Annulé au dernier moment en 2020, le Festival du cinéma russe de retour à Honfleur

Culture
MARIA TCHOBANOV
Privée pendant une année de son événement culturel majeur de l’automne et du plus important rendez-vous cinématographique russe en France, Honfleur attend avec impatience le public du 29e Festival du cinéma russe, dont le programme a été annoncé lundi à la mairie de la ville.

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La mascotte du Festival du cinéma russe de Honfleur, un ours rouge, imaginé par l’artiste Kinkas, rayonne cette année de bonheur et promet d’accueillir le public à bras ouverts. Rappelons que la 28e édition s'est déroulée exclusivement en ligne et ne comprenait que le programme documentaire. Du 23 au 28 novembre, les films seront de retour sur les grands écrans de cette charmante ville normande, qui devient chaque année depuis 1995 très russophone l’espace de quelques jours automnaux. Le seul bémol regrettable de cette nouvelle édition est l'absence de la délégation russe.

Les rencontres en direct des cinéastes russes et du public français, la communication, l'échange et l'enrichissement mutuel ont toujours été les moments forts du festival. Jusqu'à 20 représentants de l'industrie cinématographique (producteurs, réalisateurs, acteurs, scénaristes) venaient de Russie tous les ans pour présenter leurs œuvres. Ce volet du festival étant irréalisable cette année, l'équipe organisatrice – l’association Les amis du Festival Russe, dirigée par Françoise Schnerb – s’efforcera de partager autant que possible les réactions et avis du public sur les films avec leurs créateurs à travers les réseaux sociaux et autres outils disponibles grâce aux technologies de l'information.

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Au programme de cette année

Ce qui n’a pas changé, c’est le format du festival. Comme les années précédentes, huit films (tournés ces deux dernières années, vu le contexte de 2020) ont été sélectionnés pour participer au concours et seront départagés par un jury français, présidé par l’actrice et metteuse en scène Marthe Keller et composé de Laurent Dailland (directeur de la photographie), Gildas Le Gac (journaliste de cinéma à Canal +), Elisabeth Tavernier (créatrice de costumes) et Marion Vernoux (réalisatrice, scénariste).

Dans cette liste, le deuxième ouvrage de Kira Kovalenko, élève d'Alexandre Sokurov, Desserrer ses poings. Soumis par la Russie aux Oscars, ce film a été tourné en Ossétie du Nord en langue ossète, et la plupart des rôles sont joués par des acteurs non professionnels.

L’histoire se déroule dans la ville de Mizour, où le père a déménagé sa famille après des événements tragiques. Il a deux fils et une fille qu'il élève avec sévérité. Par son amour, le père « étouffe » sa fille, ne la lâchant pas, alors qu’elle élabore des plans pour s'échapper.

Le film dramatique #_BAHUT est le premier long métrage d’Anna Saïannaïa, élève du célèbre réalisateur Pavel Lounguine, d'après la pièce homonyme du dramaturge biélorusse Andreï Ivanov. Une jeune étudiante, Tania, originaire d'un quartier populaire, vend du poisson au marché pour gagner sa vie et rêve d'une meilleure existence. Elle tombe amoureuse de son professeur de philosophie, un intellectuel, qui rêve de partir à Moscou pour fuir la monotonie d'une ville de province. Il réalise tardivement quel genre de fille se trouve devant lui et que ses rêves ne sont plus destinés à se réaliser.

Dans la comédie fantastique Faut crever pour que vous veniez, le premier film d’Armen Akopian et Dmitri Tarkhov, avec Ioulia Aoug et Alexeï Gouskov, qui incarnent les personnages principaux, les événements se déroulent la veille de l'apocalypse mondiale. Au centre de l'intrigue se trouve une famille russe ordinaire de province, qui décide d'organiser un dîner d'adieu pour tous ses proches, afin de se raconter enfin tout ce qu’ils ont sur le cœur.

Comme l'a expliqué au correspondant de Russia Beyond la directrice de la programmation du festival Elena Duffort, les films sont sélectionnés, tout d’abord, selon le principe visant à présenter la plus large palette des tendances actuelles du cinéma russe. Ainsi, un film spectaculaire avec un gros budget peut se retrouver en compétition avec une œuvre autofinancée par un réalisateur débutant et filmée à l'aide d'un smartphone, une comédie noire – à côté d'un sérieux film de guerre. C'est la principale difficulté pour le jury, selon Elena, qui doit comparer et évaluer l'incomparable.

Cependant, selon le règlement du festival, seuls les films qui n'ont été montrés nulle part en France auparavant, même dans le cadre des « semaines du cinéma russe », peuvent participer à la compétition. Il arrive donc que certaines œuvres dignes, sélectionnées par la commission française du festival, ne fassent pas partie du concours, mais que le public puisse les voir néanmoins dans d'autres sections du festival, comme Panorama, qui s'intitule cette année « À la recherche du bonheur » et où la thématique féminine sera très fortement représentée.

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Grâce au traditionnel programme « Succès du box-office russe », le public honfleurais aura une occasion unique de voir sur grand écran le très beau premier film du réalisateur Mikhaïl Lokchine, Silverland, les droits de ce long métrage en France ayant été acquis uniquement pour la diffusion sur Blu-ray.

