Entre tabou et châtiments: le sexe dans la Russie médiévale

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GUEORGUI MANAÏEV
Comment les Russes traitaient-ils l'infidélité conjugale avant l'époque de Pierre le Grand? Quelle était leur position sur les avortements? Et à quel point la vie sexuelle d'une femme était-elle libre à cette époque?

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L'une des peines de mort les plus cruelles dans le Tsarat de Russie avant Pierre le Grand était appliquée aux femmes qui assassinaient leurs enfants. Elles devaient être enterrées vivantes jusqu’à la poitrine et laissées mourir de faim.

Depuis des temps anciens, les Russes ont cherché à réduire ou à éliminer la possibilité de mettre au monde des enfants illégitimes. L'Église orthodoxe a ainsi mis en place diverses interdictions et peines pour les relations extraconjugales. Cela ne signifie cependant pas, bien sûr, que les Russes de l'époque médiévale n'avaient pas de relations sexuelles hors mariage, ni même avant leur union.

« Vois, regarde et aime mon beau corps »

Il n'y a pas beaucoup de témoignages dans les sources historiques sur la vie sexuelle des Russes avant le XVIIIe siècle, principalement parce que l'Église orthodoxe considérait ce genre d'information comme obscène. Les prêtres entendaient beaucoup de choses dans les confessions, mais ne les enregistraient évidemment pas. Les historiens doivent donc reconstituer les données petit à petit à partir de diverses sources.

« Comme mon cœur brûle, tout comme mon corps, et mon âme se consume pour toi, ton corps et ton regard ! », a écrit une femme inconnue du XIVe siècle dans une lettre d'amour privée. À l’horizon du XVIIe siècle, des descriptions timides de rapports sexuels avaient fait leur apparition dans la littérature populaire.

L'historienne Natalia Pouchkareva, la plus grande spécialiste en la matière, cite le Roman des sept sages, un cycle d'histoires de moralité d'origine hébraïque qui est apparu en Russie dans une adaptation de la langue polonaise au XVIIe siècle : « Oh ma chère, faites ce que vous voulez, de qui avez-vous honte ? (...) Et elle découvrit ses seins et les montra, en disant : "Vois, regarde et aime mon beau corps !" ». Mais pourquoi l'Église se méfiait-elle tant de ces descriptions ?

À l'époque prémoderne (en Russie, avant les XVIIe et XVIIIe siècles), en l'absence de soins de santé professionnels, toute difficulté dans le système reproducteur pouvait avoir des conséquences potentiellement mortelles. Dans le même temps, la mortalité infantile était très élevée. Pour ces raisons, l'Église, qui était la principale autorité morale pour la majorité des Russes, a cherché simultanément à encourager l'accouchement et à restreindre la vie sexuelle hors mariage.

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Avortements et abstinence sexuelle dans la Russie médiévale

Les documents historiques traitant de la pénitence de l'Église sont une source importante en matière de contrôle des naissances dans la Russie d'avant le XVIIIe siècle. Natalia Pouchkareva écrit qu'il existe un grand nombre d'informations sur les cas de pénitence infligés à des femmes « qui ont un [fœtus] dans leur poitrine, mais ne veulent pas donner naissance ».

Les avortements étaient assimilés à des meurtres d'enfants : la destruction d'un fœtus devait être punie de cinq ans de repentir et de jeûne, l’assassinat d'un enfant à naître qui avait des « caractéristiques humaines » – de sept ans de cette même peine, et le meurtre d'un nouveau-né – de 15 ans de cette sentence.

Combien de fois ce type de pénitence a-t-il été pratiqué ? On ne peut le dire avec certitude. Cependant, l'utilisation de contraceptifs botaniques était également condamnée. Des documents datant de 1656 montrent que pour la contraception, l'Église prescrivait sept ans de repentance et de jeûne – tout comme pour l'avortement d'un enfant ayant des « caractéristiques humaines ».

