Cinq personnages russes marquants de la littérature occidentale

Cadre tiré de la série Michel Strogoff, 1975

Cadre tiré de la série Michel Strogoff, 1975

Peter Bischoff/Getty Images
D’Alexandre Dumas à Agatha Christie, les auteurs de best-sellers ont saupoudré leurs romans de personnages russes incarnant l’essence d’une âme agitée, d’un cœur passionné et d’un esprit aventureux.

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Le Sibérien dans Michel Strogoff de Jules Verne

En 1874, l’auteur de Vingt Mille Lieues sous les mers, Jules Verne (1828-1905), décide d’écrire un roman dont l’histoire se situerait en Russie. Aussitôt dit, aussitôt fait.

Terminé en 1876, le roman est une explosion de fantaisie, de mythe et d’imagination, et l’une des œuvres de Jules Verne les plus brillamment ficelées. Intitulé à l’origine Le Courrier du Tsar, il a ensuite été renommé sur les conseils de l’ambassadeur de Russie en France, Nikolaï Orlov.

Michel Strogoff, personnage principal de l’histoire, est le courrier du tsar Alexandre II. Le Tatar Féofar-Khan est alors un puissant dirigeant d’Asie centrale, qui déclenche une révolution en Sibérie. Strogoff doit se rendre à Irkoutsk depuis Moscou pour prévenir le gouverneur de la ville et frère du tsar du complot et de la trahison à son encontre, imminents. Lors de son périple, il rencontrera de nombreuses personnes, et notamment Nadia, la fille d’un prisonnier de guerre en exil.

L’auteur du Tour du monde en quatre-vingts jours, souvent considéré comme le pionner de la science-fiction, souhaitait montrer quelqu’un qui correspondrait au stéréotype du « Russe typique ». Strogoff est une force de la nature : il a grandi en Sibérie, est grand, séduisant, et suffisamment courageux pour tuer un ours à mains nues. En bref, Jules Verne décrit Strogoff comme « l’incarnation de la force physique ».

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« Sa tête puissante présentait les beaux caractères de la race caucasique. Sur sa tête, carrée du haut, large de front, se crêpelait une chevelure abondante, qui s’échappait en boucles [...] Ses yeux étaient d’un bleu foncé, avec un regard droit, franc, inaltérable. [...]Sur sa large poitrine brillaient une croix et plusieurs médailles. [...] À quatorze ans, Michel Strogoff avait tué son premier ours, tout seul – ce qui n’était rien – ; mais, après l’avoir dépouillé, il avait traîné la peau du gigantesque animal jusqu’à la maison paternelle, distante de plusieurs verstes, – ce qui indiquait chez l’enfant une vigueur peu commune. Cette vie lui profita, et, arrivé à l’âge de l’homme fait, il était capable de tout supporter, le froid, le chaud, la faim, la soif, la fatigue ».

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Le romancier français a écrit Michel Strogoff comme une histoire d’aventure palpitante, et non comme une œuvre de science-fiction. Pour en apprendre plus sur l’Empire russe, Jules Verne a longuement discuté des opinions, de l’histoire des problèmes de la société russe avec l’auteur Ivan Tourgueniev, qui venait souvent en France. Pour assurer le réalisme de son ouvrage, Jules Verne lui a même envoyé son manuscrit afin d’avoir son retour et ses commentaires.

Le noble dans Le Maître d’armes d’Alexandre Dumas père

L’auteur du Comte de Monte-Cristo s’est retrouvé en eaux troubles après la parution de son œuvre Le Maître d’armes, en 1840. Le problème était qu’Alexandre Dumas (1802-1870) était le premier auteur européen à décrire l’insurrection décembriste russe de décembre 1825. Son roman, bien qu’il ne corresponde pas tout à fait à la réalité historique, a fait l’objet d’une interdiction de traduction en russe par le tsar Nicolas Ier.

Évidemment, tout le monde veut accéder à ce qui est interdit, et ceux qui ont eu la chance de lire Le Maître d’armes en français ont raconté l’histoire aux autres. Le bouche-à-oreille à fait le reste. La traduction russe a finalement été autorisée et est sortie en 1925, au centenaire de l’insurrection. L’histoire de Dumas se montre sympathisante des décembristes, de jeunes nobles russes, membres de familles aristocrates, qui ont tenté de se révolter contre le tsar Nicolas Ier, sans succès.

