La resplendissante cathédrale de Vladimir sur la rivière Kliazma

Tourisme
WILLIAM BRUMFIELD
L'historien et expert en architecture William Brumfield revient sur l'histoire complexe de l'une des cathédrales les plus importantes de Russie.

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La colonie fortifiée de Vladimir a été établie en 1108 sur la haute rive gauche de la rivière Kliazma par Vladimir Monomakh, qui a régné en tant que Grand prince à Kiev de 1113 à 1125. Sur ses conseils, Vladimir et les colonies environnantes sont devenues un centre de pouvoir dans les terres des Slaves de l’Est. Durant la seconde moitié du XIIe siècle, les descendants de Monomakh, Andreï Bogolioubovo et Vsevolod III, ont soutenu une vague de construction d’églises avec une forme de calcaire connue sous le nom de pierre blanche, extraite de la Volga sur le territoire des Bulgares.

Durant l'été 1911, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski (voir l'encadré ci-dessous) a visité Vladimir dans le cadre de son travail visant à rendre compte de la diversité de l'Empire russe au début du XXe siècle. Mon propre travail photographique à Vladimir, réalisé près d'un siècle plus tard, s’étend de 1972 à 2009.

Vue depuis la rive droite

Les photographies de Vladimir par Prokoudine-Gorski incluent deux vues panoramiques remarquables avec une colline escarpée couronnée par la cathédrale de la Dormition au dôme doré du XIIe siècle, symbole de l'autorité religieuse et politique dans l'ancien cœur de la Russie. Les deux photographies ont été prises de la rive opposée (droite) de la rivière Kliazma, un affluent de la rivière Oka, qui à son tour se jette dans la Volga.

Le premier plan, réalisé de plus près, montre une crique tranquille qui servait de plage et comprend ce qui semble être un abri en bois sur le côté droit. Aujourd'hui, ce havre de paix est complètement envahi par la végétation et la qualité de l'eau de Kliazma est peut-être moins propice à la baignade qu’alors. De l’autre côté de la rivière, la pente couverte d’arbres sur la gauche de la photographie de Prokoudine-Gorski était parsemée de maisons, comme c’est le cas aujourd'hui.

Au sommet de la crête (connue sous le nom de stoudenaïa gora, ou « colline froide ») se trouve un bâtiment en brique rouge partiellement obscurci avec deux tourelles. Cet ancien siège du conseil municipal (douma) a été construit en 1906-07 dans un style néo-russe imitant les détails décoratifs du XVIIe siècle. Au début des années 1930, un ajout de deux étages a été réalisé sur le côté sud et la structure a été adaptée pour être utilisée comme Palais des pionniers (l'équivalent soviétique des scouts). Depuis 2008, le bâtiment se nomme Maison de l'amitié, et on y organise des événements pour les délégations en visite.

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La caractéristique dominante de la photographie, cependant, est le sommet de la colline avec la cathédrale de la Dormition qui surplombe le tout comme une couronne. Il convient de noter d’emblée que cette partie de la vue de Prokoudine-Gorski est désormais obstruée par un haut pont routier en béton voûté traversant la rivière. L'imposante maison en bois de plusieurs étages perchée sur la crête a également été supprimée depuis longtemps, afin de préserver l'ambiance immaculée entourant la cathédrale classée au patrimoine mondial de l'UNESCO.

Mélange d'Orient et d'Occident

Ce sublime monument est l'un des sanctuaires les plus importants de toute la Russie et a servi de modèle à la cathédrale de la Dormition au centre du Kremlin de Moscou (1470). La construction de la cathédrale a été initiée en 1158 par le Grand prince Andreï Bogolioubski, dirigeant d'un vaste territoire du nord-est de la Rus’, comme le territoire des Slaves de l'Est était alors appelé.

Le plan de la cathédrale de la Dormition implique une forme allongée centrée sur un dôme, typique des grandes églises de Kiev et de Novgorod pendant cette période. Les auteurs de son travail de maçonnerie de très bonne facture restent inconnus. La Chronique laurentienne mentionne l'arrivée de maîtres de « tous les pays », et il y a plus tard des références aux Nemtsi, ou « Allemands » - un terme largement utilisé pour désigner tous les étrangers. Certains ont supposé que les artisans avaient été envoyés à Andreï Bogolioubski par Frederick Barbarossa.

Si certaines caractéristiques de la cathédrale de la Dormition, telles que les portails et les pierres décoratives, suggèrent une influence romane de l'Occident catholique, le plan de base est resté fidèle à la tradition de l'architecture des églises byzantines centrée sur le dôme, telle qu'adaptée au début de la Rus’ médiévale.

Modifications et rénovations

Après un incendie qui a détruit en 1185 une grande partie de Vladimir et gravement endommagé la cathédrale, le demi-frère d'Andreï, Vsevolod III, a ordonné sa reconstruction sous une forme beaucoup plus étendue et plus complexe. La reconstruction a eu lieu sur une période relativement courte, entre 1185 et 1190.

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Les maîtres constructeurs de Vsevolod ont démantelé les galeries attenantes, mais ont conservé les murs de la structure originale, affaiblis par le feu, en tant que noyau de la nouvelle cathédrale. Le plan a été agrandi par une allée ajoutée aux côtés nord, ouest et sud. Les nouveaux murs extérieurs ont atteint deux étages, sans égaler la pleine hauteur de la structure d'origine. La relation entre l'ancien et le nouveau a donc été ingénieusement préservée dans la structure reconstruite.

