La cathédrale de l’Archange-Saint-Michel, nécropole des tsars au cœur du Kremlin de Moscou

L’historien de l’architecture et photographe William Brumfield examine la principale nécropole des tsars de Russie jusqu’au transfert de la capitale à Saint-Pétersbourg.

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Kremlin de Moscou. Cathédralede l’Archange-Saint-Michel. Arrière-plan à droite : tour Taïnitskaïa (« secrète ») sur le mur sud du Kremlin. 17 juin 1994

Au début du XXe siècle, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a mis au point un procédé complexe permettant d’obtenir une photographie détaillée et aux couleurs vives. Sa vision de la photographie, en tant que forme d’éducation et d’illumination, s’est illustrée avec une clarté particulière à travers ses photographies des monuments architecturaux du cœur de la Russie.

Place Rouge. Proclamation de l’intronisation du tsar Michel Ier Romanov en 1613. Saint-Basile sur la place Rouge avec les cathédrales du Kremlin à droite du clocher d’Ivan le Grand. Gravure teintée de 1673 dans P. G. Vassenko, Les boyards Romanov et l’intronisation de Michel Ier

La majeure partie de la collection de Prokoudine-Gorski est finalement devenue propriété de la Bibliothèque du Congrès des États-Unis (voir l’encadré ci-dessous), mais il a également créé une entreprise qui produisait des cartes postales en couleur et des illustrations de livres. En 1914, sa société a été recréée sous le nom de Biochrome.

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Premières mentions

Vue du Kremlin de Moscou sur la rivière de Moskova. De gauche à droite : clocher d’Ivan le Grand, cathédralede l’Archange-Saint-Michel, tour Spasskaïa (du Sauveur)

Parmi les publications comportant ses photographies en couleur figurait un gros volume publié en 1913 à l’occasion du tricentenaire de la dynastie des Romanov. Parmi les illustrations figuraient sa reproduction d’une gravure réalisée pour un album offert en 1673 au tsar Alexis Ier en commémoration de l’intronisation de son père, Michel Ier, le premier tsar Romanov.

La gravure montre un événement solennel survenu le 21 février 1613, lorsque le peuple réuni sur la place Rouge a juré fidélité au tsar Michel nouvellement élu. Les détails de cet événement font débat parmi les historiens et la représentation de la foule est avant tout une recréation imaginaire.

Cathédralede l’Archange-Saint-Michel. Premier plan : mur sud du Kremlin avec deuxième tour dite « Sans nom »

Néanmoins, l’image montre des structures qui existent à ce jour. La principale caractéristique architecturale de la gravure est, bien sûr, Saint-Basile avec ses dômes. En arrière-plan se dresse le mur du Kremlin avec la tour allongée du Sauveur (Spasskaïa), appelée à l’origine la tour Frolov et également surnommée « porte de Jérusalem » au XVIIe siècle.

Cathédrale de l’Archange-Saint-Michel. Vue sur la rivière Moskova. Premier plan : ajout sud, construit en 1772

Derrière le mur se trouvent des représentations schématiques du clocher d’Ivan le Grand et des coupoles qui composent la place des Cathédrales, située au centre du Kremlin de Moscou. Ce groupe de bâtiments comprend la cathédrale de la Dormition, sanctuaire central des terres moscovites.

Archange Saint Michel

Cathédralede l’Archange-Saint-Michel. Vue sur la place des Cathédrales avec le clocher d’Ivan le Grand (à gauche) et la cathédrale de la Dormition, façade est

Chaque monument de l’ensemble du Kremlin de Moscou joue un rôle particulier, mais aucun n’est plus vénérable que la cathédrale de l’Archange-Saint-Michel, le sanctuaire funéraire des tsars. En tant qu’archange suprême, Saint Michel était vénéré comme le chef des armées célestes et était généralement représenté tenant un glaive. Emblème du pouvoir divin, Saint Michel était considéré comme le protecteur des dirigeants de la Moscovie.

Cathédrale de l’Archange-Saint-Michel. Vue depuis le clocher d’Ivan le Grand. Coin gauche : église attenante dédiée à l’origine à l’Intercession de la Vierge

La cathédrale de l’Archange-Saint-Michel a été bâtie en 1505-08, à l’apogée d’une campagne de construction lancée par Ivan III (dit le Grand) dans les années 1470 et achevée par son fils, le grand prince Basile III, qui a régné de 1505 à 1533. La cathédrale remplaçait une ancienne église portant le même nom, construite en 1333 sous le règne du grand prince Ivan Kalita. Son emplacement, sur le flanc sud de la place des Cathédrales, surplombant la rivière de Moskova, était particulièrement important.

