Konstantin Tchaïkine, cet homme ayant hissé la Russie à l’excellence de la haute horlogerie

Sciences & Tech
NADIA KOUPRINA
L’horloger a déposé plus de 86 brevets et sa manufacture est la seule du pays à produire des montres mécaniques très complexes, recherchées par les collectionneurs du monde entier.

Russia Beyond désormais sur Telegram ! Pour recevoir nos articles directement sur votre appareil mobile, abonnez-vous gratuitement sur https://t.me/russiabeyond_fr

Konstantin Tchaïkine est un horloger indépendant à qui l’on doit plusieurs dizaines d’inventions. Ses œuvres ont acquis la reconnaissance mondiale depuis bien longtemps : pendant quatre ans, jusqu’en 2019, il a été le seul Russe à diriger la prestigieuse Académie Horlogère des Créateurs Indépendants. En avril 2021, le bureau international des brevets de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle lui a décerné une médaille d’or, qui récompense le développement d’une industrie précise. Encore une fois, il est le seul Russe à l’avoir obtenue. Dans le monde de l’horlogerie, d’ailleurs, de telles médailles sont uniques. Les montres de Tchaïkine sont régulièrement mises à l’honneur lors des expositions, mais notre planète ne lui suffit pourtant pas : sa dernière montre, la « Mars Conqueror 3 », synchronise le temps terrien et martien, et est conçue pour les pionniers de l’espace.

Technicien autodidacte

Il est tombé dans l’horlogerie par hasard : « Personne n’est horloger dans ma famille. Enfin, ma grand-mère travaillait à la réception d’un atelier de réparation de montres à Léningrad », raconte-t-il à Russia Beyond. Dès l’enfance, Konstantin a suivi son père dans son hobby, la mécanique radio. Au début, il a fait partie d’un cercle dans un camp des pionniers (scouts soviétiques) : « C’était merveilleux ! Grâce au code morse et à une station amateur, nous, jeunes soviétiques, pouvions communiquer avec le reste du monde ». Il a ensuite été membre d’une section et a finalement étudié dans une école technique. Le monde de la mécanique, qui repousse sans cesse les limites, fascinait le jeune homme talentueux. « Toutefois, en servant dans l’armée (en Carélie puis en Ossétie du Sud), ma fascination a rapidement disparu ».

En rentrant de son service militaire, dans les années 1990, il a exercé plusieurs métiers, de serrurier à agent commercial, jusqu’à ce qu’il commence à vendre des montres. « Mon partenaire et moi avons rapidement créé notre entreprise, mais elle ne nous prenait pas beaucoup de temps, et j’ai donc voulu savoir ce qu’il se passe dans les montres, en comprendre le principe, raconte Tchaïkine. Il a donc commencé à démonter les montres, qu’elles soient récentes ou anciennes, apprenant le métier de manière totalement indépendante. À l’époque, il n’y avait pas YouTube et Internet n’était pas répandu, j’ai donc appris grâce aux livres. Ce n’est pas tout, j’ai aussi appris par tâtonnement, et je pense que ça a posé les bases de ma perception du métier, cette recherche créative continue. Recréer ne m’intéresse pas, je veux inventer, faire des choses que personne n’a jamais faites avant moi ».

De ses premiers tourbillons à la collection martienne

Konstantin admet qu’il n’a plus besoin de regarder l’intérieur des montres d’autres horlogers : il connaît déjà par cœur tout ce qui a été fait avant qu’il n’arrive dans l’industrie. En 2003, sa collection de montres a ensuite servi de capital de base à la création de sa manufacture horlogère. C’était un pari réussi, puisqu’il a reçu beaucoup de commandes et obtenu la reconnaissance de ses pairs : il est en effet le premier Russe à avoir créé un tourbillon (aussi appelé « cage tournante ») d’horlogerie. Avant Tchaïkine, personne n’y était parvenu pendant 175 ans. En horlogerie, un tourbillon est une pièce spéciale qui contrebalance les effets de la gravité et qui permet au mécanisme de fonctionner avec précision et sans heurts.

« À l’époque, c’était quelque chose de très complexe dans le monde de la haute horlogerie, que personne n’avait jamais réussi à créer dans le pays », explique Konstantin. Tchaïkine a créé, de ses propres mains, la première horloge de bureau à tourbillon. La création ambitieuse de cet horloger brillant et autodidacte a fait l’objet d’articles dans les journaux spécialisés et Konstantin est devenu célèbre du jour au lendemain.

