Cathédrales de la Dormition: du Kremlin de Moscou au monastère de la Trinité-Saint-Serge

Tourisme
WILLIAM BRUMFIELD
L’historien de l’architecture et photographe William Brumfield met en valeur la beauté et l’excellence de la cathédrale du Kremlin de Moscou du XVIIe siècle et les nombreuses copies qu’elle a inspirées dans toute la Russie au fil des siècles.

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Au début du XXe siècle, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a mis au point un procédé complexe permettant d’obtenir une photographie détaillée et aux couleurs vives. Sa vision de la photographie, en tant que forme d’éducation et d’illumination, s’est illustrée avec une clarté particulière à travers ses photographies des monuments architecturaux du cœur de la Russie.

Il a aussi développé une entreprise qui produisait des illustrations de livres, comme le grand ouvrage paru en 1913 pour le tricentenaire de la dynastie des Romanov. À l’intérieur, Prokoudine-Gorski a reproduit des miniatures en aquarelle tirées d’un album, présenté en 1673 au tsar Alexis Ier, consacré aux événements liés au couronnement de son père, Michel Ier, le premier tsar Romanov, en 1613.

Les reproductions contenaient une représentation de la cérémonie solennelle de couronnement du 11 juillet 1613, dans la cathédrale de la Dormition du Kremlin de Moscou. L’artiste principal, Ivan Maksimov, avait omis de montrer les murs peints de fresques, mais avait représenté la grande iconostase de la cathédrale sur la droite.

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Origines

Pendant des siècles, la cathédrale de la Dormition (Ouspenski) au Kremlin de Moscou, a été le monument le plus élevé de Russie, au centre de son histoire, de sa politique, de sa culture et de sa religion orthodoxe. Même après la fondation de Saint-Pétersbourg, devenue capitale, la cérémonie de couronnement de chaque monarque russe s’est tenue dans cette cathédrale, y compris le couronnement de Nicolas II le 26 mai 1896.

La cathédrale de la Dormition est consacrée à l’un des mystères les plus vénérés de la théologie orthodoxe, la Dormition de la Vierge, qui se réfère à la transposition de Marie depuis le monde ici-bas au ciel. L’iconographie orthodoxe dépeint la Mère de Dieu couchée, entourée d’apôtres, comme en train de s’endormir – d’où le terme « dormition » (en russe – « ouspenié ») du verbe latin « dormire ». À ce moment-là, il s’agit de la mort de Marie – le Christ accepte son âme au paradis trois jours avant son « assomption », lors de laquelle son corps ressuscité est emmené au ciel.

Les origines de la cathédrale de la Dormition du Kremlin sont étroitement liées à la montée en puissance de Moscou. En 1326, le principal prélat d’Église russe, le métropolite Pierre de Vladimir, a fait du Kremlin de Moscou sa résidence de facto. La santé du prélat était en déclin et l’on estimait que la cour de Moscou pouvait apporter un meilleur soin. Ce déplacement, cultivé soigneusement par le grand prince Ivan Ier (Kalita) a été significatif non seulement pour le statut religieux et politique de Moscou, mais aussi pour son développement architectural.  

Conçu comme un grand et solennel espace pour le couronnement des souverains russes et l’investiture des métropolites (plus tard – des patriarches) de l’Église orthodoxe russe, la cathédrale de la Dormition de Fioravanti représente l’heureuse rencontre de deux cultures, russe (et son héritage byzantin) et ouest-européenne comme exprimé par l’esprit de la Renaissance italienne.

Imiter l’excellence

Dans l’histoire médiévale de la Russie, la prolifération d’imitations de la cathédrale de la Dormition du Kremlin de Moscou de la fin du XVe siècle ne symbolisait pas que le rassemblement des terres russes autour de la Moscovie, mais recréait aussi sous forme tangible le sanctuaire principal de Moscou à des points stratégiques à travers son territoire en expansion. Une des importantes cathédrales de la Dormition se dresse au monastère de la Trinité-Saint-Serge à Serguiev Possad (à 71 km au nord-est de Moscou). Elle a commencé comme un simple refuge par Saint-Serge de Radonège en 1337 et s’est progressivement étendue pour devenir le centre du monachisme moscovite.

La cathédrale de la Dormition au monastère de la Trinité-Saint-Serge a été commandée par le tsar Ivan IV (le Terrible), qui, en 1559, a assisté en personne au service religieux initiant le projet. En 1564, un incendie désastreux, qui a détruit une grande partie du monastère, a freiné son achèvement, tout comme l’attitude méfiante du tsar envers la hiérarchie du monastère pendant la fin de son règne. L’église n’a été finie et consacrée qu’en 1585, un an après la mort du tsar.

Malgré le siècle qui les sépare, la cathédrale de la Dormition au monastère de la Trinité-Saint-Serge reste l’une des reproductions les plus fidèles de son prototype du Kremlin, à l’intérieur comme à l’extérieur. Bien qu’un peu plus large que celle du Kremlin (29,2 mètres par 42,3, contre 27 mètres par 39,75), elle reproduit des détails structurels distinctifs, comme l’abside en cinq parties qui se rejoignent aux pylônes de la façade, une grande bande d’arcade à mi-hauteur, une même hauteur des pignons semi-circulaires (« zakomary »), une division égale des baies et un grand tambour central surmonté d’une coupole. Les coupoles étaient initialement de forme semblable à celles de la cathédrale du Kremlin mais ont été remplacées plus tard par des dômes plus hauts en forme d’oignons.

