Cinq faits à connaître sur la principale poète russe, Anna Akhmatova

Culture
ALEXANDRA GOUZEVA
C’est avec la force non-féminine de ses perçants poèmes traitant de l'amour, du malheur, de la Russie et de l'organisation de l’univers, qu’elle s'est forgé une place sur l'Olympe littéraire prédominé par les hommes.

Anna Akhmatova n'aimait pas qu'on l'appelle poétesse, et insistait sur le fait qu'elle était poète. La profondeur de sa personnalité et de ses œuvres – qui ne font d’ailleurs que refléter la première – étonne. Une frivolité extérieure, une multitude de romances, conjuguées avec une force d'âme absolument incroyable et un robuste caractère – tout cela l'a aidée à survivre aux années de répressions, à la perte de son mari, à l'arrestation de son fils et à l'interdiction de publier ses poèmes.

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Muse des meilleurs artistes peintres de l'époque

Ses portraits sont innombrables. Les artistes peintres ont été nombreux à vouloir transporter sur leurs toiles son physique très expressif – son cou fin, ses yeux langoureusement entrefermés, son fameux nez busqué et sa frange. Parmi eux figurent notamment Nathan Altman, Kouzma Petrov-Vodkine, Zinaïda Serebriakova, Iouri Annenkov, tandis que tous les portraits d’Anna nés de leurs pinceaux sont remplis de tragique. D’ailleurs, cette image de femme fragile et triste, elle l’a elle-même créée dans ses poèmes :

Les mains crispées sous le voile sombre...

«Pourquoi es-tu si pale aujourd’hui ?»

— Parce que je lui ai fait boire

Jusqu’à l’ivresse une amère douleur.          (Traduit par Jean-Louis Backès)

L’Italien Amedeo Modigliani a même peint Akhmatova dénudée. Et même si des rumeurs leur attribuant une liaison courraient, Anna assurait qu’ils n’étaient qu’amis malgré toute la sympathie réciproque. Ils se sont rencontrés pour la première fois à Paris, où Akhmatova était en voyage de noces avec le poète Nikolaï Goumilev, et ont beaucoup trainé dans les rues de la ville.

Elle a par contre effectivement eu une relation avec le peintre Boris Anrep. Anna lui a consacré plusieurs poèmes, quant à lui, il l’a représentée sur l’une de ses célèbres mosaïques ornant le vestibule de la Gallérie nationale de Londres. Elle y incarne la « Compassion », entourée par les horreurs de la guerre.

Elle a immortalisé le souvenir des femmes attroupées devant les portes du KGB

« Le mari mort, le fils est en prison / Priez à mon intention », écrit Akhmatova dans son Requiem. Sa lyrique est ni plus ni moins qu’un miroir du XXe siècle avec ses événements effrayants – la Révolution, les répressions et la guerre.  

Tour comme elle, son époux était l’une des figures les plus marquantes de l'Âge d'argent de la poésie russe (fin du XIX - début du XXe siècles). En 1921, il a été arrêté pour une prétendue participation à un complot anti-bolchevik, puis fusillé.

Leur fils Lev était quant à lui un historien réputé et pendant les années de la Grande terreur stalinienne il a été arrêté pour « agitation antirévolutionnaire » et envoyé au Goulag.

Des notes d’Akhmatova où elle évoque le début des files d’attentes devant les prisons ont été conservées. Pendant le rude hiver et en pleine canicule estivale, des centaines de femmes s’attroupaient alors devant les portes du siège du KGB de Leningrad pour avoir des nouvelles de leurs époux et fils arrêtés. Elles battaient le pavé pendant des mois et attendaient pour finalement entendre qu’aucune information ne serait délivrée et que l’emplacement de la réclusion ne serait pas communiqué. Les plus chanceuses avaient le droit de transmettre un colis, mais nul ne sait s’il finissait réellement par trouver son destinataire. Son Requiem est donc un hymne funéraire à ces files d’attente absolument terrifiantes formées par des femmes aux lèvres gercées qui se jettent à genoux devant le bourreau pour en savoir plus sur le destin de leurs proches.

C’est justement Akhmatova qui a écrit l’un des poèmes antistaliniens les plus forts, bien qu’il soit moins connu que Nous vivons sans sentir sous nos pieds le pays, de Mandelstam. Dans cette œuvre intitulée Imitation de l'arménien elle s’adresse à un padischah (titre de noblesse perse) gardé par la volonté d’Allah, à qui elle demande si son dîner était bon et si son fils était à son goût.  

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Poèmes interdits

Pendant le blocus de Leningrad Akhmatova est restée dans la ville. Elle a même cousu des sacs à sable dont on recouvrait des tranchées. Avec la poétesse Olga Bergolts, elles lisaient leurs poèmes à la radio, encourageant les habitants de la cité assiégée, tel « L'heure du courage a sonné dans nos heures, /Et le courage ne nous abandonnera pas ».

Mais après la guerre, le Parti communiste de l’Union soviétique a statué qu’Akhmatova était une représentante d’une poésie « vide d’idées » et « étrangère » au peuple. Les communistes n’appréciaient pas l'esprit décadent et l'esthétisme excessif de ses vers, aussi, en conséquences, ses poèmes ont cessé d’être publiés, mais circulaient dans les rangs de l’intelligentsia. Les gens les apprenaient alors par cœur, les transcrivaient sur du papier, les transmettaient à des amis, puis brûlaient les manuscrits.

C’est par miracle qu’elle a évité l’arrestation. Apparemment, sa position au sein de la société a tout de même joué un rôle.

Elle a pavé le chemin littéraire de Brodsky

Étant pratiquement l’unique représentante de la génération de l’Âge d’argent de la poésie russe encore en vie durant les années 1950, beaucoup d’admirateurs cherchaient à faire sa connaissance. Quatre de ses jeunes amis poètes deviendront célèbres. C’est avant tout le cas de Joseph Brodsky.

À propos de ce dernier : il était au début indifférent envers la poésie d’Anna et a juste profité de l’occasion pour aller faire sa connaissance. Mais un seul vers « Telle une rivière. /Ces temps sombres m'ont détournée » (Traduction de Christian Mouze), l’a laissé comprendre l’envergure de sa personnalité. Comme il l’avouera plus tard dans une interview, personne d’autre qu’elle ne lui avait appris à comprendre et à pardonner tout, que ce soient les gens, les circonstances, la nature ou l’indifférence des sphères supérieures.  

En parlant de Brodsky, Akhmatova le qualifiait de l’un des poètes les plus talentueux qu’elle a elle-même « fait pousser ». Comme on le dit, cela a beaucoup flatté Brodsky.

Elle a reçu le titre de docteur honoraire de l'Université d'Oxford

À un an de sa mort, en 1966, alors qu’elle avait 75 ans et que ses poèmes n’étaient plus publiés dans son pays depuis déjà 18 ans, Akhmatova a été invitée au Royaume-Uni, où elle s’est vu offrir la toge de docteur ès sciences de l’Université d’Oxford. Lors du discours solennel il a été dit : « Cette femme majestueuse est qualifiée à juste titre par certains de "seconde Sappho" ».

Les journaux britanniques ont alors activement couvert l’arrivée d’une aussi grande poète « rejetée pendant l’époque de Staline », évoquant à quel point elle était alors émue par la reconnaissance internationale.

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