Cinq raisons de regarder la série télévisée russe phénomène Slovo patsana

Jora Kryjovnikov/Toomuch Production, 2023
Aucune série russe n’a probablement connu un succès aussi inconditionnel, et surtout presque instantané, que Parole de mec. Sang sur l’asphalte.

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Le premier épisode de Slovo patsana. Krov’ na asfal’te (Слово пацана. Кровь на асфальте, Parole de mec. Sang sur l’asphalte) est sorti en novembre 2023, et maintenant, tout le pays en parle. L’histoire des groupes de jeunes de l’époque de la perestroïka a conquis les téléspectateurs et les critiques. Les scènes ont été partagées sur TikTok, la bande originale s’est envolée dans les charts mondiaux, et dans les discours – heureusement, d’une manière ironique – est revenu le mot oublié « tchouchpan » (чушпан), qui désigne un « gars qui ne fait partie d’aucune bande ».

Voici cinq raisons de regarder cette série dès à présent.

1. La série traite du « phénomène de Kazan » unique en son genre. C’est ainsi que l’on appelait la croissance rapide des bandes de jeunes dans l’URSS tardive.

À la fin des années 1980, alors que les adultes étaient occupés à leurs propres affaires, la jeunesse soviétique se rassemblait en meutes et menait des guerres de rue. Chaque quartier était associé à un groupe particulier, qui non seulement gardait jalousement son territoire, mais faisait aussi périodiquement des incursions dans les « royaumes » des autres.

La loi de la rue était très simple : si tu es membre d’un gang, tu es un « patsan » (пацан, mec), c’est-à-dire quelqu’un avec qui il faut compter. Les « mecs » des autres gangs devaient être respectés, mais méprisés. Tous ceux qui ne faisaient pas partie d’un groupe étaient des « чушпаны » (tchouchpany), et il était possible de faire ce que l’on voulait avec eux : les battre, les arnaquer, leur extorquer de l’argent. Si vous promettiez quelque chose et donniez votre parole à un tchouchpan, vous n’étiez pas obligé de tenir votre parole. Vous ne deviez tenir votre parole que devant les autres patsany.

De tels groupes sont apparus dans toute l’Union soviétique, mais pour une raison inconnue, le phénomène a atteint sa plus grande ampleur à Kazan, la capitale de l’ASSR tatare. C’est là que se déroule l’action de la série Slovo patsana. Le personnage principal, l’écolier Andreï (incarné par Leon Kemstatch), a été victime d’agressions de la part de ses camarades et a donc décidé de chercher la protection d’une bande, en la rejoignant. Cependant, avec ses nouveaux amis, de nouveaux problèmes se présentent à lui.

Le scénario s’inspire du roman à succès du même nom de l’écrivain Robert Garaïev, qui a lui-même été membre d’un groupe dans sa jeunesse et a passé des années à collecter des informations sur le « phénomène de Kazan ».

2. Slovo patsana est presque la seule série de ces dernières années sur l’ère de la perestroïka. La sensationnelle série américano-britannique Tchernobyl (2019) constitue une autre exception à la règle.

En Russie, l’on tourne beaucoup d’œuvres sur le passé soviétique, mais rarement sur la fin des années 1980. Slovo patsana a subitement comblé ce manque et offre un large panorama de la société soviétique tardive. Aux côtés des écoliers-membres de bandes, l’on trouve, comme héros à part entière de la série, des jeunes, allant des membres actifs du Komsomol (organisation de la jeunesse communiste) à un vétéran de la guerre d’Afghanistan ou à un voleur juvénile ayant déjà purgé une peine de prise et cherchant à transformer un groupe de rue en bande organisée de type mafieux.

Bien sûr, nous voyons aussi des adultes. Des parents désespérés de voir le monde familier s’effondrer et leurs enfants ne ressembler en rien aux pionniers (scouts soviétiques) idéaux des affiches de propagande. Les enseignants, qui refusent de voir les changements ou qui serrent la vis. Enfin, les forces de l’ordre, avec leurs propres conflits. Certains pensent que les gangsters doivent être compris et rééduqués par l’exemple. D’autres, au contraire, sont persuadés qu’il s’agit de futurs criminels et qu’il n’y a pas lieu de faire de leur âge une circonstance atténuante.

Outre les gangs, il y a beaucoup d’autres signes des temps dans la série : les écoliers portent des uniformes, des salons vidéo (des « cinémas » improvisés – des rangées de chaises devant un téléviseur avec un magnétoscope) s’ouvrent, un groupe de rock amateur joue dans un restaurant.