Pour écrire ce livre presque historique, Dumas s’est basé sur les histoires qu’Augustin Grisier, son maître d’armes qui a été témoin de l’insurrection décembriste, lui a racontées. 

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Le récit est également inspiré de l’histoire vraie du décembriste Ivan Annenkov et de l’amour de sa vie, la Française Pauline Geuble, qui a suivi son mari alors qu’il était condamné à 20 ans de travaux forcés en Sibérie.

Le tsar a interdit à Dumas de visiter l’Empire russe, mais l’auteur s’y est rendu en 1858, trois ans après le décès de Nicolas Ier.

Le protagoniste russe, le comte Vaninkoff, est présenté comme un homme qui se laisse emporter par un rêve utopique : créer une république au sein de l’Empire russe. « Le comte Alexis Vaninkoff était un beau jeune homme de vingt-cinq à vingt-six ans, blond et élancé, moitié Tatare moitié Turc, qui occupait, comme nous l’avons dit, le grade de lieutenant dans les chevaliers-gardes. Ce corps privilégié était resté longtemps sous le commandement direct du tsarévitch Constantin, frère de l’empereur Alexandre, et à cette époque vice-roi de Pologne. Selon l’habitude des Russes, qui ne quittent jamais l’habit militaire, Alexis était vêtu de son uniforme, portait sur sa poitrine la croix de Saint-Vladimir et d’Alexandre Nevski, et au cou Stanislas-Auguste de troisième classe ».

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Vaninkoff est prêt à tout pour atteindre ses objectifs. Il choisit ses batailles avec soin, mais lorsqu’il perd, ce jeune noble russe ne tente pas de s’enfuir et accepte son destin avec courage et dignité.

La princesse dans Orlando, de Virginia Woolf

L’écrivaine anglaise Virginia Woolf (1882-1941) était en avance sur son temps. Figurant parmi les auteurs modernistes principaux du XXe siècle, elle expérimentait avec différents styles et ne se souciait guère des conventions ou du confort de ses lecteurs. Elle connaissait bien la littérature russe et avait lu tous les ouvrages de Tolstoï et de Dostoïevski.

Elle les mentionnera d’ailleurs souvent dans ses écrits, y compris dans Nuit et Jour : 

« La voix de Cassandra s’est faite plus aigüe.

- Tu n’as pas lu L’Idiot !, s’exclama-t-elle.

- J’ai lu Guerre et Paix, répondit William, quelque peu irrité

- Guerre et Paix !, répéta-t-elle d’un ton moqueur.

- Je dois avouer que je ne comprends pas les Russes ».

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Woolf a étudié le russe et traduit des œuvres de Fiodor Dostoïevski, Anton Tchekhov et Ivan Bounine, ainsi que les mémoires de Maxime Gorki. L’auteure de Mrs Dalloway a suivi avec attention la Révolution de 1917 et les événements qui ont suivi.

Elle écrit Orlando en 1928. S’étendant sur trois centenaires, le roman débute à la fin du XVIe siècle pendant le règne d’Élisabeth Ire, et se termine au début du XXe siècle. Le protagoniste est un noble poète, qui reste jeune tout au long de sa vie. Un favori de la reine Élisabeth puis un cavalier à la cour de Jacques Ier, Orlando a un coup de foudre pour une princesse russe. Woolf la décrit ainsi : « Sacha, qui après tout n’avait pas de sang anglais dans les veines, mais venait de Russie où les couchers de soleil sont plus longs, où les aubes sont moins soudaines, où les phrases demeurent souvent suspendues dans le doute où l’on est sur la meilleure fin ».

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Comme vous pourrez le constater, l’auteure de Voyage au Phare a donné à son héroïne (qui est évidemment loin de correspondre à la réalité historique) le nom russe le plus rare et le plus complexe possible :

« L’étrangère, apprit-il, était une princesse et se nommait Maroussia Stanilovska Dagmar Natacha Iléana Romanovitch. Elle était venue dans la suite de l’ambassadeur moscovite qui était peut-être son oncle, ou peut-être son père, pour assister aux fêtes du couronnement ».

