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Au début du XXe siècle, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski (1863-1944) mit au point une technique complexe pour obtenir des tirages aux couleurs vives et fidèles*. Durant la décennie qui précéda la Première Guerre mondiale, il parcourut une grande partie de la Russie pour photographier avec le procédé de son invention des sites historiques.
Ses déplacements étaient pris en charge par le ministère des Transports qui l’avait commissionné pour réaliser des clichés le long de la voie navigable Marie, dans le nord-est de la Russie, en juin et juillet 1909.
Relier Saint-Pétersbourg au reste de la Russie
Pierre Ier (1672-1725) fonda Saint-Pétersbourg en 1703. Il en fit la capitale de la Russie en 1712. Organiser l’approvisionnement de la ville naissante en denrées et matériaux de construction à partir de l’intérieur du pays fut l’une des grandes entreprises du règne de Pierre le Grand. La voie fluviale Marie relie le bassin de la Volga à la mer Baltique. Lancé par Pierre Ier, ce projet ne commença à être réalisé que sous Paul Ier (1754-1801), qui lui donna le nom de sa seconde épouse, l’impératrice Marie Fiodorovna.
Cette voie part du fleuve Néva, sur lequel fut construit Saint-Péterbourg, traverse aujourd’hui le lac Ladoga, puis le lac Blanc, suit la Cheksna jusqu’à Tcherepovets, que Sergueï Prokoudine-Gorski photographia de la rivière, puis le réservoir de Rybinsk, dans lequel se jette la Volga.
Légèrement à l’ouest s’étire une autre voie fluviale – celle de Tikhvine – qui traverse également le réservoir de Rybinsk. Son plus long tronçon est la rivière Mologa sur les rives de laquelle se trouve la petite ville d’Oustioujna. Sa population s’élève à environ sept mille cinq cents habitants. C’est une ville relativement isolée dans la mesure où elle n’est pas desservie par le chemin de fer et qu’il faut faire plusieurs kilomètres après avoir quitté la route reliant Saint-Pétersbourg à Tcherepovets.
Ville du fer
Lorsque l’on flâne dans les rues d’Oustioujna, dont beaucoup ne sont pas pavées, on a l’impression que cette petite ville marchande n’a pas changé depuis le XIXe siècle. Le XXe siècle ne l’épargna toutefois pas, comme tant d’autres villes de province.
Si chaque quartier semble avoir conservé son église, la plupart d’entre elles furent vandalisées ou détruites pendant la période soviétique. Une seule, celle de l’icône de la Vierge de Kazan, est aujourd’hui ouverte au culte. Les paroissiens et les touristes de passage ont donc la chance de pouvoir admirer le bâtiment même de l’église et les fresques qui ornent ses murs intérieurs. Ils sont un chef-d’œuvre de l’école d’art sacré des Stroganov.
Au Moyen-Âge, les oxydes ferriques que contiennent les tourbières alentour firent la richesse d’Oustioujna. Ils étaient récupérés par des méthodes de fusion rudimentaires. La ville fut mentionnée pour la première fois pour son exploitation du fer au milieu du XIIIe, ce qui en fait un des plus anciens centres métallurgiques de Russie. La production de minerai atteignit son apogée dans le courant du XVIe siècle.
L’église de la Nativité-de-la-Vierge
Au XVIIIe siècle, lorsque les mines de l’Oural drainèrent l’industrie métallurgique vers elles, Oustioujna devint une modeste ville de province. Sa physionomie changea considérablement sous le règne de Catherine II (1729-1796). Dans les années 1770, l’impératrice décida de régenter l’urbanisme des villes russes. Le nouveau plan d’Oustioujna, adopté en 1778, reliait astucieusement les deux principales églises de la ville : celle de la Nativité-de-la-Vierge et celle de l’icône de la Vierge-de-Kazan.
La première d’entre elles, construite en 1685-1690, est la plus ancienne église d’Oustioujna encore debout de nos jours. Bien que son clocher ait été démoli dans les années 1930, le fait qu’elle abrita le musée de l’histoire locale pendant la période soviétique la sauva, à n’en pas douter, de la destruction.
L’extérieur de l’église de la Nativité-de-la-Vierge est relativement simple. Mais, à l’intérieur, on découvre une iconostase extraordinaire dont le style indique qu’elle fut réalisée à Moscou à la fin des années 1680. Son cadre sculpté s’élève, dans la plus pure tradition, sur cinq rangées : de celle des icônes locales en bas à celle des Patriarches en haut. L’église abrite actuellement le musée municipal.
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Église de l’icône de la Vierge-de-Kazan
Un autre monument remarquable de l’art sacré est l’église, très richement décorée, de l’icône de la Vierge-de-Kazan. Sa construction débuta en 1694 sur commande de Grigori Stroganov (1656-1715), un des représentants de la dynastie de marchands, qui entretenait des relations commerciales avec Oustioujna.
L’extérieur de cette église en rappelle d’autres érigées par les Stroganov au XVIIe siècle. Les murs de brique sont peints en rouge. Les éléments saillants de la structure et les ornements des façades se détachent en blanc. Ces édifices sont généralement couverts de coupoles ornementales surmontées de croix hautes et très élaborées.