Ce programme propose également une sympathique comédie, Gosse de riche, du jeune réalisateur à succès, récemment revenu d’un tournage dans l’espace, à bord de la Station spatiale internationale, Klim Chipenko, que le public du festival connaît depuis ses films Salyut-7 (2017) et Texto (Prix François Chalais en 2019).

Le film-événement du Festival sera Le Journal du blocus, réalisé par Andreï Zaïtsev (Grand prix du Festival du cinéma russe à Honfleur 2015 pour 14 ans, premier amour). Cet événement est dédié au 80e anniversaire du début du siège de Leningrad, une des pages les plus tragiques de la Seconde Guerre mondiale.

Les spectateurs seront également invités à découvrir ou à redécouvrir les grands réalisateurs russes Sergueï Bondartchouk, Karen Chakhnazarov et Mark Zakharov dans le cadre d’une rétrospective préparée par les studios Mosfilm.

Le festival comme soft power

Le Festival du cinéma russe de Honfleur est un rendez-vous très attendu par le public cinéphile, mais pas uniquement. Elena Duffort souligne que son premier objectif est de promouvoir le cinéma russe, de familiariser le public avec ce cinéma dont le « russe » est l'une des caractéristiques au même titre que les autres, comme le bon cinéma, le cinéma de genre, le cinéma d’auteur. « La promotion du cinéma passe inévitablement par la renommée des réalisateurs, par l'habileté et la popularité des acteurs. Si nous ne les présentons pas au public, il ne s'y intéressera pas. Si le spectateur découvre un nouveau nom au festival, il continuera alors à le suivre sur les grands écrans », affirme la directrice de la programmation.

Aujourd'hui en France, sont organisés chaque année plus d'une vingtaine d'événements liés d'une manière ou d'une autre au cinéma russe contemporain. Le Festival de Honfleur dicte les tendances et influence la programmation de la plupart d’entre eux, selon Elena. De plus, malgré le fait que cet événement culturel n'a pas d'objectifs politiques, il s'avère qu’il constitue néanmoins une force douce mais influente dans le processus de promotion, non pas seulement du cinéma, mais de la culture et de la langue russe.

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Le deuxième grand objectif du festival est de soutenir les films des réalisateurs russes qui arrivent dans les salles françaises. Selon les statistiques, en moyenne 14 à 15 films par semaine sortent en France, alors que la fréquentation des cinémas a diminué d'environ 20% par rapport aux années d’avant la Covid-19. Pour des raisons tout à fait compréhensibles, les films russes, n'ont pas le même support médiatique que, disons, les américains. De leurs côtés, les chaînes de distribution misent sur des valeurs sûres, comme James Bond, Dune et autres produits de divertissement. « Dans ce contexte, tout buzz autour des films russes – dans les médias, auprès du public, dans les réseaux sociaux – n'est en rien superflu pour les distributeurs. C’est pour cela que le festival prévoit une section spéciale pour soutenir les films qui sortiront en France, notamment, avec, au programme de cette édition, en avant-première le film de Kirill Serebrennikov La Fièvre de Petrov (sortie prévue le 1er décembre), ou le film d'ouverture, À Résidence réalisé par Alexeï Guerman, qui a également un distributeur en France ».

Le troisième objectif, pas moins important, que vise le Festival de Honfleur, est de former une nouvelle génération de spectateurs. « Le public qui se rendait autrefois dans les ciné-clubs pour regarder le cinéma soviétique n'est plus là. La jeune génération s'est résolument tournée vers les écrans de smartphones, y compris pour visionner des films. Pour faire venir le public dans les salles regarder les œuvres des cinéastes russes, il faut mener tout un travail éducatif. C'est pourquoi nous organisons des séances spéciales gratuites pour les enfants, collégiens, lycéens et étudiants. Nous les faisons venir par classes entières et proposons à leur attention des films qui leur parlent », explique Elena.

Ce public fidèle à son festival

Bien entendu, pour accéder à l’espace du festival, le pass sanitaire sera demandé, conformément aux exigences générales en cours dans le pays. Il est prévu d’aérer les salles après chaque visionnage, tandis que la circulation sera organisée de telle manière que le public puisse maintenir une distance de sécurité autant que possible sans ressentir de gêne.

À l’heure actuelle, le collectif Les amis du Festival russe est plutôt optimiste. Par rapport aux années précédentes, pour les mêmes dates, le nombre de demandes de réservations de passes de spectateurs, qui donnent accès à toutes les séances, n'a pas diminué.

Après tout, c'est un public spécial, qui ne craint pas les noms imprononçables, des villes inconnues et des histoires peu claires. Ce public ne cherche pas à être distrait, à voir des films faciles à digérer, il est ouvert au cinéma sérieux parlant d’une autre réalité, de la vie de gens différents, racontée par des acteurs inconnus. Il délaisse toutes ses occupations et vient de différentes régions du pays, ainsi que des nations voisines, à Honfleur, spécialement pour cette rencontre annuelle avec le cinéma russe. « Et plus Honfleur attirera l'attention sur le cinéma russe, plus il y aura de gens qui voudront voir des films venant de Russie dans les salles, car ils en auront moins peur. La loi du bouche à oreille appliqué au cinéma fonctionne très bien. Pour les cinéastes russes, le Festival de Honfleur est une véritable porte d'entrée vers le public cible en France », assure Elena Duffort.

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