Suivez Russia Beyond sur Telegram ! Pour recevoir nos articles directement sur votre appareil mobile, abonnez-vous gratuitement sur https://t.me/russiabeyond_fr
Au début du XXe siècle, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a inventé un procédé complexe permettant de réaliser des photographies aux couleurs vives et détaillées. Sa vision de la photographie en tant que forme d’éducation et d’illumination a été démontrée avec une clarté particulière par ses photographies de monuments architecturaux dans les sites historiques à travers le cœur de la Russie. La majeure partie de la collection de Prokoudine-Gorski a finalement été intégrée à la Bibliothèque du Congrès des États-Unis.
Prokoudine-Gorski a également créé une entreprise qui produisait des cartes postales en couleur et des illustrations pour des livres. Parmi ces publications, l’on trouve des photographies en couleur – probablement prises en 1907 – de l’un des monuments les plus célèbres de Saint-Pétersbourg, connu sous le nom de cathédrale Saint-Sauveur-sur-le-Sang-Versé (1883-1907), en raison de sa construction sur le quai du canal Catherine, où le tsar Alexandre II a été assassiné par des terroristes en mars 1881.
Bien que Saint-Pétersbourg soit réputée pour ses grandioses ensembles architecturaux baroques et néoclassiques, tels que le Palais d’Hiver, l’image de la ville est également définie par cette étonnante église monumentale dans ce que l’on appelle le style néo-russe. L’un des plus grands monuments néoclassiques de la ville, la cathédrale Notre-Dame-de-Kazan, se trouve à deux rues de là, sur le même canal, ce qui constitue une formidable juxtaposition.
À l’instar des cathédrales du Kremlin de Moscou, Saint-Pétersbourg possède ses sanctuaires de l’histoire nationale, comme la cathédrale Pierre-et-Paul, dont la construction a été initiée par Pierre le Grand au début du XVIIIe siècle, lorsqu’elle a remplacé la cathédrale de l’Archange-Saint-Michel du Kremlin en tant que lieu de sépulture des autocrates de Russie. Cependant, la cathédrale Pierre-et-Paul était située dans une forteresse étroitement gardée et, pendant le premier siècle de son existence, Saint-Pétersbourg a manqué d’un temple accessible à tous, dont l’architecture proclamerait l’éclat de la capitale impériale.
Ce besoin a été comblé par l’édification, en 1801-1811, de la cathédrale Notre-Dame-de-Kazan, située à l’intersection du canal Catherine (aujourd’hui Griboïedov) et de la Perspective Nevski, la principale artère de la ville. Son emplacement et sa conception ont été soigneusement étudiés pour qu’elle occupe un espace vital au centre de la ville.
Icône de Notre-Dame-de-Kazan
Dès les années 1780, il avait été envisagé de reconstruire la modeste église de la Nativité-de-la-Vierge de Mikhaïl Zemtsov, sur la Perspective Nevski, qui abritait l’icône miraculeuse de Notre-Dame-de-Kazan. Cette icône, souvent copiée et l’une des images russes les plus vénérées de Marie tenant l’enfant Jésus, aurait été révélée après un incendie ayant détruit une partie de la ville de Kazan en 1579.
L’importance nationale de l’icône s’était accrue au début du XVIIe siècle, lorsque l’on a cru qu’elle avait joué un rôle dans le sauvetage de la Russie du chaos dynastique connu sous le nom de Temps des troubles. L’image a donc été étroitement liée à la dynastie des Romanov, fondée en 1613 pour résoudre cette crise. En 1721, Pierre le Grand avait apporté l’une des premières copies de l’icône de Kazan dans sa nouvelle capitale, Saint-Pétersbourg.
Plusieurs décennies plus tard, Saint-Pétersbourg a connu une phase de construction intensive pendant le bref règne de l’empereur Paul Ier, de 1796 à 1801. Malgré l’instabilité des cinq années précédant son assassinat, le règne de Paul a vu la campagne victorieuse d’Alexandre Souvorov sur les armées de la France révolutionnaire en Italie.
