Le monastère Andronikov, un des gardiens de l’héritage artistique et spirituel de Moscou

L’historien de l’architecture et photographe William Brumfield retrace ici l’histoire, longue de six siècles et demi, de l’un des monastères les plus petits et les moins connus de Moscou: celui du Sauveur-Andronikov. Cette fondation, érigée comme beaucoup d’autres aux environs de Moscou pour protéger la ville, accueillit pourtant l’iconographe renommé Andreï Roublev.

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Moscou. Monastère du Sauveur (Andronikov), église de l’icône acheiropoïète du Christ, façade est. À l’arrière-plan à gauche : église de l’Archange-Saint-Michel

Au début du XXe siècle, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski (1863-1944) mit au point un procédé complexe pour obtenir des tirages aux couleurs vives et fidèles. Sa conception de l’art photographique comme forme d’éducation et source de connaissances est particulièrement bien incarnée dans les nombreuses photographies qu’il fit de monuments architecturaux à travers toute la Russie.

La plus grande partie des clichés pris par Sergueï Prokoudine-Gorski est aujourd’hui conservée à la Bibliothèque du Congrès à Washington*. Entrepreneur, il avait ouvert un atelier où il imprimait cartes postales et illustrations pour les livres. En 1914, son établissement s’agrandit et prit le nom de Biochrome.

Nouveau monastère du Sauveur, vue prise du nord-est. De gauche à droite: tour sud-est, clocher, tour nord-est; église Saint-Nicolas et cloître est; église de la Transfiguration, église de la Vierge-du-Signe, 1912

Parmi les publications dans lesquelles figurent des photographies en couleur prises par Sergueï Prokoudine-Gorski, on citera un ouvrage important publié en 1913 à l’occasion du tricentenaire de la dynastie Romanov. On y trouve une vue panoramique du nouveau monastère du Sauveur  (Новоспасский монастырь/Novospasski monastyr ») prise du toit d’un immeuble situé à proximité.

Monastère du Sauveur (Andronikov). Tours autour du portail sud où se trouvait autrefois le clocher

À quelques kilomètres au nord-est de cette fondation de la fin du XVe siècle se situe le monastère du Sauveur, plus connu sous le nom d’Andronikov. S’il est loin d’être le plus grand de Moscou par sa superficie, ce monastère, où vécut le célèbre peintre d’icônes Andreï Roublev (v.1360-v.1430), est certainement l’un des plus pittoresques. Pris dans un écrin de verdure, il domine la petite rivière Iaouza, qui se jette dans la Moskova. Ses murs de brique blanchie le signalent aujourd’hui encore de loin. Il fut construit sur une des principales routes qui sortaient de Moscou vers l’est.             

Fondation du monastère Andronikov

Monastère du Sauveur (Andronikov), église de l'icône acheiropoïète du Christ, façade sud-est

Le monastère du Sauveur fut fondé vers 1360 par le métropolite Alexis (v.1300-1378), chef de l’Église russe qui œuvra considérablement à l’établissement de la puissance politique de la grande-principauté de Moscou. Des sources rapportent que le bateau qui ramenait le métropolite Alexis de Constantinople à la rive septentrionale de la mer Noire dut affronter une terrible tempête. De retour à Moscou, le prélat tint la promesse qu’il avait faite à Dieu alors qu’il craignait de ne jamais revoir la terre ferme : celle de fonder un monastère dédié à l’icône acheiropoïète (non peinte par la main de l’homme) du Sauveur qu’il rapportait de Constantinople. On construisit alors l’église du Sauveur et quelques cellules.

Moscou. Monastère du Sauveur (Andronikov), église de l'icône acheiropoïète du Christ, façade ouest

Alexis institua comme higoumène (abbé) du monastère Andronik, un disciple de Serge de Radonège (v.1314-1392), la grande figure du monachisme de la Russie du Nord-Est. Ce fut pour rendre hommage aux efforts concédés par Andronik pour prendre soin de la fondation qui lui avait confiée qu’on apposa son nom à celui de la dédicace originelle.

Monastère du Sauveur (Andronikov), église de l'icône acheiropoïète du Christ, vue sur la nouvelle iconostase et l'abside qui abrite l'autel principal.

Détruite par le feu en 1368, l’église du Sauveur fut rapidement reconstruite. Cette seconde église fut remplacée par un édifice en calcaire dont l’érection commença au début des années 1420 et fut achevée en 1427. Bien qu’elle ait connu au fil des siècles bien des modifications, cette troisième église est considérée comme le bâtiment le plus ancien de Moscou encore debout.