Les nouvelles façades étaient marquées à mi-niveau par une frise d'arcade avec des accents d'ornement sculpté visibles dans mes photographies de détail. Certaines des pierres décoratives des murs nord et sud ont été transférées des murs d'origine de la cathédrale. La cathédrale atteint son point culminant avec un dôme principal flanqué de quatre dômes secondaires en diagonale.

Prokoudine-Gorski a également pris une photo du côté est de la cathédrale, qui arbore une abside en trois parties reconstruite par Vsevolod avec des dimensions élargies. Comme c’est de coutume dans la tradition orthodoxe russe, la partie centrale de l'abside contenait l'autel principal.

Moins d'un demi-siècle après l'achèvement de la cathédrale de la Dormition, la principauté de Vladimir a été en proie à l'invasion mongole de la Russie ancienne. Malgré ces événements cataclysmiques, la cathédrale de la Dormition superbement conçue a survécu.

Vladimir fut à nouveau mis à sac lors d’un violent raid tatare en 1408, au cours duquel la cathédrale fut saccagée et son toit endommagé. Deux peintres de renom, Andreï Roublev et Danil Tchorny, ont été chargés de recréer l'intérieur. Des fragments de fresques de Roublev représentant le Jugement dernier ont survécu dans la partie ouest de la cathédrale.

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Lors d'une visite à Vladimir en 1767, l'impératrice Catherine la Grande s’est rendue dans la cathédrale de la Dormition et a personnellement soutenu sa rénovation. Bien que partant d’une bonne intention, les changements opérés au cours de cette décennie et les suivantes ont défiguré l’édifice.

En 1810, un grand clocher a été érigé juste au nord et en 1862, une église dédiée à Saint-Georges a été conçue par Nicholas Artleben dans un style néo-gothique pour remplir l'espace entre le clocher et la façade nord de la cathédrale. Ces ajouts ont créé une nouvelle perspective sur l’ensemble du nord, face à la rue principale de la ville (rue de Moscou).

Un monument pour l'histoire

Des travaux de restauration complets et basés sur des informations précises menés dans les années 1880 ont éliminé la plupart des distorsions réalisées au cours du siècle précédent et découvert une grande partie des fresques d’Andreï Roublev. Une autre phase de restauration prolongée s'est terminée au début des années 1980.

En 1992, la cathédrale de la Dormition a été inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. La responsabilité en matière de préservation de ce monument culturel et historique déterminant est désormais partagée entre la réserve-musée de Vladimir-Souzdal et le diocèse de Vladimir, dont elle est la cathédrale principale.

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La cathédrale figure dans un autre des panoramas spectaculaires de Prokoudine-Gorski, une vue panoramique vers l'est prise de la rive de la Kliazma un peu plus en amont du panorama précédent. Ici, le sanctuaire médiéval est partiellement obscurci par un grand bâtiment en bois (démoli), et toute la vue est maintenant obscurcie par le pont routier mentionné précédemment.

Avec tant de changements, cette photographie est particulièrement importante en tant que document historique. Par exemple, l’église élancée avec un clocher au pied de la colline au centre a été construite en 1776 et est consacrée aux femmes portant la myrrhe (qui dans la Bible ont découvert le tombeau vide du Christ après sa résurrection). En 1929, cette église, située près de la gare principale, a été démolie. Son site est désormais marqué par une simple chapelle en brique.

À peine visibles à l'est, cependant, se trouvent les dômes d'une autre église, dédiée à la Dormition. Actuellement utilisée par une paroisse de dissidents orthodoxes connue sous le nom de Vieux croyants, cette structure festive a été construite en 1644-49 et est le meilleur exemple à Vladimir d'un style ornemental qui a prospéré au milieu du XVIIe siècle. Ma photographie, prise dans un coucher de soleil hivernal, exprime la poésie de ce méli-mélo décoratif typiquement russe.

Au début du XXe siècle, le photographe Russe Sergueï Prokoudine-Gorski a mis au point un processus complexe pour la photographie couleur. Entre 1903 et 1916, il a voyagé au travers de l'Empire russe, et a pris plus de 2 000 photographies en utilisant ce processus, qui impliquait trois expositions sur une plaque de verre. Il a quitté la Russie en août 1918, et s'est finalement installé en France avec une grande partie de sa collection de négatifs sur plaque de verre. Après sa mort à Paris en septembre 1944, ses héritiers ont vendu la collection à la bibliothèque du Congrès américaine. Cette dernière a digitalisé la collection de Prokoudine-Gorski et l'a mise en libre-accès pour le public au début du XXIe siècle. Un grand nombre de sites internet russes en proposent désormais des versions. En 1986, l'historien de l'architecture russe et photographe William Brumfield a organisé la première exposition des photographies de Prokoudine-Gorski à la bibliothèque du Congrès américaine. À partir de 1970, Brumfield, travaillant alors en Russie, a photographié la majorité des sites visités par Prokoudine-Gorski. Cette série d'articles juxtaposera les vues de Prokoudine-Gorski sur les monuments architecturaux avec les photographies prises par Brumfield plusieurs décennies plus tard.

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