Plus qu’un sport: comment le Daghestan est devenu fer de lance des champions en arts martiaux

Lifestyle
ALEXANDRE LARCAN
Depuis quelques années, les combattants daghestanais ont mis en lumière cette république du Caucase russe et permis de la situer sur la sphère internationale, en raflant l’ensemble des distinctions mondiales d’arts martiaux. Ils ont su faire évoluer la lutte, leur sport ancestral, en un sport plus actuel qui est le MMA. Plus qu’une identité culturelle, c’est aussi une manne financière vers une vie meilleure.

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Dans un post paru en février dernier sur Instagram, la vedette de MMA (Arts Martiaux Mixtes) daghestanaise Khabib Nurmagomedov, retraité depuis sa victoire écrasante sur l'américain Justin Gaethje à l'UFC le 24 octobre 2020 et au palmarès élogieux de 29 victoires pour 0 défaite, a partagé sa passion pour le football et son rêve de devenir une star du ballon rond.

Il a précisé notamment qu’être originaire de cette république majoritairement musulmane du Caucase du Nord avait changé le cours de sa destinée : « J'adore le football depuis l'enfance et j'ai toujours rêvé de devenir footballeur, mais je suis né au Daghestan et là, vous savez vous-même quelle est la priorité. Qui sait, peut-être que si Cristiano Ronaldo était né au Daghestan, il serait devenu également champion de l’UFC ».

À la différence de l’Europe de l’Ouest ou encore de l’Afrique, où le football est le sport de référence considéré comme un tremplin pour un avenir meilleur, le Daghestan, « pays des montagnes », est une terre de lutteurs et combattants à la réputation planétaire. Une véritable usine à champions. C’est le cas des frères Adam et Buvaysar Saytiev, Tchétchènes ethniques nés dans cette république. Lutteur de légende, ce dernier a été six fois champion du monde et triple champion olympique entre 1995 et 2008. Ou encore d’Abdulrashid Sadulaev, surnommé « le char russe », qui, depuis 2014, rafle toutes les récompenses aux compétitions européennes et mondiales de lutte libre. La liste est longue.

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C’est ce qui incite de plus en plus d’adolescents, aux visages limés par le tapis, à s’entraîner inlassablement dans l'espoir d'égaler leurs aînés et les stars du circuit telles que Khabib Nurmagomedov et son équipe de pépites daghestanaises composée, entre autres, d’Usman Nurmagamedov (12-0) et Islam Makhachev (19-1), qui ont tous débuté par la lutte avant de se reconvertir dans le MMA.

Arts martiaux comme identité multifactorielle

Dans cette région, la lutte est une raison de vivre. Ses racines proviennent des formes de combat traditionnelles, pratiquées par les nombreuses ethnies du Caucase.

La lutte est ancrée dans les mœurs. C’est devenu plus qu’un sport. On peut même parler de sacerdoce... « Intégrer un club de lutte permet de devenir un homme et un défenseur de son pays », avait déclaré Abdulmanap Nurmagomedov, le défunt père de Khabib Nurmagomedov lors de l’ouverture de sa salle d’entraînement en 2018 à Makhatchkala, capitale du Daghestan.

Dans un climat qui a longtemps été tendu dans cette région, la lutte c’est un vecteur culturel et éducatif dont l’objectif est d’éviter les dérives des jeunes désœuvrés.

Dans ce contexte, les gymnases de lutte ont tendance à servir de garderie pour les plus jeunes enfants, que les parents peuvent laisser sous l'œil vigilant d'un entraîneur pendant qu'ils sont au travail. Les coachs jouent à la fois le rôle de mentor et de grand frère ou de figure familiale pour canaliser l’énergie des lutteurs à des fins constructives, même si ce n’est pas un vaccin infaillible.

Des programmes ont ainsi été financés par l’État fédéral et par Vladimir Poutine afin de développer les écoles de lutte et d'augmenter le nombre de gymnases.

Un pas vers un avenir meilleur

Parallèlement, pour le Daghestan, où le taux de chômage est l’un des plus élevés de Russie, la lutte est une perspective financière qui apporte l’espoir de sortir des cycles de pauvreté. Elle permet de rêver plus grand et de mettre sa famille à l’abri quels qu’en soient les efforts physiques et psychiques. Les sportifs vivent dans leur bulle, dans un monde qui ne cherche ni à plaire ni à convertir, avec des codes et des sacrifices.

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Pour un pratiquant de la lutte, il suffit de se procurer une paire de chaussures, un maillot et avoir des nerfs d’acier, ce qui représente une dépense abordable pour les familles même les plus démunies, et qui rend ce sport si populaire.

Cependant, malgré une déferlante des talents daghestanais sur le circuit mondial du MMA, les places restent chères et la réussite ne peut sourire à tout le monde. Tous les enfants font de la lutte, considérée dans la région comme une culture martiale. « C’est culturel, nous faisons tous de la lutte. Donc je vais inscrire mes enfants à la lutte. C’est comme ça. Le nombre de compétitions est de plus en plus important au Daghestan. Tout le monde s’acharne à s’entraîner et s’efforce de gagner », déclaraUsman A., un ancien pratiquant daghestanais de lutte libre pendant 11 ans, lors d’une interview accordée à l’auteur de ces lignes.

Généralement, ces jeunes combattants sacrifient tout : du physique – plus un visage est cabossé, plus les lutteurs l'envient autant qu'ils le craignent – jusqu’à leur scolarité. Le rêve d’un garçon devient le projet d’une famille entière pour pouvoir prétendre à une ceinture mondiale. Les pères et grands-pères transmettent leur savoir aux plus jeunes, et cela de générations en générations. Avec des entrainements toujours plus rustiques. Les garçons âgés de huit ans minimum se battent sans casque protecteur. L'un des combats que Khabib a menés alors qu’il venait d’avoir neuf ans était encore moins conventionnel : son adversaire était un jeune ours.

À ce propos, le journaliste Alzo Slade, du média Vice, parle d’eux comme les Spartiates des temps modernes.

C’est une route laborieuse et très rude comparable aux parcours des jeunes boxeurs en Thaïlande. L’honneur et la famille sont des valeurs cruciales pour tout habitant du Daghestan. « Chaque nation a son propre passe-temps, la boxe thaï en Thaïlande, le football au Brésil et la lutte au Daghestan. Cependant, de nos jours, les jeunes se tournent de plus en plus vers le MMA, car avoir la lutte libre comme bagage technique est très efficace », précise Usman A. lors d’une interview après son entraînement.

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Parfois, ces jeunes s’exilent dans des pays d’Asie centrale, en Turquie, ou bien en Belgique etc, pour gagner d’autres compétitions et se faire remarquer. En effet, les compétitions de lutte au Daghestan sont considérées comme des petits championnats mondiaux au vu de la qualité des combattants. Il est donc parfois préférable d’aller faire ses armes ailleurs.

Si le rêve de devenir champion d’une organisation européenne ou américaine en lutte, sambo ou MMA n’appartient pas à tous, il n’est cependant pas obligatoire de percer dans le monde professionnel pour en vivre, ce qui est plus compliqué dans le milieu footballistique en Europe. L’alternative de plus en plus populaire est de devenir entraineur, mais aussi d’ouvrir des lieux pour pratiquer, d’où l’augmentation importante des gymnases depuis une dizaine d’années à Makhatchkala, la capitale du Daghestan.

Dans ce cas, le plus difficile pour ces jeunes est de se résigner à ne pas devenir champion, mais de pouvoir quand même vivre de leur passion et de la transmettre aux prochaines générations.

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