À partir de là, la complexité de ses montres n’a cessé d’augmenter. « Mes premières montres, en 2008, n’étaient que de simples mécanismes avec une dizaine de jours de réserve de marche. Je voulais créer un mécanisme qui fonctionne “sur le long terme” », explique-t-il. Il a ensuite créé des modèles uniques, qu’il considère encore aujourd’hui comme les plus complexes de sa collection : la montre « Décalogue » est décorée de symboles juifs, la « Cinéma » est équipée d’un projecteur miniature, et la montre « Lounokhod » (Marcheur sur la Lune) indique les phases de ce satellite naturel de la Terre. Il ne faut pas oublier, bien sûr, la collection consacrée à Mars.

Quand les montres font la grimace

La collection la plus populaire et la plus célèbre au travers du monde est la collection « Wristmons », des montres aux visages humains. Elle a commencé avec la montre légendaire « Joker », en 2017, qui a obtenu tous les prix possibles et représente encore aujourd’hui la part du lion des commandes que reçoit la manufacture. Le cadran de la montre représente le visage de ce personnage, avec son sourire si caractéristique (à l’intérieur duquel on peut voir les phases de la Lune), et les aiguilles remplacent les pupilles des yeux. Le « visage » du cadran est donc constamment en mouvement, et peut montrer jusqu’à « 20 000 grimaces », estime l’horloger.

Dans le cadre de la prestigieuse vente aux enchères internationales Christie’s Only Watch, s’étant déroulée en 2019 à Genève, Konstantin a inventé la première montre « autoportrait », donnant au « visage » du cadran ses propres caractéristiques. Le prix de vente estimé était de 18 000 à 24 000 francs suisses... Elle a été achetée 70 000 CHF.  De nouvelles montres complètent constamment la série. Par exemple, la montre « Dracula » est dotée de « crocs » qui poussent la nuit.

Konstantin ne se contente pas d’expérimenter sur les montres classiques, il s’aventure aussi du côté des horloges de bureau. Ainsi, l’horloge « Moskovskaïa Paskhalia » (« calendrier pascal moscovite ») est entrée dans le Livre des records russes comme l’horloge la plus complexe jamais inventée dans le pays : elle comporte en effet 2 506 pièces qui permettent 27 fonctionnalités différentes. « Je voulais résoudre un problème peu banal, que personne n’a abordé avant moi : faire une horloge qui calcule et indique la date de la Pâques orthodoxe, car elle n’est pas fixe, comme on le sait. C’est là que tout a commencé, explique-t-il. Nous avons offert un des premiers modèles au patriarche de Moscou ». C’est précisément ce mécanisme révolutionnaire hyper complexe qui a été dévoilé à l’exposition internationale de Bâle en 2007, et qui a permis à Tchaïkine d’entrer dans l’élite du monde de l’horlogerie.

Une formation unique

Konstantin conceptualise toutes ses montres lui-même, et le personnel de la manufacture, une vingtaine de personnes, l’aide à les réaliser. Ils apprennent par eux même à la manufacture, car il n’y a pas d’école spécialisée dans l’horlogerie en Russie. En un an, ils peuvent sortir près de 150 modèles de montres. Cette année, pour rattraper le temps perdu lors de la pandémie, ils prévoient de porter ce nombre à 200. Les montres se vendent à partir de 10 000 dollars, chacune est faite à la main, et le maître horloger supervise lui-même minutieusement tous les détails.

« Maître horloger est un métier qui englobe plus de 20 professions différentes. C’est extrêmement difficile, explique Konstantin. C’est pour ça que nous sommes les seuls en Russie. Bien sûr, il nous reste de grandes usines de l’époque soviétique. Mais notre manufacture horlogère, qui produit des mécanismes uniques et coûteux de haute horlogerie, est encore unique. En termes de chiffre d’affaires, nous battons toutes les autres usines ».

Passionné de science-fiction, Tchaïkine prédit que les mécanismes de haute horlogerie, comme ceux de sa manufacture, seront plus tard exposés dans des musées, et que ce sont des bioprothèses, implantées dans nos bras ou dans nos yeux, qui nous indiqueront alors l’heure.

Dans cet autre article, nous nous intéressions à l’essor de popularité des montres soviétiques vintage.