Vallée sibérienne de la Tounka: fascinante héritière des Mongols et observatrice des corps célestes

Tourisme
BERNARD GRUA
À l’ouest du Baïkal, s’étend un couloir sibérien, autrefois lieu de passage entre Asies du Sud et du Nord. Aujourd’hui, cette enclave est un petit monde rural, traditionnel et bouddhiste. Si la vallée de la Tounka est célèbre pour ses montagnes, sa beauté et ses sources bienfaisantes, elle est aussi en relation avec les astres grâce aux moins connus radiotélescopes de Badary. Bernard Grua, photographe nantais, nous emmène à la découverte de cet exceptionnel corridor montagneux.

Pour prendre connaissance de la version intégrale de ce texte, n'hésitez pas à vous diriger vers le blog de Bernard Grua.

La Tounka, héritière mongole

Une dépression large d’une trentaine de kilomètres et longue de deux-cents relie la rive méridionale du Baïkal à la Mongolie. En partant du village de Koultouk, situé au bord de la « perle de Sibérie», on arrive, 34 kilomètres plus loin, dans la bourgade de Tibelti, où se dresse un large et haut tertre tellement régulier qu’il semble être dû à la main de l’homme. Peut-être s’agit-il d’un kourgane (tumulus des steppes d’Asie centrale)? Il se dit d’ailleurs qu’il pourrait correspondre à la sépulture d’un chef de l’armée de Gengis Khan. Guère éloigné, le stūpa (structure architecturale bouddhiste) Dachi Gama marque l’entrée du parc national de la Tounka. C’est ainsi que débute cette superbe vallée rurale, suivant une orientation Est-Ouest.

S’étendant le long de la rivière Irkout et bordée, au sud, par les monts Khamar-Daban et, au nord, par le massif des Saïan orientaux, elle est majoritairement peuplée de représentants d’une population autochtone constituée d’ethnies mongoles, dont Hö’elün, mère de Gengis Khan, pourrait être issue. Ces différents groupes furent rassemblés en une nationalité qui prit le nom de « Bouriates » (qui étymologiquement pourrait signifier « vieux peuple de la forêt ») au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, après leur rattachement à la Russie impériale et suite à la définition de limites territoriales avec l’Empire chinois (traité de Nertchinsk, 1689). Ce qui fut autrefois un corridor, un espace d’échanges, de transit, de raids, voire d’invasions, devint alors une impasse du fait de sa fermeture en 1722.

Le bouddhisme de la branche tibétaine y est pratiqué comme chez les Kalmouks de la basse Volga. Les fidèles de cette religion sont ainsi des disciples du Dalaï-lama. À 210 kilomètres, c’est à dire juste à côté à l’échelle sibérienne, la russe et quasi-européenne ville d’Irkoutsk est donc bien différente de cette vallée. En effet, cette dernière n’est pas asiatique uniquement en raison de sa situation géographique, mais bien grâce aux femmes et aux hommes qui la peuplent. Pourtant, son extrémité y est toujours (officiellement) close aux étrangers, isolant en communautés séparées deux branches d’un même tronc, Bouriates et Mongols. Seuls quelques touristes de citoyenneté russe traversent cette démarcation pour aller pêcher dans le lac Khövsgöll, version plus réduite de la « mer sacrée des Bouriates », mais très similaire à celle-ci par bien des aspects.

Archan, paisible retraite au pied du versant sud des Saïan

Certains voient dans le rift du Baïkal un océan en formation. Laurent Touchard, dans son livre lui étant consacré, précise qu’il s’agit du seul lac au monde qui ne se comble pas mais continue, au contraire, à se creuser. Les mouvements de cette activité tectonique se poursuivent à travers la Tounka jusqu’au lac Khövsgöl, ces trois éléments géographiques appartenant en réalité au même système géologique. C’est pourquoi le volcanisme est à l’origine de sources minérales en différents endroits de la vallée. Elles ont d’ailleurs donné leur nom au bourg d‘Archan (« source curative » en langue bouriate), apprécié pour son thermalisme, ses beautés naturelles, sa vie rurale ou forestière et animé par la rivière Kyngarga, un torrent courant sous la glace.

Au cours d’un week-end de tout début de mars, une villageoise y salue un groupe de promeneurs citadins et questionne : « Vous admirez nos montagnes ? Elles sont belles, n’est-ce pas? ». Et elle a raison. Le pic Lioubvi (pic de l’Amour, 2 412m) brille au-dessus des pins et des izbas, d’où la fumée s’élève, paresseusement dans un froid transparent et immobile. S’en dégage une atmosphère intemporelle même si, non loin de là, à Badary, sont implantés deux domaines à fort contenu technologique.