À la différence des autres églises commandées par les Stroganov, celle de l’icône de la Vierge-de-Kazan est à un seul niveau. Il n’y a pas d’église dans la crypte sous l’autel principal. À l’origine, l’entrée principale était une porche qui se détachait sur la façade ouest. Il menait à un petit vestibule, le narthex. Une chapelle dédiée à Sainte-Catherine fut adjointe à la façade nord. Elle était chauffée pendant l’hiver.
L’église de l’icône de la Vierge de Kazan abrite une imposante iconostase. Mais, elle mérite surtout d’être visitée pour ses fresques du milieu du XVIIIe siècle peintes dans le style chargé de Iaroslavl par des maîtres de cette ville, qui était l’un des plus grands centres de la peinture religieuse aux XVIIe et XVIIIe siècles. À cette époque, le style des artisans était influencé par l’art sacré occidental et des Bibles illustrées venues d’Europe.
Les fresques d’Oustioujna
Pour savoir exactement quand et qui peignit les fresques d’Oustioujna, il nous suffit de lire les inscriptions que les maîtres laissèrent dans l’église. Sur l’arc ouvrant le passage entre le narthex et la chapelle Sainte-Catherine, on distingue des dates (1er juillet 1756 – 26 août 1757) et les noms d’artisans de Iaroslavl.
Le petit narthex est entièrement recouvert de fresques : on y trouve les Sept Jours de la Création, l’Expulsion du Paradis et le Jugement Dernier. À l’intérieur de l’église et sa chapelle attenante, on est saisi par l’intensité des représentations murales : la Passion du Christ, les principales fêtes religieuses de l’année, des images de la Vierge et des scènes de la vie de sainte Catherine.
Une architecture remarquable
Le portail ouvre sur un volume intérieur impressionnant. Cette sensation d’immensité est renforcée par le fait que l’espace est totalement dégagé et s’élève jusqu’à un plafond très voûté avec une seule ouverture sur le tambour qui soutient la coupole principale. Les épais murs extérieurs supportent tout le poids du bâtiment. Les deux niveaux de fenêtres laissent entrer suffisamment de lumière pour illuminer les fresques. Tous les murs sont couverts de ces peintures qui sont parmi les plus colorées de l’art sacré russe.
Sur les pans de la coupole sont représentées huit fêtes importantes du calendrier orthodoxe : l’Annonciation, la Nativité du Christ, la Purification de la Vierge, l’Epiphanie, la Transfiguration, la Pentecôte, la Nativité de la Vierge et la Présentation de la Vierge au Temple. Elles sont entourées d’une frise donnant à voir les stations du Chemin de Croix.
On trouve quatre registres sur chaque mur. Les deux rangées supérieures sont consacrées à la vie et aux enseignements de Jésus-Christ. On y voit, par exemple, la parabole du vigneron et ses ouvriers, ainsi que celle du fils prodigue. La troisième rangée, toujours en partant du haut, illustre largement les Actes de Apôtres, dont des épisodes de la vie des saints Pierre et Jean.
De grandes icônes s’intercalent sur ce registre : parmi elles, l’icône miraculeuse du Sauveur et une représentation de Marie et de l’enfant Jésus à la manière de Raphaël. La rangée inférieure est celle dédiée à la vie de sainte Catherine.
En plus des fresques, il y a des images au niveau des fenêtres supérieures. Leurs embrasures sont couvertes d’images, comme celle du Sauveur-Emmanuel, et de plusieurs icônes de la Vierge. Le nombre de représentations de la Vierge s’explique par la dédicace de l’église.
Le dernier élément de l’ensemble est un campanile octogonal en brique. Il fut construit l’année où les fresques furent réalisées.
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Dans la ville, plusieurs bâtiments à usage commercial du XIXe siècle, ainsi que plusieurs maisons en bois, dont certaines abandonnées du fait du déclin de la population, nous sont parvenus.
En dépit des lourdes pertes qu’il subit au XXe siècle, le centre historique d’Oustioujna et ses trésors d’art sacré témoignent aujourd’hui encore du riche patrimoine culturel des villes du nord de la Russie.
*Au début du XXe siècle, le chimiste russe Sergueï Prokoudine-Gorski développa un procédé complexe de photographie en couleur. Il consistait en une triple exposition sur une plaque de verre. Entre 1903 et 1916, il parcourut l’Empire russe et prit plus de deux mille clichés. En août 1918, il quitta la Russie et s’établit en France. Il y retrouva une grande partie de sa collection de négatifs sur glace et treize albums de tirages contact. Après sa mort à Paris en 1944, ses héritiers vendirent sa collection à la Bibliothèque du Congrès. Au début des années 2000, la Bibliothèque numérisa la collection Prokoudine-Gorski et la rendit accessible en ligne gratuitement. Plusieurs sites internet russes la présentent également. En 1986, l’historien de l’architecture et photographe William Brumfield organisa à la Bibliothèque du Congrès la première exposition consacrée aux photographies de Sergueï Prokoudine-Gorski. Lors de ses séjours en Russie depuis 1970, William Brumfield marcha sur les traces de Sergueï Prokoudine-Gorski et visita les mêmes sites que lui. Dans cette série d’articles sont juxtaposés les clichés de monuments architecturaux pris par les deux photographes à plusieurs décennies d’écart.
Dans cet autre article, William Brumfield vous emmène à la découverte de Tioumen, un avant-poste sibérien devenu grand centre énergétique.
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