Pouchkine et les femmes: qui a donc autant inspiré le plus illustre des poètes russes?

Pixabay, Global Look Press, Petr Sokolov/Wikipedia; George Hayter/Hermitage Museum
La femme du patron, la voisine, une jeune beauté… Alexandre Pouchkine est entré dans l’histoire non seulement en tant que poète de génie, mais aussi comme séducteur invétéré doté d’une longue liste de conquêtes.

« En ce temps-là, lorsque, dans les jardins du lycée, je fleurissais insouciant, lorsque je lisais avidement Apulée et ne lisais point du tout Cicéron ; en ce temps-là, dans les vallons mystérieux, aux cris printaniers des cygnes, près  des eaux  silencieuses  et  étincelantes,  la  Muse m’apparut pour la première fois ».

Dans son roman en vers Eugène Onéguine, Pouchkine avoue son intérêt précoce pour la sexualité et l’amour. Apulée, écrivain antique, était en effet l’auteur de Métamorphoses, un roman relatant les aventures d’un jeune homme et comprenant des scènes érotiques très ouvertement décrites.

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Aussi, au lycée, le jeune Pouchkine, animé par le lyrisme sentimental de Vassili Joukovski, a écrit un grand nombre d’éloges amoureuses : ses interminables Pour NataliaPour MariaPour ellePour la jeune veuve, et même Pour la beauté qui reniflait du tabac, duquel il souhaiterait prendra la place dans les mains de la demoiselle.

Il a ainsi dépeint à l’encre comment il avait connu Amour et Cupidon, comment son « cœur passionné avait été captivé », a décrit comme il brûlait « dans la volupté de l'amour enflammé », comme il voulait des « extases de jouissance » et des étreintes nocturnes (le tout, avec des femmes différentes). Bien sûr, comme il convient à tout jeune poète, il a toutefois également écrit au sujet de la souffrance, de la séparation, et de l'approche de la mort, qui devait le libérer des tourments de l'amour.

Parallèlement à toute la frivolité de cette poésie, Pouchkine s’est aussi grandement penché sur la fraternité au lycée, sur l'honneur et la dévotion, ainsi que la politique. Néanmoins, même dans ses vers politiques, il compare l’attente de liberté aux épreuves amoureuses.

« Impatiemment nous attendons avec espoir

Le rendez-vous de la liberté,

Comme attendrait le jeune amant

Le rendez-vous de son amante ».

Maria Raïevskaïa

En 1820, alors que Pouchkine n’avait que 21ans, il a été envoyé en exil en raison de ses poèmes politiques (Pour Tchaadaïev, Ode à la liberté, Le Village). Le poète s’est même comparé à ses homologues déchus tels que Byron. Et compte tenu des souffrances engendrées par son exil, par la distance le séparant de ses proches et amis, ce singulier statut le flattait de toute évidence. Cependant, la chance lui a souri : de la Sibérie il a été épargné par les efforts de son protecteur, Nikolaï Karamzine, qui permettra son envoi dans le sud de l’Empire, au climat bien plus clément.

Maria Raïevskaïa

Sa première affectation a ainsi été Chișinău, au secrétariat du gouverneur général de Bessarabie, correspondant à l’actuelle Moldavie, autrefois partie de l’Empire russe. Mais Pouchkine contractera bientôt une pneumonie et sera donc envoyé se soigner en bord de mer, avec le général Raïevski.

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Le poète marchait alors beaucoup dans les montagnes, sur le littoral, et, charmé par la mer, le Caucase et la Crimée, il a écrit ses poèmes « de jeunesse » : Le Prisonnier du CaucaseLa Fontaine de BakhtchissaraïLes Tziganes, tous empreints de motifs orientaux et de beautés effrontées, se distinguant fortement des froides Saint-pétersbourgeoises.

C’est précisément ici que lui est venue l’idée d’Eugène Onéguine et qu’il a rédigé bon nombre de ses vers lyriques. Beaucoup d’entre eux sont consacrés aux filles du général Raïevski, et notamment à Maria. Les spécialistes de Pouchkine ne s’accordent pas sur la relation qu’ils ont entretenue : une version avance que Maria été éprise du poète, sans réciprocité, et aurait ainsi été le prototype de du personnage de Tatiana Larina dans Eugène Onéguine, tandis que d’autres pensent qu’au contraire Pouchkine était amoureux d’elle et lui avait dédié son poème Poltava. Certains considèrent d’ailleurs que c’est en repensant à ses distractions de jeunesse en bord de mer et tout particulièrement à Maria qu’il a écrit Onéguine, et qu’il a avoué jalouser les vagues embrassant ses jambes.