Cathédrale de l’Archange-Saint-Michel. Façade est, vue depuis le clocher d’Ivan le Grand. Coin gauche : église attenante de l’Intercession de la Vierge. De l’autre côté de l’abside : chapelle de Saint Jean-Baptiste attenante

L’architecte de la nouvelle cathédrale a été identifié dans les chroniques russes comme Aleviz Novy, ou Alosius le Jeune, pour le distinguer d’Alosius l’Ancien, qui a construit les murs nord-ouest du Kremlin de Moscou. Il a récemment été identifié comme étant Alexis Lamberti de la Montagne, élève de Mauro Codussi à Venise. Il existe des similitudes évidentes entre l’architecture des monuments vénitiens de la fin du XVe siècle et l’œuvre d’Alosius à Moscou.

Cathédrale de l’Archange-Saint-Michel. Vue depuis le clocher d’Ivan le Grand. Structure supérieure avec corniche, gables en « coquillages », toit et dômes.

Alosius a été recruté lors de la mission (« ambassade ») de Dmitri Ralev à Venise et dans d’autres villes d’Italie du Nord en 1500. Il est arrivé à Moscou en 1504, après avoir achevé un palais pour le khan de Crimée Mengli Giray dans la ville de Bakhtchissaraï. Au début de l’année 1505, il a travaillé sur le sanctuaire qui servirait pendant près de deux siècles de dernière demeure aux grands princes et tsars de Russie jusqu’à l’époque de Pierre le Grand, qui fut enterré en la cathédrale Pierre-et-Paul de Saint-Pétersbourg.

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Méli-mélo russo-italien

Cathédrale de l’Archange-Saint-Michel. Façade ouest, gable en « coquillage » de style vénitien

À première vue, la cathédrale de l’Archange-Saint-Michel présente les caractéristiques les plus extravagantes de la période italienne du Kremlin de Moscou. Les détails décoratifs de la façade sont particulièrement proches de ceux des monuments vénitiens de la fin des années 1400, tels que l’entablement et les gables de la Scuola Grande di San Marco.

Les caractéristiques italiennes sautent également aux yeux sur les quatre portes en calcaire finement sculptées et peintes - dont trois sur la façade ouest. La porte principale est encadrée de fresques sur le thème du Jugement dernier et de la conversion de la Russie au christianisme.

Cathédrale de l’Archange-Saint-Michel. Façade ouest, chapiteau de style Renaissance

Malgré ses éléments occidentaux « modernes », la cathédrale de l’Archange-Saint-Michel, comparée à la cathédrale de la Dormition un peu plus ancienne, représente un retour au plan russe traditionnel en « croix dans le carré », dans lequel les bras de la croix sont délimités par des nefs intérieures plus volumineuses. L’intérieur possède également des piliers carrés massifs typiques des cathédrales anciennes de Novgorod et de Vladimir.

Pourtant, ce plan apparemment archaïque rappelle fortement la conception des monuments vénitiens, tels que la cathédrale Saint-Marc, qui sont également liés à l’architecture byzantine. Ces similitudes sont encore plus évidentes quand on compare avec les petites églises vénitiennes de la Renaissance.

Cathédrale de l’Archange-Saint-Michel. Vue avec ajout (1772)

Ces motifs des années 1400 (quattrocento) étaient plus clairement visibles au début du XVIe siècle, lorsque la cathédrale de l’Archange avait une galerie ouverte et voûtée le long de la façade orientale. Ces galeries extérieures étaient une caractéristique de l’architecture du nord de l’Italie, bien qu’elles fussent également présentes dans des églises en calcaire du XIIe siècle de la région de Vladimir.

Rafistolage constant

Depuis l’époque de sa construction, la cathédrale de l’Archange-Saint-Michel a subi d’importantes modifications. Celles-ci incluent la reconstruction du toit, dont la forme originale, en tuile rouge et noire, reposait directement sur les contours des voûtes en berceau de la cathédrale. La toiture actuelle en tôle surplombe les gables en coquilles (zakomary) et occulte les ornements pointus en calcaire (acrotères) qui couronnent les gables.

Cathédrale de l’Archange-Saint-Michel. Façade ouest avec des éléments vénitiens : arcades, fenêtres circulaires, chapiteaux de style Renaissance et gables « en coquillages »

Néanmoins, les coquilles sculptées en calcaire - un motif vénitien très apprécié et repris par les architectes russes ultérieurs - sont restées intactes. Leur couronne élaborée souligne les murs en briques de la cathédrale, qui sont divisés horizontalement en deux niveaux par un système d’arcs, de pilastres et de corniches.

Le niveau inférieur des façades prend la forme d’une arcade aveugle s’élevant sur un soubassement en calcaire nettement défini. Les deux niveaux sont séparés par une corniche reposant sur des chapiteaux classiques. Cette application inhabituelle d’éléments classiques sur les façades a conféré une touche sculpturale à la forme architecturale.