C’était aussi l’époque des initiatives russes en Méditerranée. Paul a été nommé Grand Maître de l’Ordre maltais des Chevaliers de Saint-Jean, qui avait été chassé de Malte par Napoléon en 1798. L’idée de Paul d’un rapprochement entre l’orthodoxie et le catholicisme romain semble avoir influencé la conception de la cathédrale de Notre-Dame-de-Kazan, dont la décoration présente fréquemment la croix de Malte.
Création d’un chef-d’œuvre architectural
L’architecte de la cathédrale, Andreï Voronikhine (1759-1814), est né serf dans la propriété ouralienne du comte Alexandre Stroganov, descendant de l’une des familles les plus riches de Russie. Mécène avisé, Stroganov a reconnu le talent de Voronikhine et l’a emmené à Moscou en 1777, où ce dernier a alors étudié pendant deux ans avec les maîtres architectes Vassili Bajenov et Matveï Kazakov.
En 1779, Voronikhine a été attiré par le cercle de Stroganov à Saint-Pétersbourg et a obtenu sa liberté en 1786. Il a ainsi accompagné Pavel, le fils d’Alexandre Stroganov, dans ses voyages en Europe entre 1786 et 1790. Avant de rentrer en Russie, Voronikhine a suivi une formation privée en architecture à Paris.
En 1799, Paul a rouvert le concours pour la construction d’une nouvelle cathédrale, dont le design devait refléter la grandeur de Rome. Alexandre Stroganov dirigeait la commission de construction, qui a rapidement choisi Voronikhine comme architecte. Bien que les qualifications de celui-ci aient été mises en doute, la confiance de Stroganov en « son » architecte s’est avérée justifiée, tant dans l’organisation du vaste cchantier que dans la magnifique éloquence du projet lui-même.
Le corps de la cathédrale de Notre-Dame-de-Kazan a la forme d’une croix latine, avec des portiques corinthiens à l’ouest, au nord et au sud et une abside semi-circulaire à l’est. Une frise sculptée au-dessus de l’abside représente l’entrée du Christ à Jérusalem. Coiffée d’un grand parapet en attique, la cathédrale est couronnée d’une coupole surmontant un cylindre (ou « tambour ») dont les pilastres font écho aux rangées de colonnes situées en dessous.
L’emplacement de la cathédrale par rapport à la Perspective Nevski a exigé une solution ingénieuse. L’axe principal (est-ouest) de la cathédrale étant parallèle à cette avenue, l’architecte a créé une grande façade nord donnant sur le boulevard, avec une colonnade incurvée ancrée par des blocs d’extrémité massifs à l’est et à l’ouest.
Le plan initial prévoyait une colonnade équivalente sur le côté sud, mais en raison du coût, elle n’a pas été construite. L’entrée principale, sur la façade ouest, est cachée derrière la colonnade nord.
La beauté dans les détails
Les murs en briques de la structure sont recouverts de pierre de Poudost, un tuf calcaire obtenu dans la ville voisine de Gatchina. Cette roche est facile à extraire, mais elle durcit à l’air, ce qui en fait une substance idéale pour la sculpture de détails. Cette qualité a été utilisée pour concevoir des frises monumentales sur des sujets bibliques pour les combles des blocs d’extrémité est et ouest, l’abside, et des panneaux sculptés pour les trois portiques.
Les colonnes extérieures et les chapiteaux, disposés par rangées de quatre, sont également en pierre de Poudost, avec divers détails réalisés en granit (trois types différents), en calcaire et en marbre. Des statues en bronze ont été utilisées, notamment celles des saints Vladimir et Alexandre Nevski, réalisées par Stepan Pimenov, de part et d’autre du portail nord. Les portes massives sont recouvertes de panneaux de bronze inspirés des dessins de Lorenzo Ghiberti pour le baptistère de Florence.
Le magnifique intérieur est défini par une colonnade de 56 colonnes corinthiennes jumelées qui bordent la nef centrale et les bras de la structure. Les colonnes (10,7 mètres de haut) sont en granit finlandais rouge poli avec des chapiteaux en bronze doré. Les voûtes en berceau présentent un réseau de caissons hexagonaux avec des rosaces. Le sol est quant à lui une mosaïque de pierres extraites principalement des montagnes de l’Oural.
