Pourquoi certains Russes ne croient pas au coronavirus

Anton Podgaiko/Sputnik
En raison d’un nombre relativement faible de personnes infectées, certaines personnes en Russie sont sceptiques quant à la pandémie. Ils croient que cela ne les affectera pas… ou ne s'en soucient pas et refusent de paniquer. Un des journalistes de Russia Beyond partage ses observations sur les mesures de lutte contre le virus.

Russia Beyond désormais sur Telegram ! Pour recevoir nos articles directement sur votre appareil mobile, abonnez-vous gratuitement sur https://t.me/russiabeyond_fr

La Russie ferme ses frontières, comme beaucoup d'autres pays ces jours-ci. Le 23 mars, toutes les écoles et universités fermeront. Tous les événements publics ont été annulés et de nombreux employés ont été invités à travailler à domicile.

Quand je jette un coup d'œil à l'extérieur de mon « bureau de quarantaine » de Moscou, je vois le printemps. Des gens marchent, les enfants sont dans la cour, des personnes avec d'énormes sacs reviennent du magasin. Et je me demande - c’est ça, l' « auto-isolement » prôné par les autorités ?

Rien de commun avec l'apocalypse

Après le premier jour de travail à domicile, je sors très prudemment de mon immeuble comme si j'étais dans un film d'espionnage. J'essaie de ne rencontrer aucun voisin, je m’efforce de ne rien toucher, je vérifie si l'ascenseur est vide avant d'y entrer.

Dehors, je m'attends à voir un paysage post-apocalyptique, quelques personnes avec des masques à gaz et – qui sait – quelqu'un qui court en hurlant. Cependant, je ne vois rien de tel. C’est une soirée normale.

Surmontant ma propre peur et le danger que je ressens, j'entre dans un magasin. Il y a foule à l'intérieur, et personne ne porte de masque. J'achète la seule chose que j'ai oubliée en préparation de l'auto-isolement (et ce n'est pas du sarrasin, ce produit typique russe consommé en temps de crise - juste des boîtes de conserve avec des haricots et du poisson).

>>> Que les Russes achètent-ils en masse face au coronavirus?

« Juste une grippe ordinaire »

Ensuite, je me demande si je devrais me faire une manucure. J'ai réservé la semaine dernière et je dois me débarrasser de mes longs ongles (car je suppose qu'ils ne sont pas bons et ne me permettent pas de me laver les mains correctement). Surmontant à nouveau ma propre peur, j'entre dans le salon de beauté du quartier. Je vois plusieurs filles assises à distance appropriée et tout le personnel porte des masques. Je suis invitée à occuper l'endroit le plus éloigné, donc je me détends un peu.

« Coupez-les s'il vous plaît », ai-je demandé.

« Oh non, pourquoi ? », s'exclame l’employée un ton dépité.

 « À cause du coronavirus ». J'essaie de plaisanter.

« C'est ridicule. On dirait que les gens ne sont jamais allés à l’école. Il n'y a pas de coronavirus. Nous sommes simplement contraints de subir toute cette panique stupide», dit-elle. 

« Eh bien, il y a des machines spéciales pour la ventilation pulmonaire et il n'y en a pas beaucoup... ». J’entame une petite dispute, parce que pendant les dernières semaines, en couvrant la Covid-19 en Russie, j'ai lu beaucoup de choses sur le virus et en ai longuement discuté avec des journalistes du monde entier.

« Ah, tout ça c'est des c*nneries, le virus est JUSTE comme une grippe ordinaire ! ». La dame en charge de la manucure semble inébranlable, alors je ferme la bouche et n'essaie pas de la convaincre à nouveau.

« C’est juste une infection respiratoire banale »

Dans un mélange de sourire et d'hésitation, j'envoie un SMS à une amie à propos de la conversation avec la dame de la manucure et lui demande si elle travaille à domicile. « Je suis chez moi, mais c'est parce que je suis vraiment malade », répond-elle.