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Le monastère d’Andreï Roublev

Monastère du Sauveur (Andronikov), église de l'icône acheiropoïète du Christ, voûtes sous le tambour central

L’église de l’icône acheiropoïète du Sauveur est clairement l’expression de la volonté de faire revivre les traditions architecturales de la région de Vladimir-Souzdal de la période précédant l’invasion mongole (1237-1238), dont une des expressions bien connues est l’église Saint-Dmitri de Vladimir.

Monastère du Sauveur (Andronikov), église de l'icône acheiropoïète du Christ, angle nord-est, icône de tous les saints au pied du pilier nord-est, morceau de la nouvelle iconostase

De dimensions bien plus modestes que ses modèles du XIIe siècle, l’église du Sauveur du monastère Andronikov a leur silhouette caractéristique : étagement de pignons décorés au-dessus desquels s’élève un tambour central surmonté d’une coupole. En abaissant les angles de la construction, les maçons en soulignèrent le mouvement ascendant.

Monastère du Sauveur (Andronikov), église de l'Archange-Saint-Michel, vue sud-est

L’iconographe Andreï Roublev fut témoin de la construction de l’église en pierre du Sauveur. Il est attesté qu’il peignit plusieurs icônes qui trouvèrent leur place dans l’église. Il en réalisa également les fresques. Aucune ne nous est parvenue, sauf peut-être celles qui décorent l’embrasure de plusieurs fenêtres de l’abside où se trouve l’autel.

Des siècles de saccages et de reconstructions

Monastère du Sauveur (Andronikov), réfectoire attenant à l’église de l’Archange-Saint-Michel

Le monastère Andronikov fut ravagé en 1571, lorsque le khan de Crimée Devlet-Giray (1512-1577) dévasta Moscou. À la fin du Temps des Troubles (1598-1613), en 1611, alors que les Polonais occupaient Moscou, il fut une nouvelle fois mis à sac. Il est plus que probable que la plupart des œuvres d’art qui ornaient l’église du Sauveur ne survécurent pas à ce second épisode de violence. Lors de travaux de restauration qui furent menés à la fin du XVIIIe siècle, les fragments endommagés encore visibles des fresques furent détruits. À ce jour, les murs intérieurs de l’église du Sauveur restent nus.    

Monastère du Sauveur (Andronikov), mur d'enceinte ouest et église de l'Archange-Saint-Michel, vue prix du sud-ouest

En septembre 1812, l’église fut saccagée par les troupes de Napoléon Ier et son iconostase brûlée. La chaleur dégagée par l’incendie provoqua l’effondrement du tambour et de la coupole. La restauration de 1846-1850 fut l’occasion d’adjoindre, au nord et au sud, deux chapelles à l’édifice (elles ont été détruites depuis). La partie supérieure de l’église fut alors considérablement modifiée.

Monastère du Sauveur (Andronikov), résidence des archimandrites, façade nord

Heureusement, des architectes soviétiques menèrent des études minutieuses et parvinrent à la conclusion que le bâtiment du début du XVe siècle (y compris certains de ses pignons décoratifs) était en grande partie intact et pouvait être restauré. Les travaux de rénovation et de reconstruction de la partie supérieure de l’église conduits aux débuts des années 1960 furent critiqués par certains. On peut néanmoins affirmer que l’apparence que l’église a depuis est proche de celle du XVe siècle.

Monastère du Sauveur (Andronikov), résidence des archimandrites, carreaux de faïence sur le mur nord

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Un ensemble architectural unique

Comme beaucoup de monastères construits au sud de Moscou, celui du Sauveur avait une fonction défensive . Il fut donc entouré d’une ceinture de remparts ponctuée de tours. Initialement en rondins de bois, ils furent reconstruits en brique durant le XVIIe siècle. Le portail principal – les Portes Saintes – était surmonté d’une petite église dédiée à la Nativité de la Vierge. Près de cette entrée fut construite en 1690 la résidence des archimandrites (abbés) dont les façades furent décorées de carreaux de faïence toujours visibles aujourd’hui.

Monastère du Sauveur (Andronikov), tour à l’intersection des murs sud et ouest, vue prise du nord-est

Dans les années 1730, l’instabilité du sol provoqua l’effondrement partiel des remparts. Ce qu’il en restait fut endommagé par l’incendie qui ravagea le monastère en 1748. Une grande partie des manuscrits de la bibliothèque fut à jamais perdue. Les remparts et les tours furent reconstruits dans les années 1750 et ressemblent à ce qu’ils étaient au XVIIe siècle.