Cathédrale de l’Archange-Saint-Michel. Façade ouest, portail principal

L’entablement du niveau supérieur isole les gables en coquille et renforce la perception d’une imposante structure rectangulaire au toit richement orné. Le contraste entre les murs de briques et les éléments décoratifs en calcaire a été à l’origine intensifié par l’application de peinture rouge directement sur la brique - une caractéristique perdue au XVIIIe siècle lorsque les murs ont été recouverts de stuc.

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La segmentation rythmique de la structure est soulignée par les cinq travées (au lieu des quatre habituelles) de taille inégale sur les façades nord et sud. La cinquième travée de petite taille, à l’ouest ou à l’avant, comprenait un troisième niveau avec une galerie spéciale pour l’épouse du grand prince et sa suite.

Cathédralede l’Archange-Saint-Michel. Façade ouest, partie supérieure du portail principal avec acrotère et fresque représentant le Jugement dernier

Décoration intérieure

Les premières peintures sur les murs intérieurs de la cathédrale sont apparues à la fin du XVIe siècle, sous le règne d’Ivan le Terrible. Seuls des fragments isolés des fresques de cette période nous sont parvenus.

Cathédrale de l’Archange-Saint-Michel, intérieur. Vue du dôme central avec représentation de la Sainte Trinité

Dans leur forme actuelle, les peintures murales colorées datent du milieu du XVIIe siècle (1652-1666) et ont été réalisées par un groupe dirigé par Simon Ouchakov, le peintre russe le plus connu de cette période. Le mur ouest comprend une représentation particulièrement expressive du Jugement dernier.

Cathédrale de l’Archange-Saint-Michel, intérieur. Mur ouest, côté droit avec fresques du Jugement dernier datant du milieu du XVIIe siècle. Au-dessus du Christ : Adam et Eve au paradis

En plus des sujets religieux, les peintures représentaient des dirigeants russes. Par exemple, les piliers massifs arboraient des représentations du grand prince Vladimir, de la princesse Olga, des princes martyrs Boris et Gleb, ainsi que d’autres personnages de la Russie du début du Moyen Âge. Le long du niveau inférieur des murs se trouvent des « portraits » imaginaires de dirigeants enterrés dans la cathédrale.

Fresques de la rangée supérieure: rassemblement d’anges avec représentation de la Sainte Trinité; prélats et dirigeants de l’Église proclamant la foi en «l’Église une, sainte et apostolique»; ministère du Christ; «portraits» des dirigeants russes de la dynastie des Riourikides

À l’extrémité est se trouve une iconostase massive qui sépare l’espace principal de la cathédrale de l’autel. La forme actuelle de l’iconostase a vu le jour en 1679-81, sous le bref règne du tsar Fédor III. La rangée inférieure de l’iconostase contient des icônes particulièrement précieuses d’une période antérieure, y compris une représentation de l’archange Saint Michel datée de 1399.

Cathédrale de l’Archange-Saint-Michel, intérieur. Au premier plan au centre : pilier central nord, face sud avec représentation de Saint Gleb. À gauche : représentation de Sainte Olga. Coin droit : iconostase

À première vue, l’intérieur de la cathédrale de l’Archange-Saint-Michel peut sembler écrasant par l’exubérance visuelle nichée de ses allées ombragées. Cependant, une approche sans hâte offrira un aperçu de l’un des plus beaux monuments russes de la fin du Moyen Âge, qui a survécu aussi bien aux invasions étrangères qu’aux bouleversements révolutionnaires.

Cathédralede l’Archange-Saint-Michel, intérieur. Mur nord avec dôme nord-ouest. Vue vers l’iconostase avec les rangées supérieures de prophètes et de patriarches (rangée du haut)

Au début du XXe siècle, le photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a inventé un procédé complexe de photographie en couleur. Entre 1903 et 1916, il a voyagé à travers l’Empire et pris plus de 2 000 photographies avec ce nouveau procédé, qui implique trois expositions sur une plaque de verre. En août 1918, il a quitté la Russie avec une grande partie de sa collection de négatifs sur verre et s’est finalement installé en France. Après sa mort à Paris en 1944, ses héritiers ont vendu sa collection à la Bibliothèque du Congrès américain, qui, au début du XXIe siècle, a numérisé la collection de Prokoudine-Gorski et l’a mise gratuitement à la disposition du public mondial. Un certain nombre de sites web russes en proposent désormais des versions. En 1986, l’historien de l’architecture et photographe William Brumfield a organisé la première exposition de photographies de Prokoudine-Gorski à la Bibliothèque du Congrès. Au cours d’une période de travail en Russie débutant en 1970, Brumfield a photographié la plupart des sites visités par Prokoudine-Gorski. Cette série d’articles juxtapose les vues de Prokoudine-Gorski sur les monuments architecturaux avec les clichés pris par Brumfield des décennies plus tard. 

Dans cet autre article, William Brumfield vous emmène à la découverte des superbes églises en bois du littoral de la mer Blanche.

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