Les massifs remparts du monastère des Solovki, cinq siècles d’histoire inébranlable

Tourisme
WILLIAM BRUMFIELD
Les remarquables fortifications, commencées sous Ivan le Terrible, ont marqué le monastère comme une structure défensive aussi bien que religieuse.

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Au début du XXe siècle, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a inventé un procédé complexe permettant de réaliser des photographies en couleurs vives et détaillées. Inspiré par l’idée d’utiliser cette nouvelle méthode pour immortaliser la diversité de l’Empire russe, il a photographié de nombreux sites historiques au cours de la décennie qui a précédé l’abdication du tsar Nicolas II en 1917.

Parmi les lieux les plus reculés qu’il a photographiés figure le monastère de la Transfiguration des Solovki, situé sur la grande île de cet archipel situé dans la partie sud-ouest de la mer Blanche. Prokoudine-Gorski s’est rendu aux Solovki au cours de l’été 1916, alors que la Première Guerre mondiale faisait rage en Europe. La collection de Prokoudine-Gorski de la Bibliothèque du Congrès américain contient 20 photographies qu’il a prises au monastère ou à proximité. Mes visites ont eu lieu au cours des étés 1998 et 1999, une période idéale pour voir le complexe, car la plupart des échafaudages extérieurs avaient été retirés après l’achèvement de grands projets de restauration.

Fondé dans les années 1430 par les moines Zossima et Savvaty, le monastère de la Transfiguration a prospéré au milieu du XVIe siècle sous la direction de l’higoumène Philippe (Fiodor Kolytchev), un moine moscovite d’origine noble. La résistance publique du prélat aux actes de terreur politique d’Ivan IV (le Terrible) à la fin des années 1560 a conduit à son exil et à sa mort en 1569. Néanmoins, le développement intensif du monastère des Solovki s’est poursuivi tout au long de la fin du XVIe siècle avec la construction d’églises et de bâtiments monastiques supplémentaires.

Le monastère des Solovki est impressionnant à bien des égards. Ses murs massifs en granit sont l’une des réalisations les plus remarquables de l’ingénierie européenne en matière de fortification. L’impulsion pour leur construction est venue de la longue guerre de Livonie d’Ivan le Terrible, qui a duré de 1558 à 1583. Dans le cadre de ce conflit, une flottille combinée néerlandaise et suédoise est apparue au large de l’archipel des Solovki en 1571. Bien que cette incursion n’ait donné lieu à aucune action hostile, elle a soulevé des questions sur la vulnérabilité du monastère et, plus généralement, sur les approches septentrionales de la Moscovie par la mer Blanche.

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Une structure défensive

En 1578, Ivan le Terrible a soutenu la construction d’un mur en rondins autour du monastère et envoyé un détachement de streltsy et de canonniers sous le commandement de Mikhaïl Ozerov pour contrer les mouvements suédois en mer Blanche. Ozerov meurt cependant l’année suivante dans une vaine tentative de déloger les Suédois de leur occupation des terres du monastère près de Kem, la colonie continentale la plus proche des Solovki. Cette défaite a motivé l’augmentation des ressources allouées au monastère.

Avec la perte de la forteresse balte de Narva en 1581, l’importance stratégique de la mer Blanche s’est accrue non seulement en termes militaires mais aussi en tant que débouché de la Moscovie pour le commerce européen. À la fin du XVIe siècle, toute la région de la mer Blanche était reliée par des rivières, des lacs et la mer en un puissant réseau commercial. Sur ce vaste territoire circulaient les fourrures, les produits forestiers, le poisson et la denrée la plus essentielle, le sel.

En 1582, des travaux ont donc débuté pour remplacer la palissade en rondins par des murs faits du matériau le plus durable qui soit : la pierre de granit, y compris de gros blocs. Après la conclusion de la guerre de Livonie en 1583 et la mort d’Ivan le Terrible en 1584, le travail sur les murs s’est poursuivi avec le soutien de son successeur, le tsar Fédor Ier. Une fois achevés, ils formaient un pentagone allongé d’environ 914 mètres de long. Les remparts avaient une hauteur moyenne de 9 mètres et une épaisseur de 7 mètres à leur base.