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De manière générale, les descriptions de Woolf de personnages russes sont empreintes de stéréotypes. « On ne savait sur les Moscovites que très peu de chose. Avec leurs grandes barbes et leurs chapeaux fourrés, ils restaient assis sans mot dire ou presque, à boire d’on ne sait quel liquide noirâtre qu’ils crachaient de temps à autre sur la glace. Aucun d’eux ne parlait anglais, et le français, familier du moins à quelques-uns, était alors très peu parlé à la Cour d’Angleterre ».

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La voleuse dans Les Quatre d’Agatha Christie

« Peu d’entre nous sont ce qu’ils paraissent être », disait Agatha Christie (1890-1976), sans doute la plus grande auteure de romans policiers de tous les temps. Chacun de ses romans se révélait encore plus intriguant que le précédent, avec une histoire riche de péripéties imprévisibles et de personnages marquants.

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La comtesse Véra Rossakoff apparaît dans plusieurs nouvelles de la série Hercule Poirot, notamment Les Quatre, La Capture de Cerbère, Le Double Indice, Un, deux, trois... et Pension Vanilos.

Sa réputation la précède : la comtesse russe est une voleuse experte, qui a organisé un vol de bijoux particulièrement ingénieux à Londres.

Même le détective Hercule Poirot tombe sous son charme.

« Une femme élégante, vêtue de noir, un admirable collier de perles au cou, se pencha à la portière. Je reconnus la comtesse Rossakoff que nous avions rencontrée à Paris sous le nom d’Inez Véroneau. Cette misérable était, elle aussi, un agent de la sinistre bande [des quatre] ! Poirot, pour une raison à lui, avait toujours eu un certain faible pour la comtesse. Son allure de grande dame lui en imposait. À un moment d’enthousiasme, il s’était laissé aller à dire qu’elle était "La Femme" entre mille ! Il ne semblait pas, malgré ses manigances, la traiter en ennemie ».

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Cette description, « “La Femme” entre mille », est celle qui exprime le mieux qui est la comtesse Véra Rossakoff.

L’artiste dans Tonio Kröger de Thomas Mann

« Je suis placé entre deux mondes, je ne me trouve chez moi dans aucun, aussi la vie est-elle pour moi un peu pénible. Vous, artistes, vous m’appelez un bourgeois, et les bourgeois sont tentés de m’arrêter... Je ne sais ce qui des deux me blesse le plus cruellement ». Thomas Mann, qui avait 25 ans lorsqu’il a écrit ses lignes, se décrivait ainsi dans son court roman autobiographique Tonio Kröger. Ce n’était que le début de sa renommée littéraire. En 1929, l’écrivain allemand a remporté le très convoité prix Nobel de littérature. 

Dans Tonio Kröger, Mann (1875-1955) raconte l’histoire d’un aspirant écrivain coincé entre le marteau et l’enclume, qui essaie de naviguer entre l’art et la vie réelle, la littérature et la routine, l’amour et la luxure, la banalité et la profondeur, la contemplation et le but de la vie sur Terre. Le jeune homme part en quête de vérité et d’harmonie au travers de conversations avec son âme sœur, une artiste russe. « Lisaveta Ivanovna fût son amie à laquelle il disait tout ».

Lisaveta est une artiste qui fait preuve d’une grande sagesse morale et spirituelle et peut répondre, d’une manière assez tranchante, à toute question que lui pose Tonio. Leurs discussions à cœur ouvert apportent un certain soulagement au jeune homme.

« - Je vous ai bien écouté, Tonio, du commencement à la fin, et je veux vous donner une réponse qui convient à tout ce que vous venez de me dire, et qui est la solution du problème qui vous a tant tourmenté. Eh bien donc ! La solution c’est que, tel que vous voilà, vous êtes tout bonnement un bourgeois.

- Croyez-vous ? demanda-t-il, et il s’affaissa un peu sur lui- même.

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Cela vous paraît cruel, n’est-ce pas ? et il est inévitable que cela vous paraisse cruel. Aussi je veux un peu adoucir mon jugement, car je le puis.Vous êtes un bourgeois engagé sur une fausse route, Tonio Kröger, un bourgeois fourvoyé.

[...]
- Je vous remercie, Lisaveta Ivanovna, maintenant je puis rentrer tranquillement chez moi. Mon cas est résolu
 ».

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