Uranus ».

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19 décembre 1942

Un vrai cauchemar ! Près du village de Verkhnié-Koumsk, les chars de Manstein, essayant de débloquer leurs hommes à Stalingrad, ont percé notre défense. Nous sommes encore dix. Nous sommes arrivés au bord du champ. C'est là que se trouve notre artillerie, silencieuse. Nous leur crions : « Pourquoi vous ne tirez pas, bande de salauds ?! ». Ils répondent : « Nous n’avons que trois munitions par canon. Les ordres sont de ne tirer qu’à vue ».

Cette nuit, les Allemands nous ont encerclés. Nous ne savons pas où d'autre percer. Il y a un bruit de moteur, on entend un discours allemand. On nous a remarqués, ils ont ouvert le feu. Je ne peux pas vous dire depuis combien de temps nous courons. À demi inconscients, on pénètre dans un village. Un homme portant une veste de camouflage blanche vient à notre rencontre. Je l’attrape à la poitrine, je le secoue, je lui crie au visage : « Qui es-tu ?! ». Il a peur, il ne parle pas. Je l’attrape par sa coiffe, et dans ma paume s’enfonce quelque chose de pointu... l’étoile de l'Armée rouge ! Les soldats m'ont avec peine séparé de lui. Et l'offensive des Allemands a finalement été repoussée – les gars de la 2e armée de la Garde sont arrivés en renfort.

Des soldats de l'Armée rouge pendant l'attaque

24 décembre 1942

Nous escortons les chars de la 170e brigade de chars. Nous avons une coopération mutuellement bénéfique avec les tanks. Pendant la journée, ils nous couvrent, mais la nuit, les chars sont aveugles, et nous sommes leurs yeux et leurs oreilles. Nous avons pris les fermes Khlebny et Petrovski. À 5 heures du matin, il y a une alarme. L'ennemi a été aperçu dans la plaine entre les fermes. Les restes de la 8e armée italienne sortent des environs. Dès que les unités de front ont été à égalité avec nous, un ordre a retenti dans les colonnes : « En avant ! Poussez ! ». Nous avons effectué une frappe sur les deux flancs avec nos chars massifs et avons littéralement écrasé les Italiens. On suit derrière, donnant les coups de grâce. C'est un genre de cauchemar que je n'ai jamais vu auparavant. Les chars recouverts de chaux pour être camouflés sont, sous les tours, complètement rouges, comme s'ils avaient baigné dans le sang. Sur les chenilles, une main s’est accrochée, un morceau de crâne...

Une unité soviétique se bat contre les forces ennemies qui avancent sur Stalingrad

Le 27 janvier 1943

Nous marchons le long des ruines de Stalingrad. Nos troupes viennent de diviser la 6e armée en deux groupes. Maintenant, il ne leur reste plus beaucoup de temps ! On trouve des centaines de selles dans l'un des bâtiments. Il s'est avéré que la 1ère division de cavalerie roumaine est passée à la casserole. Les Boches ont mangé tous les chevaux – ils ont fait un dernier festin.

31 janvier 1943

Le groupe ennemi du Sud a capitulé dans le centre-ville avec Friedrich Paulus en personne. Les Allemands dans la zone de l'usine de tracteurs tiennent toujours bon. Les rues sont pleines de cadavres. Les caves sont remplies de blessés, qui meurent de froid et de faim. Nos médecins les aident chaque fois que cela est possible. Les soldats marchent dans les rangs, attrapent les SS (bien qu'ils soient très peu nombreux) et les traîtres transfuges. Ils ne sont destinés qu'au gel et à une balle dans le front.

Rencontre. Des officiers soviétiques passent devant des prisonniers allemands. Deuxième à droite : le lieutenant-général Vassili Tchouïkov. Stalingrad, janvier 1943.

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2 février 1943

Soudain, la canonnade d'artillerie, qui a duré des mois, a pris fin, celle-là même qui semblait ne pouvoir jamais s’arrêter. Un silence si perçant et insupportable s’est installé qu'il a rendu nos oreilles malades. Un joyeux soldat est arrivé en courant et criant : « Ça y est ! La guerre est finie ! ». Le groupe d'Allemands du Nord s'est rendu. Quelqu'un pleurait, quelqu'un riait. Beaucoup se sont tus. Nous savions que ce n'était pas encore fini. Mais Stalingrad nous a montré de façon convaincante quelque chose que personne n'avait jamais cru auparavant : on peut battre un Allemand !

Cimetière du village de Bouzinovka, où sont enterrés les soldats et officiers allemands morts lors de la bataille de Stalingrad

Ouvrages utilisés : A. Drabkine. Je me suis battu à Stalingrad. Révélations de survivants. M., 2012 ; A. Issaïev. Stalingrad. Au-delà de la Volga il n’y a pas de terre pour nous. M., 2018

Dans cet autre article, nous nous penchons sur la précision historique du célèbre film Stalingrad.

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