Le Festival du cinéma russe de Honfleur en attente de déconfinement

Culture
MARIA TCHOBANOV
Festivals annulés ou reportés, tournages et sorties en salles repoussés – la pandémie de Covid-19 a frappé de plein fouet l’industrie cinématographique aussi bien russe que mondiale. Quel sera l’impact à court terme pour le septième art? Russia Beyond en a discuté avec des experts du secteur.

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Comme tous les ans depuis plus d’un quart de siècle, la ville normande de Honfleur s’apprêtait à accueillir son fameux Festival du cinéma russe qui était programmé du 24 au 29 novembre. L’annonce par le gouvernement du reconfinement a fait perdre tout espoir à la tenue de la 28e édition du festival avant la fin de l’année 2020, malgré toutes les précautions prises par l’équipe des organisateurs pour assurer le déroulement de l’événement en toute sécurité.

Jusqu’au dernier moment les pouvoirs locaux ont soutenu le festival, tant attendu par les cinéphiles et les passionnés de la culture russe. « La ville de Honfleur nous soutient au vu du protocole que nous avons soumis au Maire, Michel Lamarre. Celui-ci déplore les annulations de nombre de manifestations cette année et souhaite avec nous que nous puissions animer un peu la ville fin novembre », nous a confié Françoise Schnerb, Présidente du Festival, juste avant l’annonce qui a porté un deuxième coup très dur à tous les secteurs de la culture.

La partie cachée de l’iceberg

Chaque année, il y a de plus en plus de demandes de participation au festival de Honfleur de la part des réalisateurs et des producteurs russes. Pour certains, c’est le premier pas à la rencontre du public étranger, pour d’autres – un véritable tremplin, donnant accès aux salles de cinéma en France.

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Elena Duffort est un des personnages clefs du comité d’organisation du festival. Issue du métier du cinéma, cette Parisienne russophone visionne tout au long de l’année plusieurs dizaines de nouveaux films sortant en Russie, pour dégager des grandes tendances et faire un premier tri des œuvres dignes du futur programme du Festival de Honfleur. 

« Dans notre programme de compétition, nous montrons les tout derniers films, qui viennent de sortir dans l’année. Bien sûr, les producteurs et distributeurs ont leur propre vision de la carrière des films, et prennent leurs propres décisions, mais j'aimerais et cela reste mon objectif pour les années à venir, que Honfleur devienne un lieu où les distributeurs français et européens viennent découvrir des films russes et la réaction du public français, qui, je vous l'assure, est très difficile à prévoir à l'avance », souligne-t-elle.

Le visionnage peut se faire et se fait beaucoup en ligne, mais Elena préfère se déplacer personnellement aux principaux festivals de cinéma en Russie. « Il est toujours très important pour moi de regarder des films sur grand écran, et d’assister aux conférences de presse où vous pouvez comparer votre propre opinion et vos impressions sur le film avec ce que les auteurs eux-mêmes peuvent en dire. Il est également très important pour moi de voir des films réalisés pour les cinémas et non pour la télévision ou les plateformes, même si je pense que les plateformes offrent aujourd'hui beaucoup plus d'opportunités d'expérimentation cinématographique, tant en termes de budget que du point de vue créatif », explique Elena.

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Cette année, en raison du report des dates, rien ne s'est passé comme prévu. Kinotavr de Sotchi et le Festival international du cinéma de Moscou ont eu lieu à l'automne, et le festival de Vyborg a été repoussé à décembre.

« Personne ne pouvait imaginer que cette année je vienne en Russie pour assister au Kinotavr, et même la présidente du festival de Honfleur, Françoise Schnerb, m'a demandé à plusieurs reprises si j'étais sûre de ce que je faisais. Je n'avais aucun doute, car je pense que nous devons commencer à apprendre à vivre dans de nouvelles conditions sanitaires, et plus tôt nous commencerons à le faire, mieux ce sera. Par conséquent, j'ai acheté une quantité incroyable de masques, de gel hydroalcoolique et un billet d'avion pour Moscou. J’avoue que j’ai dû l'acheter trois fois, car les deux premiers vols ont été annulés et finalement j’ai décollé avec le vol d'Aeroflot, organisé pour le rapatriement des citoyens russes », raconte Elena.

À Moscou, puis à Sotchi lors du Kinotavr, elle a lu dans les yeux de ses interlocuteurs toujours la même expression d’ahurissement. « Je suppose qu’ils voyaient en moi une sorte de fantôme d'une vie antérieure », plaisante la coordinatrice du Festival.