Portrait de Raïevskaïa par Pouchkine

« Je me souviens d’une mer soulevée par l’ouragan. Comme je portais envie aux flots qui accouraient se pressant l’un l’autre pour se coucher amoureusement à ses pieds ! Comme j’aurais voulu venir avec les flots toucher de mes lèvres ces pieds charmants ! »

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Elizaveta Vorontsova

En 1922, la Nouvelle Russie et la Bessarabie ont été unies en une seule entité, et c’est le général Mikhaïl Vorontsov qui en a été nommé gouverneur. Pouchkine a par conséquent été transféré auprès de lui, au secrétariat d’Odessa. Le ravissement du poète a alors été sans limite. En effet, Odessa apparaissait à l’époque comme la deuxième ville de l’Empire (après Saint-Pétersbourg), avec ses théâtres, ses réceptions, et tous les autres détails de la vie mondaine. Là-bas, il est aussi devenu l’un des nombreux admirateurs de la femme de Vorontsov, Elizaveta.

Elizaveta Vorontsova

Les biographes débattent encore de l’existence ou non d’une romance entre eux deux. Certains soutiennent qu’Elizaveta a mis au monde une fille ayant Pouchkine pour père, tandis que d’autres tendent à penser que leurs liens était purement platoniques. Toujours est-il que dans les carnets de notes du poète ont été retrouvés de nombreux portraits de Vorontsova réalisés au crayon gris.

Par ailleurs, lui ont été dédiés plusieurs poèmes. Par exemple, on juge que sa situation avec Vorontsova se reflète dans Le Désir de gloire : le poète y décrit comment une certaine bien-aimée lui caressait la tête et lui demandait de lui promettre un amour éternel. Et il était persuadé du fait que jamais ils ne se sépareraient :

« J’appréciais cette plénitude, je me figurais qu’il n’y avait pas d’avenir, que ce jour de la terrible séparation ne viendrait jamais … »

Portrait de Vorontsova par Pouchkine

Mais le héros lyrique de ce poème apprend avoir été trompé et ne désire qu’une tonitruante gloire poétique qui irait jusqu’aux oreilles de son amante, pour que celle-ci l’entende constamment et se souvienne de leurs déclarations d’amour.

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Or, des rumeurs ont couru sur une liaison entre Vorontsova et le colonel Raïevski, qui a même fait un scandale au domicile du mari de sa présupposée amante et qui, pour éloigner de lui tout soupçon, a donc diffamé Pouchkine. C’est à lui que l’écrivain semble adresser le poème Démon, le qualifiant de « mauvais esprit » et de personne sans principes.

« Son sourire mystérieux,

Ses paroles cyniques,

Versaient un poison glacé dans mon âme ».

La bonne entente de Pouchkine avec son supérieur Mikhaïl Vorontsov a pâti de cette histoire, mais aussi de son plus grand intérêt pour la poésie que pour le travail. De plus, une lettre de Pouchkine, où il racontait sa passion pour l’athéisme, tombera à ce moment-là entre les mains de la police secrète, qui le démettra de ses fonctions. C’est ainsi que s’est terminé son exil dans le sud, après quoi il a été envoyé au domaine familial de Mikhaïlovskoïé, dans le gouvernorat de Pskov (non loin de la frontière lettonne actuelle).

Avant son départ, Elizaveta a toutefois offert à Pouchkine un anneau, qui deviendra jusqu’à la fin de ses jours son talisman. Vorontsova a quant à elle conservé de chaleureux sentiments à son égard jusqu’à sa mort, lisant ses œuvres et discutant même par la suite, lors d’événements mondains, avec la femme de Pouchkine, Natalia Gontcharova, qui fera d’ailleurs preuve d’une extrême jalousie.

