« Depuis toujours j’avais ce désir de diriger une compagnie de danse, mais en diriger une en Russie c’était pour moi de l’ordre de l’inimaginable », nous confesse Laurent Hilaire, étoile et élève de l’illustre danseur et chorégraphe russe Rudolf Noureev, après avoir été décoré ce mercredi 3 juillet par la Renaissance Française pour son travail en tant que directeur de ballet au Théâtre académique musical de Moscou. « Ce qui m’a fait accepter ce poste de directeur dans la compagnie Nemirovitch-Dantchenko, c’est cet esprit particulier spécifique aux danseurs russes, qui se caractérise par une certaine ferveur, par un élan, une envie, une disponibilité, une curiosité ».
Arrivé en Russie il y a 2 ans, celui qui a été étoile de l’Opéra de Paris pendant 22 années est ainsi devenu le deuxième Français, après Marius Petipa, célèbre pour avoir élaboré la chorégraphie, entre autres, de La Bayadère et de Don Quichotte, à diriger une compagnie russe.
Naissance d’une destinée franco-russe
Si Laurent Hilaire ne s’attendait pas à travailler un jour en Russie, ce n’était pourtant pas son premier contact avec le pays. Élève du vénéré Rudolf Noureev, il est sacré étoile de l’Opéra de Paris à 22 ans par son professeur. Mieux, c’est pour le rôle du Prince Siegfried dans le Lac des Cygnes, chorégraphié par le fondateur du ballet du Théâtre académique musical de Moscou Stanislavski et Nemirovitch-Dantchenko Vladimir Bourmeister, que Noureev décide d’élever Hilaire au rang d’étoile, sans passer par le titre de premier danseur. S’ensuivent alors huit années où les deux artistes nouent une forte relation de maître à élève.
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Le souvenir de cette amitié sincère a marqué à jamais la vie de notre danseur français. C’est donc avec une certaine émotion que, début 2019, l’ancien habitué de l’Opéra de Paris assiste au Bolchoï à l’une des représentations du ballet Noureev imaginé par le metteur en scène Kirill Serebrennikov. Assis parmi le public, il éprouve une certaine nostalgie de l’époque où celui qui était surnommé le « seigneur de la danse » était encore en vie : « Dans la première partie du ballet on voit toute cette mise aux enchères de son mobilier, de ses tableaux… C’était très émouvant pour moi parce que je me suis assis dans ces canapés, j’ai dîné dans sa salle à manger avec ces tableaux… Après, dans le deuxième acte, je me suis laissé emporter par l’histoire et par la façon dont les choses étaient construites ».
Un lien évident semble donc unir le parcours artistique de Laurent Hilaire et la Russie. Mais le déclic, c’est sa rencontre avec Anton Guetman, directeur général du théâtre Stanislavski : « Quand Anton Guetman est venu me voir à Paris pour me proposer ce poste, j’ai décidé de tenter l’aventure. J’ai appris ce mot, "posmotrim" ["on verra"], mais le projet m’intéressait. Pendant quelques mois je suis venu regarder le fonctionnement du Stanislavski, j’ai pris le temps d’essayer de comprendre les choses. Et, finalement, c’est parce que je les ai comprises que j’ai pu les changer », confie notre interlocuteur.
Et de poursuivre : « J’ai été formidablement bien accueilli, avec beaucoup de générosité. Cette maison m’a touchée, il y a ici un esprit, un lien entre les danseurs que j’apprécie. J’ai compris que si j’arrivais à gagner leurs cœurs et leurs corps dans le travail, alors on pourrait, ensemble, faire quelque chose de bien ».
« Ensemble » et « transmettre », deux mots qui reviennent d’ailleurs dans les discours des lauréats et qui résonnent avec celui de Zoya Arrignon, présidente de la délégation Renaissance Française en Russie, institution née il y a déjà plus d’un siècle afin d’accroître le rayonnement de la France de par le monde, qui nous rappelle que l’art est avant tout un dialogue et, dans le cas de Laurent Hilaire, un dialogue entre deux pays.
Adopté par le public russe
Mais l’art, c’est aussi un dialogue entre des artistes et un public. Une fois arrivé en Russie, le défi pour Laurent Hilaire a justement été de gagner l’adhésion des spectateurs locaux : « Quand je suis arrivé, on m’a dit que je devrais faire attention, que le public russe est un public conservateur… Mais c’est faux. Je savais que certaines pièces pouvaient être difficiles, mais, en même temps, il faut avancer. Je dis souvent que je n’ai pas de certitudes, mais des convictions. Et même si je ne suis jamais sûr du résultat, c’est parce que j’ai des convictions que le public réagit très bien. (…) J’ai apporté beaucoup au théâtre Stanislavski, j’ai véritablement ouvert le répertoire, en apportant des noms de chorégraphes du monde contemporain, c’est-à-dire du monde de la danse d’aujourd’hui. En même temps, je tiens à préserver l’aspect classique : c’est extrêmement important pour moi, d’autant plus que je suis de base un ancien classique. Maintenant au Stanislavski, on fait un tiers de contemporain pour deux tiers de classique, ce que je trouve être un bon équilibre ».
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Aujourd’hui, la remise à Laurent Hilaire de la médaille d’Or de la Renaissance Française témoigne de l’intérêt que porte à son travail le public, et tout particulièrement celui de la communauté française de Moscou : « J’ai le sentiment, la prétention même, de croire que l’image du théâtre Stanislavski a changé : c’est un théâtre qui, maintenant, éveille la curiosité. Les premières se remplissent très vite, les gens sont intrigués. Finalement, à travers la programmation, j’ai un peu gagné la confiance du public », assure l’ancien maître de ballet.
Le lauréat a en outre déjà plein de projets en tête, perpétuant ainsi les liens artistiques entre la France et la Russie : « L’année prochaine on a une tournée en France : on va à Paris au Théâtre des Champs-Élysées, théâtre mythique des Saisons Russes, mais aussi à Cannes. Je fais aussi un Don Quichotte de Rudolf Noureev avec, pour la première fois en Russie, une compagnie russe. On va aussi faire une création avec Goyo Montero, chorégraphe d’une grande maturité qui est capable de faire danser une grande compagnie, soit 110 danseurs. Enfin, on va donner une pièce d’Akram Khan, un chorégraphe que j’adore. Finalement, aujourd’hui, le théâtre Stanislavski attire véritablement de plus en plus l’attention. C’était un peu le défi : remettre les projecteurs sur cette compagnie, sur ce théâtre ». Un défi indéniablement relevé par Laurent Hilaire.
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