3. Malgré le thème sombre et les événements tragiques au cœur de la série, celle-ci jongle habilement avec les émotions et fait rire. Et pour cause, Slovo patsana a été tournée par l’un des principaux réalisateurs de comédies du pays.

Le réalisateur Jora Kryjovnikov (un pseudonyme, son vrai nom étant Andreï Perchine) a fait irruption dans le cinéma russe il y a exactement dix ans avec la comédie Gor’ko ! (« amer », mot que l’on crie lors d’un mariage pour que les mariés s’embrassent). Ce faux documentaire sur des jeunes mariés contraints d’organiser deux mariages le même jour (pour eux-mêmes et pour leurs proches) a connu un succès phénoménal au box-office. Le premier film a donc été immédiatement suivi d’une suite, d’un remake (tourné en 2018 au Mexique – Hasta que la boda nos separe) et d’une vague d’imitations sur d’autres célébrations bruyantes. Au total, Kryjovnikov a réalisé cinq films, tous des comédies, qui ont tous enregistré d’excellentes recettes.

En revanche, dans les séries, Kryjovnikov travaille principalement dans le genre du drame et n’a pas peur d’aborder des thèmes complexes. Sa première série – Zvonitié DiCaprio ! (Appelez DiCaprio, 2018) – racontait l’histoire d’un acteur à succès qui apprend un jour qu’il est atteint du sida. Cependant, il y avait, là aussi, étrangement, beaucoup d’humour. La technique comique caractéristique de Kryjovnikov repose sur l’utilisation de jump-cuts, c’est-à-dire un montage de deux images filmées sous le même angle. L’effet comique naît de la juxtaposition de situations « avant/après ».

En outre, le réalisateur travaille merveilleusement avec la musique (deux de ses films sont des comédies musicales) – toutes ses œuvres comportent des scènes-clips, le plus souvent comiques, parfois tragiques. Dans Slovo patsana, Kryjovnikov a perfectionné toutes ses techniques. La série fait rire et peur, les huit épisodes tiennent en haleine, l’on a honte des personnages, tout en éprouvant de l’empathie pour eux.

4. Les deux derniers épisodes ont fuité sur Internet avant leur sortie. L’équipe a donc en toute urgence tourné une autre fin.

Deux semaines avant la fin de la série, des versions préliminaires des septième et huitième épisodes ont été diffusées sur Internet. L’équipe de tournage a rapidement refait les prises de vue et mis en ligne les deux épisodes comme prévu, et le dénouement final est sensiblement différent de ce qui était initialement prévu et avait fuité. Il est rare qu’une série populaire ait deux versions alternatives à la fois – et tout aussi légitimes. Ainsi, chaque téléspectateur peut choisir sa propre version de ce qui est arrivé à ses personnages préférés.

5. L’interdiction de la série a été demandée. Finalement, elle s’est avérée plus populaire que Squid Game!

Dès les premières informations sur le projet à venir, des militants ont critiqué la série, craignant une romantisation de la criminalité. Toutefois, c’est le public qui a eu le dernier mot. Selon un sondage réalisé par le Centre panrusse d’étude de l’opinion publique (VTsIOM), la majorité des Russes (82%) qui ont regardé Slovo patsana n’y ont rien trouvé de préjudiciable et se sont prononcés contre l’interdiction.

Selon les sociologues, déjà un Russe sur six a vu la série et 83% en ont au moins entendu parler. Slovo patsana a été diffusée sur les services vidéo Wink et Start – et les plateformes sont traditionnellement peu enclines à partager les données de visionnage. Cependant, le succès incontestable peut être jugé, par exemple, par le service Index Kinopoisk.Pro, qui mesure l’intérêt des spectateurs en fonction de l’activité en ligne des utilisateurs. Or, au cours du premier mois de diffusion, la série de Kryjovnikov a battu le record d’audience, devançant de 2,5 fois le précédent leader, Squid Game de Netflix.

Pour évaluer l’ampleur de la résonance, il suffit de regarder sur TikTok – les vidéos avec le hashtag #словопацана ont déjà été vues 10,3 milliards de fois. La chanson Piyala du groupe AIGEL (paroles en tatar), qui est constamment jouée dans la série télévisée, a atteint le sommet du hit-parade mondial de Shazam. La championne olympique Kamila Valieva a performé au championnat russe de patinage artistique sur cette chanson. En outre, un acteur de la série, Iaroslav Moguilnikov (qui incarne Eralach), est devenu égérie de la marque du rappeur américain Kanye West et du styliste russe Gosha Rubchinskiy.

Dans cet autre article, découvrez six films et séries russes à regarder sur Netflix.

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