Au cours de la période de construction la plus intensive, entre 1582 et 1594, les moines et la main-d’œuvre salariée ont mis en place des milliers de blocs de granit, tandis que les grands murs et les tours rondes du monastère émergeaient du sol marécageux. Pendant les deux premières années du chantier, les travaux ont été guidés par un maître d’œuvre de Vologda, Ivan Mikhaïlov.

Le monastère avait acquis une grande expérience dans l’utilisation de blocs de granit pour d’imposantes structures, y compris des églises, au cours des années 1550 et 1560. Des sources écrites indiquent que la supervision générale du projet a été confiée au moine Trifon, né Terenti Kologrivov et membre d’une famille prospère de marchands de sel du village de la mer Blanche de Nenoksa, près de l’embouchure de la Dvina. L’énorme entreprise de construction des murs était soutenue par des subventions sporadiques de la cour moscovite et par les ressources immédiates du monastère sur l’archipel, ainsi que par un réseau de colonies qui avaient des obligations envers le site monastique. Pendant les mois d’été, jusqu’à 200 cosaques engagés participaient à la construction des remparts.

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Points culminants de l’architecture

Les éléments les plus distinctifs des murs sont les six tours d’angle massives et rondes. Il s’agit de la tour Saint-Nicolas et de la porte d’entrée à l’angle nord-est, de la tour de l’Archange à l’angle sud-est, de la tour Blanche à la pointe ouest, de la tour de Filature au sud-ouest et de la tour de Guet à l’angle nord-ouest. L’on trouve également quatre tours carrées de plus petites dimensions.

Les tours, comme les murs eux-mêmes, étaient surmontées de briques pour les ports de tir, et l’ensemble du système était couvert d’un toit en bois, y compris les formes en chatior (chapiteau) au-dessus des tours elles-mêmes. Les tours sont parmi les derniers éléments majeurs du système d’enceinte à avoir été achevés. Avec la signature d’un traité de paix entre la Russie et la Suède en 1595, l’urgence d’achever les murs a en effet diminué. Néanmoins, la construction s’est poursuivie jusqu’en 1596, a repris au début du XVIIe siècle et s’est achevée en 1621.

Les photographies du monastère prises par Prokoudine-Gorski en 1916 sont parmi les dernières vues de ce remarquable ensemble avant le cataclysme de la révolution et de la guerre civile. On voit ici une photographie du mur est, au-dessus duquel s’élèvent les dômes et les flèches des églises. Mes photographies présentent une perspective similaire, ainsi que des vues à couper le souffle sur le lac Sviatoïé (Saint). En 1992, les îles Solovki ont été classées au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Au début du XXe siècle, le photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a inventé un procédé complexe de photographie en couleur. Entre 1903 et 1916, il a voyagé à travers l’Empire russe et a pris plus de 2 000 photographies avec le nouveau procédé, qui impliquait trois expositions sur une plaque de verre. En août 1918, il a quitté la Russie avec une grande partie de sa collection de négatifs sur verre et s’est finalement installé en France. Après sa mort à Paris en 1944, ses héritiers ont vendu sa collection à la Bibliothèque du Congrès des États-Unis. Au début du XXIe siècle, cette dernière a numérisé la collection de Prokoudine-Gorski et l’a mise gratuitement à la disposition du public mondial. Un certain nombre de sites web russes en proposent désormais des versions. En 1986, l’historien de l’architecture et photographe William Brumfield a organisé la première exposition de photographies de Prokoudine-Gorski à la Bibliothèque du Congrès. Au cours d’une période de travail en Russie débutant en 1970, Brumfield a photographié la plupart des sites visités par Prokoudine-Gorski. Cette série d’articles juxtapose les vues de Prokoudine-Gorski sur les monuments architecturaux avec les photographies prises par Brumfield des décennies plus tard.

Dans cet autre article, William Brumfield vous emmène à la découverte des mystères de l’intérieur de la cathédrale Saint-Basile, sur la place Rouge.

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