En ce qui concerne le sexe, normalement, il n'était autorisé que dans le cadre du mariage et seulement certains jours. Les relations sexuelles étaient « interdites » pendant quatre jeûnes orthodoxes : 50 jours au printemps, de 8 à 42 jours en été, 13 en août et environ 40 en hiver. En outre, les relations sexuelles étaient prohibées les mercredis, vendredis, samedis et dimanches, ainsi que lors des fêtes religieuses. Il restait par conséquent à peine 50 jours par an pour avoir des relations sexuelles. Il est évident que ces interdictions étaient constamment violées.

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« Et la beauté angélique se montra »

Au XVIIe siècle, et surtout sous le règne du très pieux tsar Alexis Ier (1629-1676), l'Église a interdit toute mention de la vie sexuelle et a banni toute forme de nudité. Les femmes nobles passaient leur vie dans leurs palais en bois, gardées et surveillées par leurs serviteurs, la fidélité conjugale étant indispensable. Une fresque d’une église à Iaroslavl datant du XVIIe siècle montre une femme en enfer punie pour sa non-chasteté : un serpent la mord aux tétons.

Ce genre de contraintes n'a toutefois pas pu durer longtemps. À la même époque, la littérature commence en effet déjà à révéler un relâchement dans le traitement du sexe. Au XVIIe siècle, Le Conte de Pierre les Clefs d'Or, un texte d'origine française traduit du polonais, devient populaire parmi les citadins russes lettrés et moins soumis à la morale de l'Église. Le conte parle d'un homme qui a fait fuir sa femme de la maison de ses parents et a eu des relations sexuelles avec elle, mais tous deux ont dû errer et prier pendant des années, en faisant une dure pénitence pour s'absoudre de leurs péchés.

Ce récit contient néanmoins une description des relations charnelles : « Il aimait son visage blanc et beau, ses lèvres rosées... et il ne put se retenir, il ouvrit sa robe sur ses seins, souhaitant voir plus loin son corps blanc... Et la beauté angélique se montra ».

D'autres faits montrent que la vie sexuelle des Russes au XVIIe siècle était contre toute attente en plein essor, indépendamment des tactiques de l'Église. En 1641, la police secrète du tsar a enquêté sur le cas de Daria Lomakina, une « sorcière » qui créait des philtres d'amour. Adam Olearius (1599-1671), un voyageur et diplomate allemand en Russie, a quant à lui déclaré dans ses écrits qu'au XVIIe siècle, il était habituel pour de nombreuses femmes de Moscou de préparer des aliments accroissant la puissance sexuelle de leur mari. Au cours de ce même siècle, les premiers sortilèges populaires aux effets aphrodisiaques sont apparus, ce qui laisse supposer que même les paysannes de l'époque voulaient que leurs hommes soient sexuellement capables. Le Roman des sept sages, avec sa description d'une femme attirant un homme dans des rapports sexuels, date également du XVIIe siècle.

Plus éloquents encore sont les proverbes russes du XVIIe siècle, qui rendent la réalité mieux que n'importe quel texte. Pour n'en citer que quelques-uns : « Emprisonnée [une femme est] avec son mari, si elle n'a pas d'invité » ; « Aussi mignon soit le mari d’une autre, le temps passé avec lui n'est pas éternel, tandis qu’avec son propre mari odieux il faut se traîner ».

Ces divers récits épars nous rappellent qu'à la fin du XVIIe siècle, juste avant les réformes globales de Pierre le Grand, la vie sexuelle en Russie avait désespérément besoin d'être libérée – et Pierre l'a fait, modernisant le pays et réduisant considérablement le rôle de l'Église dans la vie des citoyens.

Adoptant de nombreuses coutumes européennes, du moins dans les grandes villes, les rapports sexuels contre rémunération ont lentement commencé à être disponibles et, du moins pour la noblesse, la façon européenne de traiter l'amour et le sexe a pris la place de la piété et de la retenue orthodoxes. Néanmoins, pour les paysans russes, la révolution sexuelle était encore très, très lointaine.

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