Il y a toutefois aussi des différences évidentes, comme les piliers cruciformes plutôt que de rondes colonnes qui améliorent la perception de l’espace intérieur de la cathédrale de la Dormition de Moscou, et l’utilisation de briques au lieu de calcaire en tant que matériau structurel de base. Les proportions de la cathédrale du monastère sont plus lourdes et manquent de cette harmonie inspirée par la Renaissance de la cathédrale du Kremlin. Pourtant, la ressemblance générale se remarque à l’extérieur comme à l’intérieur.

Amélioration des fresques d’intérieur

Les fresques qui couvrent l’intérieur des murs n’ont pas été réalisées avant 1684 – un reflet d’un siècle troublé suivant l’achèvement de la cathédrale. Une fois commandées, les fresques ont été achevées en un temps extrêmement court de trois mois par un groupe de 35 peintres dirigés par le maître Dmitri Grigoriev, originaire de Iaroslavl, autrement connu sous le nom de Dmitri Plekhanov (pour comparaison, les fresques de la cathédrale de la Dormition du Kremlin ont été peintes de 1642 à 1643).

Dmitri Grigoriev (1642-1700) a été l’un des artistes russes les plus accomplis du XVIIe siècle, un ressortissant de la brillante école de peinture d’icônes de Iaroslavl. Ses autres projets majeurs incluent les intérieurs de la cathédrale de l’Archange-Saint-Michel du Kremlin de Moscou, de la cathédrale Sainte-Sophie de Vologda, et la cathédrale de la Dormition de Rostov, qui ont été sévèrement endommagées durant l’ère soviétique.

Les fresques peintes sur les murs et les voûtes du plafond de la cathédrale de la Dormition représentent des scènes se concentrant sur la vie du Christ et de la Vierge Marie. Par-dessus tout, le joyau de la cathédrale, la Dormition de la Vierge, sur la voûte centrale du plafond devant la coupole principale, est mise en évidence.

Les fresques sur les piliers massifs sont notables pour leur panoplie de princes russes saints et de pères d’église, byzantins et russes. Les bases des piliers présentent des images sacrées dans de grands cadres d’icônes.

L’actuelle iconostase à cinq niveaux a été magnifiquement réalisée au début du XVIIIe siècle avec 76 icônes peintes principalement à la fin du XVIIe siècle. L’allée principale est ornée de deux lustres en bronze de manufacture époustouflante fabriqués aux ateliers de l’armurerie du Kremlin au XVIIe siècle.

Structures de soutien

En sortant de la cathédrale par l’entrée ouest et en revenant à la place de la Cathédrale, vous pouvez remarquer trois autres structures à proximité immédiate de la façade ouest. Juste au sud-ouest de l’agréablement festive chapelle du Puits de la Dormition, érigée à la fin du XVIIe siècle sur un puits créé sur une source apparue en 1644. Le style décoratif riche est souvent qualifié de « Baroque Narychkine », d’après la famille maternelle de Pierre le Grand, qui a bâti plusieurs églises dans ce style au début du XVIIIe siècle. À quelques pas, se trouve un auvent décoratif devant la source où les visiteurs peuvent partager les eaux sacrées.   

Bien que modeste d’apparence, il y a un autre monument important à la façade ouest de la cathédrale de la Dormition – la chapelle funéraire du tsar Boris Godounov, de sa femme et de leurs deux enfants. Ce n’est pas un endroit décent pour expliquer l’histoire complexe de leur bref règne (1598-1605), rempli de crises et de rébellion, ou de ses désastreuses conséquences.  

Il suffit de dire qu’à la mort soudaine de Boris, en avril 1605, son fils de 16 ans est devenu le tsar Fédor II et a régné quelques six semaines, avant de se faire renverser par une intrigue de la cour et tué en juin, aux côtés de sa mère Maria. Leurs corps n’ont été correctement enterrés que l’année suivante à la cathédrale de la Dormition du monastère de la Trinité-Saint-Serge. La sœur de Fédor, Ksenia, a été épargnée, mais a été abusée puis forcée à rejoindre un couvent. Après sa mort en 1622, son corps a été placé dans la même crypte. La petite chapelle actuelle a été construite en 1782 en résultat des modifications de la partie ouest de la cathédrale de la Dormition.

Le monastère de la Trinité-Saint-Serge contient beaucoup d’autres sanctuaires, comme la cathédrale de la Trinité, datant du début du XVe siècle.  

Au début du XXe siècle, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a élaboré un procédé complexe permettant d’obtenir une photographie très détaillée aux couleurs vives. Entre 1903 et 1916, il a parcouru l’Empire russe et réalisé plus de 2 000 photographies via ce processus, qui impliquait une triple exposition sur plaque de verre. En août 1918, il quitte la Russie et finit par s’installer en France, où il retrouve une grande partie de sa collection de négatifs sur verre, ainsi que 13 albums de tirages contact. Après sa mort à Paris en 1944, ses héritiers ont vendu la collection à la Bibliothèque du Congrès (États-Unis). Au début du XXIe siècle, cette dernière a numérisé la collection de Prokoudine-Gorski et l’a mise gratuitement à la disposition du public mondial. Plusieurs sites web russes en présentent désormais des versions. En 1986, l’historien de l’architecture et photographe William Brumfield a organisé la première exposition de photographies de Prokoudine-Gorski à la Bibliothèque du Congrès. Au cours d’une période de travail en Russie, à partir de 1970, il a photographié la plupart des sites visités par Prokoudine-Gorski. Cette série d’articles juxtapose les clichés des monuments architecturaux réalisés par Prokoudine-Gorski avec des photographies prises par Brumfield des décennies plus tard. 

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