L’intérieur est centré sur l’espace situé sous le dôme. Des pylônes massifs s’élèvent vers le cylindre avec des représentations des quatre évangélistes sur les pendentifs. Le tambour contient une frise peinte en grisaille imitant des sculptures représentant des scènes de la vie du Christ et de Marie. La coupole à caissons est constituée d’une double coque.
La peinture de l’intérieur a été supervisée par l’Académie impériale des beaux-arts et comprenait des œuvres sur toile et sur plâtre. Les iconostases ont de leur côté été peintes par d’éminents artistes académiques tels que Vassili Borovikovski et Andreï Ivanov, père du célèbre artiste Alexandre Ivanov.
Sanctuaire national
Au moment de son achèvement en 1811, la cathédrale de Notre-Dame-de-Kazan avait acquis l’aura d’un sanctuaire national. Des trophées français capturés y ont été déposés en 1812 et, en juillet 1813, la cathédrale a été le théâtre de l’enterrement solennel du prince Mikhaïl Golenichtchev-Koutouzov, commandant en chef des armées russes contre Napoléon et héros de Guerre et Paix de Léon Tolstoï.
La cathédrale de Notre-Dame-de-Kazan appartient à un style monumental de classicisme dont l’exemple a été donné par la basilique Saint-Pierre de Rome et qui s’est poursuivi avec l’église Sainte Geneviève de Jacques-Germain Soufflot à Paris (le Panthéon, construit entre 1755 et 1792). Avec sa colonnade nord, la conception de la cathédrale intègre la forme architecturale et l’espace public à une échelle magnifique.
Enfin, la cathédrale de Notre-Dame-de-Kazan est le point d’ancrage de la Perspective Nevski au niveau du canal Catherine (Griboïedov). Le bâtiment Singer, construit de l’autre côté du boulevard en 1902-1904, a par la suite rejoint la cathédrale dans ce rôle, tout comme la cathédrale Saint-Sauveur-sur-le-Sang-Versé. Ces deux sanctuaires, construits dans des styles si différents et visibles l’un de l’autre, reflètent le destin turbulent de la dynastie des Romanov – et de la Russie elle-même.
Au début du XXe siècle, le photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a inventé un procédé complexe de photographie en couleur. Entre 1903 et 1916, il a voyagé à travers l’Empire et pris plus de 2 000 photographies avec ce nouveau procédé, qui implique trois expositions sur une plaque de verre. En août 1918, il a quitté la Russie avec une grande partie de sa collection de négatifs sur verre et s’est finalement installé en France. Après sa mort à Paris en 1944, ses héritiers ont vendu sa collection à la Bibliothèque du Congrès américain, qui, au début du XXIe siècle, a numérisé la collection de Prokoudine-Gorski et l’a mise gratuitement à la disposition du public mondial. Un certain nombre de sites web russes en proposent désormais des versions. En 1986, l’historien de l’architecture et photographe William Brumfield a organisé la première exposition de photographies de Prokoudine-Gorski à la Bibliothèque du Congrès. Au cours d’une période de travail en Russie débutant en 1970, Brumfield a photographié la plupart des sites visités par Prokoudine-Gorski. Cette série d’articles juxtapose les vues de Prokoudine-Gorski sur les monuments architecturaux avec les clichés pris par Brumfield des décennies plus tard.
Dans cet autre article, William Brumfield se penche sur l’église de l’Ascension à Kolomenskoïé, intrigant monument dédié à la naissance d’Ivan le Terrible.
Chers lecteurs,
Notre site web et nos comptes sur les réseaux sociaux sont menacés de restriction ou d'interdiction, en raison des circonstances actuelles. Par conséquent, afin de rester informés de nos derniers contenus, il vous est possible de :
- Vous abonner à notre canal Telegram
- Vous abonner à notre newsletter hebdomadaire par courriel
- Activer les notifications sur notre site web