Badary, la mesure de l’infiniment lointain

Le radiotélescope astronomique de Badary, inauguré en 2005, apparaît au bout d’un chemin enneigé. Le périmètre ceint de hauts murs n’est, normalement, pas visitable. De plus, il n’est exceptionnellement accessible aux étrangers que sur autorisation préalable du FSB, comme l’indique son directeur, Roman Iourievitch Sergueïev. Mais, dans cet isolement très tranquille, le long bras des services de sécurité est inexistant et les visites des collègues de l’Institut d’Irkoutsk, qui m’accompagnent, sont les bienvenues. L’accueil est cordial et spontané. Un bâtiment sert à l’hébergement des professionnels qui y travaillent et abrite aussi le poste de contrôle et de recherche. De là, est pilotée l’autre construction, un formidable radiotélescope astronomique pesant 900 tonnes, mesurant 32 mètres de haut, quand il est à l’horizontale, et près de 50 en position verticale.

En ce milieu de journée hivernale, son disque immaculé et majestueux se dresse dans son environnement de neige sur le fond bleu saturé d’un ciel à la clarté de cristal. Le choix du site a été dicté par la volonté de créer une triangulation avec deux autres édifices similaires, Svetloïé situé près de Saint-Pétersbourg et Zelentchoukski dans le Caucase. Ce triple complexe réalise des travaux d’astrophysique et d’astrométrie. Il est capable de capter les ondes radios des quasars (galaxies très énergétiques), situés infiniment loin de notre planète, au point qu’on puisse les considérer comme des éléments fixes de notre univers. Ils sont utilisés pour mesurer les distances entre les galaxies. Or, pour améliorer la pertinence des relevés croisés, il convenait que les trois emplacements d’observation soient les plus distants les uns des autres. Mais le site de Badary a aussi été choisi pour son air sec, son ensoleillement et son niveau minimum, si ce n’est inexistant, de pollution. Par ailleurs, l’isolement minimise les risques d’interférences créées par des équipements électriques ou des lignes à haute tension. Plus encore, l’épaisse couche de sable en sous-sol permet d’absorber les vibrations de la croûte terrestre, fréquentes dans ce secteur hautement sismique.

Roman Iourievitch aime parler de son métier et du remarquable outil dont il a la charge. Il exprime son admiration pour ceux qui en ont effectué la construction en moins de 6 mois par des températures souvent inférieures à -35°C. Toutefois, sa plus grande difficulté est de recruter des collaborateurs compétents et sobres. Seule une sincère motivation justifie de choisir un tel ermitage et de faire face à un quotidien qui peut être morose si l’on n’est pas un passionné.

À la poursuite des éruptions solaires

À deux kilomètres de là, le radiotélescope solaire sibérien s’étale en deux grandes rangées perpendiculaires se répartissant 256 antennes de 2,5 mètres de diamètre, espacées de 4,9 mètres. Elles sont reliées par deux tunnels, 300m pour l’un et 600m pour l’autre, permettant particulièrement d’éviter les variations de température des câbles de connexion. Il faut tenter de se représenter l’emprise, sous et sur terre, de ces aménagements.

De manière à ce que le système fonctionne correctement, le plus grand défi est d’assurer la parfaite coordination de toutes les paraboles, qui doivent strictement pointer dans la même direction en suivant la course du Soleil. Les techniciens ne sont pas peu fiers, à juste titre, de leur expertise dans ce domaine, en dépit de certains instruments datant du tout début des années 1980. La remarquable finesse de leur ardue synchronisation a suscité, disent-ils, l’admiration d’une délégation de spécialistes japonais qui pensaient une telle tâche impossible. Deux équipes de 20 personnes y travaillent par tranches de deux semaines.

Après ces belles et riches journées, de ce voyage il restera en tête de nombreuses images, dont cette barrière lumineuse des Saïan orientaux, semblant abriter un monde inaccessible mais désirable. C’est en continuant vers l’Ouest puis en bifurquant au Nord, dans les Saïan, le long des gorges de l’Irkout, qu’il sera possible de rejoindre le plateau de l’Oka et de prendre connaissance d’une aventure humaine étonnante, telle qu’elle a déjà été présentée sur Russia Beyond : « Botogol: la mine perdue d’un Français dans les monts Saïan sibériens ».

En suivant ce lien, retrouvez sept splendides clichés réalisés par Bernard Grua, auteur de ce texte, capturant la beauté de la Sibérie.