Anna Kern et Olga Kalachnikova

Pouchkine a de sa main laissé dans l’album d’Elisaveta Ouchakova, une connaissance de Moscou, la liste des femmes desquelles il s’était épris. Au total, y figurent plus de trente noms. Les amateurs de Pouchkine l’ont entièrement déchiffrée et s’y trouvent des noms plus ou moins connus. Par exemple, l’une des cinq Annas mentionnées est certainement Anna Kern, à laquelle est dédié l’un des plus célèbres poèmes d’amour de l’écrivain : Je me souviens d'un instant merveilleux.

Anna Kern

Le séjour de Pouchkine au domaine de Mikhaïlovskoïé (1824-1826) est considéré comme l’une des périodes les plus fertiles de sa vie. Rien ne le distrayait de son art, il pouvait donc s’adonner pleinement à l’écriture et remplissait tous ses objectifs. Il a néanmoins rapidement fait la rencontre d’Anna Kern dans le domaine voisin de Trigorskoïé, qu’il visitait régulièrement. Leurs relations n’ont pas été bien longues et ressemblaient plus à un jeu : Anna flirtait en réalité avec d’autres hommes. Au domaine de Mikhaïlovskoïé, une allée a hérité du nom de cette femme, et l’on pense que le poète s’y promenait en sa compagnie. Les biographes ont cependant trouvé dans différentes lettres de Pouchkine des passages ironiques et tranchants au sujet de Kern, et ont donc conclu que l’homme de lettres n’avait pas de sentiments sérieux à son égard.

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Toujours à Mikhaïlskoïé, Pouchkine a entretenu une liaison avec Olga Kalachnikova, femme de chambre dont il était le père d’un enfant illégal, mort en bas-âge.

Natalia Gontcharova

En 1828, Pouchkine avait 29 ans et n’était toujours pas marié, ce qui pour la haute société était rare. Lors de ses exils, il avait en réalité eu peu d’occasions d’effectuer une demande en mariage. De Natalia, 16 ans, il est toutefois tombé amoureux dès le premier regard. Mais sa demande a été accueillie avec froideur, bien que les parents de la jeune fille n’aient exprimé aucun « niet » définitif. Natalia était trop jeune, et le poète avait d’ores et déjà une réputation d’audacieux libertin.

Natalia Gontcharova

Pouchkine s’est donc rendu dans le Caucase, où la guerre faisait rage, puis a eu le souhait de voyager à l’étranger, mais a essuyé un refus de la part de la police secrète. En 1830, il a donc réitéré sa demande auprès de Natalia, recevant cette fois une réponse positive.

« Mon mariage avec Natalia (c’est, je le précise entre parenthèses, mon 130ème amour) est décidé », a écrit le poète sur le ton de la plaisanterie à la femme de son ami Piotr Viazemski. Gontcharova, bien que n’étant effectivement pas son seul amour, a cependant été le plus grand, et Pouchkine la comparera même à la Madone : « Dieu t'envoya vers moi, ô ma Madone calme. Du charme le plus pur toi le plus pur modèle ».  À son sujet il a également écrit un poème plutôt érotique, dans lequel il dit préférer l’humble, froid, pudique et doux amour de Natalia à une passion ardente.

Gontcharova lui donne quatre enfants, mais l’amour et le bonheur familial de Pouchkine sont assombris par sa position dans la société et son travail. Ses meilleures œuvres sont soumises à la censure, l’empereur Nicolas Ier lui accorde le rang bas et offensant de gentilhomme de la chambre, tandis que ses travaux poétiques sont entravés (on le retient à Saint-Pétersbourg, l’empêchant d’aller à la campagne ou à Moscou pour se reposer et trouver l’inspiration). Les lecteurs et critiques considèrent alors que son talent a perdu de sa saveur, les livres se vendent mal, et les jeux de cartes font augmenter ses dettes.

Portrait de Gontcharova par Pouchkine

Pouchkine devient nerveux et très jaloux, et ici encore coure une rumeur selon laquelle sa femme aurait une romance avec l’officier français Georges d'Anthès. Le poète provoque donc celui-ci en duel. Il est blessé et mourra deux jours plus tard dans son lit. Avant de rendre son dernier souffle, il demandera pardon au tsar, et ce dernier promettra donc de prendre soin de ses enfants et de sa femme. L’empereur payera effectivement par la suite les multiples dettes de ce Don Juan russe.

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