Aujourd’hui le comité d’organisation à Honfleur se pose la question de ce que le Festival montrera l'année prochaine. La production cinématographique en Russie ne s'est pas arrêtée, mais elle a ralenti. De nombreux projets sont reportés, les producteurs retardent leur lancement. « J'ai peur même d'imaginer ce que signifie de partir en expédition pour le tournage, déplacer tout le matériel, payer les hôtels, réserver des locaux, puis être obligé d'arrêter le tournage en raison d'un nouveau confinement. Le coût des projets en cours a augmenté à cause des contraintes des mesures sanitaires et combien de projets de tournage sont remodelés en raison de la maladie d'un acteur », s’inquiète Elena.

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L’industrie cinématographique : présent complexe et avenir incertain

L'industrie cinématographique fait partie de l'économie mondiale et a été frappée par la pandémie comme d'autres industries. Pendant la première période de confinement, 80% des personnes employées dans l'industrie se sont retrouvées sans travail.

Les plus durement touchées, en Russie, comme dans le monde entier, ont été les salles de cinéma : dans certaines régions du pays, elles n’ont pas accueilli de public depuis le mois de mars, tandis que celles qui ont rouvert n'ont pratiquement rien à montrer : les studios hollywoodiens reportent constamment leurs sorties, le cinéma russe suit cette tendance.

Aujourd'hui, en raison de la situation épidémiologique dans un certain nombre de régions en Russie, les cinémas ferment à nouveau et beaucoup craignent qu'après le deuxième confinement, ils ne puissent plus ouvrir. La situation est la même partout dans le monde : à Berlin, de nombreux cinémas indépendants spécialisés dans l'art et essai ont fermé, et même les plus grandes chaînes de cinéma aux États-Unis et en Grande-Bretagne ferment.

« La pandémie continue d'affecter également le secteur de la production cinématographique. Durant le confinement, de nombreux projets ont été arrêtés ou gelés, sauf ceux en stade préparatoire. En revanche, de nouveaux scénarios ont été en cours d'élaboration. Par la suite, les tournages ont repris, mais il faut très souvent les reporter ou arrêter, car les gens continuent de tomber malades. Et c'est une grosse perte financière, surtout pour le cinéma indépendant, celui qu’on voit dans des festivals », relate Sitora Alieva, directrice artistique du Festival Kinotavr, habituée du festival de Honfleur.

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Les festivals font partie de l'industrie globale du cinéma et ils ont souffert de la même manière de la pandémie. Presque tous les grands festivals de 2020 en Russie ont été soit reportés, soit mis en ligne, soit annulés, beaucoup ont été forcés de réduire leurs programmes. La situation est similaire partout dans le monde.

En revanche, selon cette experte en cinéma, les restrictions liées à la pandémie n'ont pas affecté la qualité des films sortis en 2020, car ils ont été mis en production et tournés avant que l’industrie ne soit paralysée. « Au contraire, le report de Kinotavr à septembre a donné plus de temps aux producteurs pour terminer les films. Et je suis particulièrement fière que, à ce jour, cinq des treize films du programme de compétition de Kinotavr-2020 soient déjà sortis en salle », développe Sitora.

La pandémie n'étant pas encore terminée, elle a déjà son empreinte dans le cinéma : les premières tentatives de la repenser ne se sont pas fait attendre. Les mots « coronavirus » et « épidémie » ont raisonné plusieurs fois dans le programme du court métrage de Kinotavr.

Un autre trait caractéristique des temps est évoqué par Sitora Alieva : en Russie, comme dans le reste du monde, le secteur des plateformes en ligne et la production de contenu pour celles-ci s'est énormément développé ces dernières années. Les plus grands acteurs de ce marché tournent déjà, ou vont tourner leur propre contenu. « Cette année, pour la première fois, le festival Kinotavr a organisé des sessions de présentation de projets de séries. Plus de 700 demandes y ont été soumises. C'est un nombre énorme », constate l'experte.

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La pandémie nous réserve certainement encore des surprises, mais le festival de Honfleur ne se laisse pas abattre. Sa 28e édition n’est pas annulée, elle s’est mise en veille, en attendant le feu vert du gouvernement. Les festivaliers devront se conformer au règlement très strict, mais le comité de l’organisation et l’équipe des bénévoles fait tout pour que la fête soit au rendez-vous.

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