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L'URSS était un pays de paradoxes, même en termes de droit - surtout en ce qui concerne le droit. Sur le papier, il a donné à ses citoyens des droits très étendus dès 1936, lorsque la « constitution de Staline » a été adoptée. Elle garantissait toutes les libertés fondamentales : d’expression, de presse, de réunion et de manifestation, plus, bien sûr, l'inviolabilité de la personne.
Rien de tout cela n’a fonctionné. Les tribunaux soviétiques, capables de fonctionner en tant qu’institutions qualifiées tant que la politique n’était pas impliquée, se transformaient en spectacles honteux dans tous les procès auxquels le Parti communiste ou le gouvernement (les deux étaient assez proches) étaient un tant soit peu impliqués.
L'avocate Dina Kaminskaïa (1919-2006) le savait mieux que quiconque, mais a participé à des procès politiquement connotés, protégeant ceux qui avaient le moins de chances de gagner leur bataille contre le système : des dissidents qui osaient affronter les autorités soviétiques. Pourquoi l'a-t-elle fait, et cela a-t-il changé les choses ?
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Face à la justice de Staline
Dans son autobiographie Notes d’un avocat, Kaminskaïa admet qu’elle a eu de la chance. « Mes parents sont morts de vieillesse sans faire face à la prison ou aux camps de travail. C’était une grande chance dans leur cercle de l’intelligentsia ». Les terribles purges de Staline (au moins 780 000 personnes exécutées, 3,8 millions d'emprisonnés, selon les estimations les plus prudentes) ont laissé sa famille intacte.
La campagne d'antisémitisme d'après-guerre lancée par Staline n'a pas non plus atteint la famille de Kaminskaïa, mais a tué un de ses amis proches en 1952. Le scientifique Valentin Lifschitz, qui avait critiqué la politique de Staline, a été trahi et calomnié par un collègue qu'il considérait comme digne de confiance – ce dernier a affirmé devant les tribunaux que Lifschitz avait l'intention d'assassiner Staline. Lifschitz a été jugé et exécuté par un peloton d'exécution malgré des accusations absurdes. Elles ont été retirées peu de temps après la mort de Staline.
À ce moment-là, Kaminskaïa travaillait déjà comme avocate de la défense depuis 11 ans. Ce n’était un travail ni facile ni prestigieux : comme elle l'a fait remarquer, « la simple profession d'avocat de la défense, qui défend une personne contre les poursuites de l'État, était étrangère à l’ensemble du système ». Mais pour surmonter la peur qui régnait sur elle pendant l'ère terrifiante de Staline, Kaminskaïa a travaillé dur afin de protéger les droits des personnes les plus vulnérables.
Nouvelle ère
Il est important de se rappeler que la marée s'est inversée après la mort de Staline en 1953. L'État soviétique, bien qu'il fût resté dominé par l'idéologie communiste et l'intolérance envers l'opposition, a commencé à utiliser des moyens relativement plus humains : au lieu de tuer massivement ses ennemis, il les envoyait en prison. Les années 1960 ont été marquées par l'apparition des premiers dissidents politiques, des personnes assez courageuses pour affronter l'État soviétique.
« Les dissidents agissaient ouvertement, sous les yeux de la presse étrangère, leurs actions devenaient publiques et l'État n'avait d'autre choix que de tenir des procès ouverts, explique Boris Zolotoukhine, un autre avocat de l'époque. Et après que ces braves gens ont vu le jour, de courageux avocats de la défense sont également apparus ». Parmi les premiers figurait Dina Kaminskaïa - dans les années 1960, c’était une avocate expérimentée, qui était également assez enragée contre l'État.
Dissidents et procès
Qui étaient les personnes que Kaminskaïa protégeait et quels étaient leurs crimes ? Voici quelques exemples :
1 - En 1967, quatre personnes, dont le poète Iouri Galanskov, ont été arrêtées pour propagande antisoviétique. Ils avaient publié plusieurs articles à l'étranger critiquant le système soviétique. Galanskov, un homme gravement malade, a été condamné à quatre ans de travaux forcés.
2 - La même année, le dissident Vladimir Boukovski et plusieurs autres personnes manifestent pacifiquement contre le procès de Galanskov et des autres, ce qui débouche sur leur arrestation. Leur seule faute était de se tenir calmement en public avec des affiches à la main. Boukovski, en tant qu’organisateur de la manifestation, a été condamné à quatre ans de prison.
3 - En 1968, sept personnes se sont rassemblées sur la place Rouge pour protester contre l'entrée des troupes soviétiques en Tchécoslovaquie. Quelques secondes après avoir levé leurs affiches, elles ont été arrêtées. L'accusation a exigé différentes peines à leur encontre, allant de l'exil dans des zones reculées de l’URSS à l’internement en asile psychiatrique.
Kaminskaïa a défendu Boukovski, Galanskov et deux des quatre manifestants de 1968 (Larissa Bogoraz et Pavel Litvinov). « Ils n'étaient ni terroristes ni extrémistes, a-t-elle écrit plus tard. C'étaient des gens qui utilisaient des formes légales de protestation pour lutter pour les droits humains fondamentaux. Je pensais qu’en agissant uniquement par sens du devoir, ils se battaient pour ce que nous, avocats, devons défendre dans le cadre de notre profession ».
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Travail de Sisyphe
Dans le système politique soviétique, il était impossible de pousser l'État à libérer ces dissidents. Malgré les efforts et les compétences impressionnantes de Kaminskaïa, Boukovski a été condamné à trois ans de prison. Galanskov a écopé de quatre ans en camp de travail - il y est décédé à l'âge de 33 ans. Bogoraz et Litvinov ont été exilés. Et bien que Kaminskaïa n’eût presque aucune chance de réussir, les gens l'accueillaient avec des fleurs et des ovations à l'extérieur de la salle d'audience. Ils ont compris que cette avocate aurait gagné si elle avait eu une chance équitable.
« Même si sa cause était vouée à l'échec, elle ne s'est jamais autorisée à moins bien travailler à cause de cela, a rappelé Boris Zolotoukhine. Peu importe à quel point l'affaire était compliquée ou désespérée : elle a toujours utilisé tous les moyens possibles pour défendre ses clients ».
L’État soviétique n’appréciait pas un travail aussi dévoué. En 1971, après 31 ans de pratique, Kaminskaïa a été interdite de participation à des affaires politiques. Six ans plus tard, elle et son mari ont été forcés de quitter le pays, risquant d'être arrêtés. L'URSS n'appréciait pas vraiment les bons avocats.
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