Fiodor Tioutchev: cinq faits méconnus sur un poète qui croyait fermement en la Russie

Culture
ALEXANDRA GOUZEVA
Fiodor Tioutchev (1803-1873) a non seulement écrit le poème décrivant le plus précisément sa patrie, mais croyait fermement qu’elle possédait une voie spéciale et a cherché à donner à la Russie une image positive en Occident.

1. Il a créé la « formule » de la Russie

« On ne comprend pas la Russie par la raison ;

Elle ne se mesure pas à l’aune commune,

Elle a une tournure à part,

En elle ne peut que croire ».

Tous les Russes connaissent par cœur ce court poème, composé par le poète Fiodor Tioutchev en 1866. Il est difficile d'imaginer une définition plus complète et plus claire de l'essence de la Russie et une meilleure clé pour percer la mystérieuse âme russe. Il existe une opinion proche selon laquelle la Russie a son propre chemin, et qu’elle n’appartient ni à l’Europe ni à l’Asie.

2. Il a vécu en Allemagne pendant plus de 20 ans et traduit des poètes allemands

Tioutchev, issu d'une ancienne famille noble, est né sur le domaine familial Ovstoug dans la région de Briansk. Il a reçu une excellente éducation à domicile, connaissait le grec ancien, le latin et plusieurs autres langues européennes. Encore jeune homme, il a traduit des odes d'Horace.

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Après l’université, Tioutchev est entré dans le service diplomatique et a été envoyé à Munich. Là, il s’est lié d’amitié avec Heinrich Heine et a été le premier à traduire ses œuvres en russe. Il a également traduit Goethe et Schiller de l'allemand, mais ne s'est pas limité à eux - il a aussi présenté au lecteur russe Byron et Hugo. De nombreuses traductions de Tioutchev sont encore considérées comme canoniques par les philologues russes actuels.

En Allemagne, le poète était connu comme un homme à femmes et a épousé une Allemande - Eleanor Peterson lui a donné trois filles, qui sont plus tard devenues demoiselles d'honneur de la famille impériale. À propos, certains de ses poèmes les plus célèbres comme J’adore la tempête début mai et L'Hiver se fâche ! il a raison, que de nombreux Russes citent avec amour en regardant par la fenêtre, ont en fait été écrits en Allemagne et font référence à la nature locale de ce pays.

3. Il est arrivé la poésie politique par le romantisme

Les premiers poèmes de Tioutchev rappellent la poésie archaïque complexe du XVIIIe siècle. Par leur forme, ils ressemblent à des odes - il s'adresse à un interlocuteur, fait appel à quelque chose. En 1820, Tioutchev définit son attitude envers le but de la poésie. Ce poème était sa réponse à l'ode d'Alexandre PouchkineLiberté, pour laquelle son auteur fut envoyé en exil. Tioutchev note que le but de la poésie n'est pas de critiquer le souverain ou de dénoncer les vices :

« Avec ta corde magique

Adoucis les cœurs au lieu de les déranger ! »

À partir des années 1830, la poésie de Tioutchev s'apparente déjà davantage au romantisme : il est clairement sous l'influence des poètes allemands. Ses poèmes sont souvent courts et précis, chacun traitant un sujet précis.

L'un de ses sujets de prédilection est le dialogue entre l'homme et l'univers. Les héros lyriques, laissés seuls avec le ciel et les étoiles, constatent leur propre insignifiance par rapport à l'éternité.

« Il y a tant de constellations

Petites, sans nom dans les hauteurs,

Pour nos yeux faibles et brumeux

Elles sont inaccessibles... »

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Cependant, sa rhétorique change complètement à la maturité. Après presque dix ans sans écrire de poésie, Tioutchev y revient dans les années 1850 - surtout de la poésie politique. Il s'inquiète du sort de la Russie, répond aux attaques de l'Occident et glorifie l'opposition solitaire de sa patrie face au monde. Le poème On ne comprend pas la Russie par la raison  date de cette période.

4. C’était un censeur professionnel

Tioutchev est revenu en Russie en 1844 et a continué à servir au ministère des Affaires étrangères, où il était chargé de la censure. Pendant cette période, il a écrit de nombreux articles de journal, y compris en langues étrangères. Il y parle de la Russie et de l'Occident, et exprime également l'idée que les peuples slaves devraient s'unir sous l’égide de la Russie.

Tioutchev écrit une note « Sur la censure en Russie » pour le ministre des Affaires étrangères, le prince Alexandre Gortchakov (qui était un camarade de lycée de Pouchkine). Préoccupé par les troubles en Europe, Tioutchev estime que la presse doit être manipulée avec soin, celle-ci pouvant permettre d’exprimer la position de l'État. Cependant, loin d’appeler à des restrictions aveugles, il presse l'État de jouer un rôle de parent pour éduquer l'esprit des adolescents immatures.

« La censure à elle seule, peu importe comment elle agit, est loin de répondre aux exigences de la situation actuelle. La censure sert de limitation, pas de guide. Et dans notre littérature, comme dans tout le reste, il ne devrait pas être question de réprimer, mais de guider. »

L'empereur Nicolas Ier a personnellement approuvé le fait que Tioutchev intervienne dans la presse occidentale et contribuer à créer une image positive de la Russie en Occident.

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5. Il estimait qu’une révolution était impossible en Russie

Choqué par les révolutions européennes de 1848-1849, Tioutchev écrivit un traité La Russie et la Révolution. Il y décrit l’état déplorable, à son avis, dans lequel la France, l’Allemagne et l’Autriche sont sorties de révolutions. Réfléchissant à la nature du peuple russe, il écrit que la révolution lui était étrangère.

« Tout d'abord, la Russie est un État chrétien, et le peuple russe est chrétien non seulement à cause de l'orthodoxie de ses croyances, mais aussi en raison de quelque chose d'encore plus intime ». Le poète estime que la capacité de sacrifice est innée chez les Russes. Et la révolution étant contraire au christianisme et aux normes morales, cela signifiait selon lui qu'elle ne menaçait pas son pays.

Tioutchev considérait l'autocratie comme le chemin tracé par Dieu. Le poète est mort en 1873 et n'a pas eu le temps d’assister aux premières révolutions russes du XXe siècle, ni à leurs prémisses : en 1881, des terroristes révolutionnaires assassinaient l'empereur Alexandre II.

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