Cet homme d'affaires britannique devenu fermier en Russie

Économie
ANNA SOROKINA
John Kopisky a commencé une nouvelle vie dans la nature sauvage russe. Depuis 20 ans, avec sa femme et ses cinq enfants, il élève des vaches, produit du fromage et est parfaitement heureux.

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Le vieux village de Kroutovo, près de Petouchki (à 120 km de Moscou, dans la région de Vladimir) est l’un de ces endroits que l'on veut involontairement qualifier d’« étendues russes ». De larges prairies s'effaçant au-delà de l'horizon, les rives sinueuses de la rivière Kliazma, des maisons colorées aux chambranles sculptés, des églises en bois dominant le bâti. S’y trouve également le domaine de l'ancien homme d'affaires britannique John Kopisky, aujourd'hui citoyen russe et agriculteur bien connu dans tout le district. Nous avons décidé de juger de la qualité de ses fromages et autres créations.

Tourisme au kolkhoze

« Il y avait ici un kolkhoze (ferme collective) soviétique abandonné, raconte Nina Kopisky, la charmante épouse de John, vêtue d'un manteau bleu vif aux fioritures de fourrure à l'ancienne, tout en présentant sa propriété. Nous avons construit ici le complexe agrotouristique Bogdarnia, où les enfants et les adultes peuvent venir : monter à cheval, se promener dans les environs, manger des plats délicieux, et se reposer de la ville ».

Les anciens bâtiments ont été préservés autant que possible : cette tour de pierre avec une dépendance servait à stocker le fumier, aujourd'hui, c'est un sauna pour les hôtes. L’étable est devenue un véritable restaurant – le seul indice de son passé est la forme du bâtiment ; son ancienne vocation n’a laissé aucune odeur désagréable et à l'intérieur il y a des tables et des chaises ordinaires décorées de symboles soviétiques. Les bâtiments en bois ont été transformés en auberges. « Deux autres vieilles maisons ont été apportées de la région d'Arkhangelsk – actuellement elles sont remontées rondin par rondin, et nous prévoyons d'y vivre à l'avenir », confie la maîtresse des lieux. Elle est architecte de formation et l'ensemble de la conception du site est son idée.

La pièce centrale de la ferme est un hôtel de 19 chambres en forme de manoir, également construit selon ses plans. Ici, sur la terrasse couverte avec vue sur la rivière Kliazma, le propriétaire lui-même aime s’attarder, en sortant à la rencontre des invités dans sa chemise-kossovorotka traditionnelle. Malgré ses « un peu plus de 70 ans », il a l'air très énergique et joyeux, ressemblant quelque peu à Ded Moroz, le Père Noël russe.

Au Royaume-Uni, John faisait des affaires dans l'industrie du charbon et des métaux, mais à l'âge de 40 ans, il a décidé d’entamer une nouvelle vie. « J'ai fait tout ce que je pouvais là-bas », c'est ainsi que l'agriculteur répond à la question la plus populaire « Pourquoi ? ». Le destin l'a conduit en Russie dans les années 1990, où il a constaté le potentiel de créativité. Il y a rencontré sa future épouse Nina et a décidé d'y rester, devenant ainsi l'un des premiers étrangers à recevoir un passeport russe, en 1993.

Aujourd'hui, avec sa femme et ses cinq enfants, il se consacre à la production de lait, de viande et développe l'agrotourisme depuis plus de 20 ans : la famille possède la ferme Rojdestvo (Noël, Nativité) et, situé à quelques kilomètres de là, le complexe touristique Bogdarnia avec une fromagerie, une écurie et un restaurant. John peut parler de sa ferme indéfiniment, et dans un très bon russe.

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Un paradis pour les amateurs de fromage

Avant la pandémie de coronavirus, Bogdarnia était visitée par plus de 10 000 touristes par an, y compris des voyageurs venant de l'étranger. En 2020, lorsque le flux de visiteurs a considérablement diminué, la famille Kopisky a décidé de se concentrer sur la production de produits laitiers, en ouvrant une nouvelle fromagerie. Ses fromages ne sont pour l'instant vendus que dans quelques magasins à Moscou et à Vladimir, ainsi que sur Internet. Ils coûtent le même prix que les autres fromages russes de qualité, ce qui signifie qu'ils sont assez compétitifs sur le marché. Les affaires ne font que s'étendre d'année en année, ses fromages trouvant preneurs. John attribue cela à la grande qualité de ses produits.

« Pour produire un kilogramme de fromage, nous prenons 13 litres de notre lait et n'utilisons aucun produit chimique ni huile de palme dans le processus. Le coût du lait seul s'élève à environ 400 roubles (4,5 euros), sans compter les autres coûts. C'est pourquoi nous ne pouvons pas vendre notre fromage à moins de 800 roubles le kilo », explique John alors qu’il nous propose une dégustation.

Bogdarnia fabrique une trentaine de types de fromage répondant aux normes européennes. Celui à la pâte la plus dure est le « Johnosan », âgé de cinq mois et ressemblant au parmesan. Il y a le « Krasny Oktiabr » (Octobre rouge) orange et âpre, le « Tovarichtch » (« Camarade ») saumâtre mi-dur et troué, le « Sun Blue » avec une moisissure noble et qui sert notamment à la préparation d’une glace incroyable dans le restaurant-étable. Néanmoins, le plus intéressant s’est avéré le fromage « Chambala » avec des graines de fenugrec. « C'est notre préféré », déclare-t-il en souriant.

Ils produisent également du gouda, du cheddar et de la caciotta. Pour ce qui est de la mozzarella et du tchetchil (un fromage arménien au goût fumé, populaire en Russie), John se montre plus réservé : « Je ne comprends pas ces fromages », dit-il en haussant les épaules.

En plus du fromage, son propre lait est utilisé pour la fabrication de yaourt, de kéfir, de crème épaisse, de fromage blanc et de beurre. Une partie du lait de la ferme Rojdestvo est en outre achetée par des entreprises pour la production de nourriture infantile.

Les visiteurs peuvent déguster tous ces produits laitiers sous différentes formes ainsi que des syrniki à la ricotta avec de la semoule au lieu de la farine et du cheese-cake selon la recette spéciale de John Kopisky : une masse de fromage à la crème est déposée sur une base de pâte sablée, avant d’être congelée. Ces desserts délicats et légers ont même été reconnus en novembre 2020 par le projet national « Carte gastronomique de la Russie ».

Une ferme familiale

En plus de John et Nina, leurs fils travaillent également à la ferme, ce qui ravit le couple.

Vassili, 23 ans, anime par exemple pour les invités des ateliers dédiés à la cuisson des steaks de bœuf, et il sait littéralement tout à leur sujet. « Toute notre viande est vieillie à sec, même la farce, et il n'est pas nécessaire de la garder longtemps sur le feu, elle est prête en quelques minutes, précise-t-il, en vérifiant l'état de préparation d’un steak avec un thermomètre-sonde spécial. Après l’avoir grillée, il faut envelopper la viande dans du papier d'aluminium et la laisser reposer un moment, elle sera alors très savoureuse ». Pour les épices, il suffit d'utiliser du gros sel de mer. Du poivre peut être ajouté à convenance.

Il admet lui-même que depuis de nombreuses années, il ne mange que de la viande, des produits laitiers et du pain provenant de la ferme familiale et qu'il se sent bien.

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