Entre 1795 et 1803, un immense clocher de style néo-classique fut érigé à l’entrée du monastère. L’architecte en vue de l’époque, Rodion Kazakov (1758-1803), avait souhaité que ce campanile soit légèrement moins haut que le clocher d’Ivan le Grand dans le Kremlin (respectivement 73 et 81 mètres). Cette construction et l’église adjacente furent détruites dans les années 1930. Les briques furent récupérées pour d’autres chantiers.  

Monastère du Sauveur (Andronikov), cloître, façade est

Le bâtiment le plus haut dans l’enceinte du monastère Andronikov qui nous soit parvenu est l’église de l’Archange-Saint-Michel érigée sur le réfectoire du début du XVIe siècle. Sa construction commença à l’initiative de la tsarine Eudoxie Lopoukhina, la première femme de Pierre le Grand. Après qu’elle eut été reléguée au monastère de l’Intercession de Souzdal, les travaux furent interrompus. Ils ne furent menés à bien par les Lopoukhine qu’en 1739. La crypte de l’église fut pendant un temps leur nécropole.      

Monastère du Sauveur (Andronikov), carillon devant le cloître

Bien qu’elle ait été sévèrement endommagée en 1812, l’église de l’Archange-Saint-Michel est aujourd’hui très semblable à ce qu’elle était au milieu du XVIIIe siècle.         

Période soviétique et hommage à Andreï Roublev

Les bolcheviks fermèrent le monastère Andronikov en 1918. Plus tard, ils firent détruire son clocher néo-classique qui rivalisait par sa hauteur et sa grâce avec celui du nouveau monastère du Sauveur. Les autres bâtiments de l’ensemble furent transformés en dortoirs pour ouvriers et autres espaces utilitaires. En 1947, le monastère fut classé et la restauration des remparts et des petites tours fut entamée.

Monastère du Sauveur (Andronikov), école religieuse, bâtiment datant du début du XIXe siècle

En 1960 fut ouvert le musée Andreï Roublev. Il est depuis un important centre d’études de l’art médiéval russe et de restauration. L’église du Sauveur fut rendue au culte en 1989. En 2019, le Patriarcat de Moscou fit valoir ses droits sur les autres bâtiments.

Monument à Andreï Roublev dans le square situé devant l’entrée sud du monastère du Sauveur (Andronikov)

Dans le petit jardin ombragé devant l’entrée du monastère se dresse un monument à Andreï Roublev dont une reproduction de la Trinité est exposée dans la petite chapelle qui se trouve à quelques mètres de lui. L’iconographe fut canonisé par l’Église orthodoxe russe en 1988.

Moscou, chapelle de la Trinité avec une reproduction de l’icône de la Trinité d’Andreï Roublev, place située devant l’entrée sud du monastère du Sauveur (Andronikov)

Au cours de ses presque neuf siècles d’existence, Moscou fut défendue au sud par sa ceinture de monastères. S’ils subirent des pertes substantielles durant l’époque soviétique, ces fondations survécurent et sont les gardiennes de l’héritage spirituel et culturel de la ville.

Moscou, monastère du Sauveur (Andronikov). Carreau de faïence sur la façade nord de la résidence des archimandrites. L'inscription indique qu'il s'agit d'un

Au début du XXe siècle, le chimiste russe Sergueï Prokoudine-Gorski développa un procédé complexe de photographie en couleur. Il consistait en une triple exposition sur une plaque de verre. Entre 1903 et 1916, il parcourut l’Empire russe et prit plus de deux mille clichés. En août 1918, il quitta la Russie et s’établit en France. Il y retrouva une grande partie de sa collection de négatifs sur glace et treize albums de tirages contact. Après sa mort à Paris en 1944, ses héritiers vendirent sa collection à la Bibliothèque du Congrès. Au début des années 2000, la Bibliothèque numérisa la collection Prokoudine-Gorski et la rendit accessible en ligne gratuitement. Plusieurs sites internet russes la présentent également. En 1986, l’historien de l’architecture et photographe William Brumfield organisa à la Bibliothèque du Congrès la première exposition consacrée aux photographies de Sergueï Prokoudine-Gorski. Lors de ses séjours en Russie depuis 1970, William Brumfield marcha sur les traces de Sergueï Prokoudine-Gorski et visita les mêmes sites que lui. Dans cette série d’articles  sont juxtaposés les clichés de monuments architecturaux pris par les deux photographes à plusieurs décennies d’écart.

Dans cet autre article, William Brumfield vous emmène à la découverte de Taltsy, une oasis d’architecture en bois dans la région du lac Baïkal.

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