>>> Qu’est-ce qui a fermé en Russie à cause du coronavirus?

Elle dit qu'elle vient d'attraper un rhume et n'a pas appelé le médecin. « J'ai le nez qui coule et je n'ai pas de fièvre - j'ai lu que ce ne sont pas des signes de coronavirus. C’est juste une infection respiratoire banale ! » Et elle annonce qu’elle va recommencer à travailler demain.

J'essaie de lui faire une leçon sur l'importance de l'auto-isolement et qu'elle pourrait avoir une forme bénigne de coronavirus, mais qui risque d’infecter les autres, y compris ses grands-parents et les grands-parents de ses collègues.

Elle dit que ça va, car elle ne verra pas ses grands-parents pendant un certain temps... mais va quand même au travail, parce que son patron considère tous ceux qui prennent des précautions contre le coronavirus comme des idiots.

« Je ne veux pas céder à la panique »

« Il n'y a que 114 [au 17 mars] infectés en Russie – c’est loin de ce qui se passe en Italie – et tu te souviens de la taille de notre population? », s’emporte une de mes amies dans un texto lorsque j'essaie de me plaindre du comportement de la connaissance citée précédemment.

« Oui, mais je suis sûre qu'il y a beaucoup de gens comme elle qui ne se déclarent pas et ne se font pas tester ». Je ne lâche rien.

Mais cette amie refuse elle aussi d’entendre mes arguments - elle m'envoie juste des mèmes et des photos rigolotes sur les gens qui achètent des rouleaux de papier toilette en grandes quantités et dit qu'ils sont idiots. « Pourquoi achètent-ils comme ça ? Je veux dire qu'ils peuvent toujours passer une commande en ligne ! ».

Je lui demande si elle travaille à domicile. Elle dit que non. Elle aurait pu facilement rester à la maison, mais va quand même au travail, car c’est plus calme là-bas - une atmosphère parfaite. « J’ai dit à mes parents de ne pas sortir, mais ils sortent toujours - et il semble qu'ils vont bien pour l'instant. Non, vraiment, je ne veux pas céder à la panique généralisée. On dirait que le monde entier est devenu fou ! », se lamente-t-elle.

Je reste sans voix.

>>> La Russie ferme ses frontières face au coronavirus. Que cela signifie-t-il dans la pratique?

« Paranoïa »

J'appelle mes proches pour vérifier s'ils se sont déjà enfermés en isolement ou au moins ont cessé de se rendre dans les lieux publics. Ma tante est surprise d'apprendre que je travaille à domicile. « Lol, tes employeurs t’ont mis une puce sous la peau et t’observent ? ». « Non, tata ! C’est ma responsabilité de ne pas laisser le virus se propager ! », rétorquai-je. « Ah ! ah ! ok. Mais vraiment - cela ressemble à de la paranoïa. Tu crois vraiment que c'est si grave ? ».

Tous mes amis qui avaient planifié des voyages de vacances de printemps en Europe ont dû faire face à une annulation de vol désagréable. La Russie ferme également ses frontières aux étrangers entrants. Mais j'ai entendu dire qu’une collègue d’un membre de ma famille venait de rentrer d'Espagne et ne voulait pas rester à la maison pendant 14 jours – et vous savez pourquoi ? Elle a beaucoup de travail ! Pourtant, elle a été forcée de se mettre en quatorzaine. Puis j’entends qu’une autre connaissance est partie pour le Portugal, malgré tous les avertissements, parce que ce pays n’était pas fermé : « Allez, je mérite bien mes vacances ! », pense-t-il vraisemblablement.

Ici et là sur Facebook, je tombe sur des petits malins - c'est ainsi que je les appelle maintenant. Beaucoup d'entre eux écrivent des messages affirmant que tout le monde panique bêtement, qu’eux sont calmes et que rien ne va leur arriver. En même temps, à ma grande joie, je vois plusieurs messages appelant à se laver les mains et à utiliser des antiseptiques et à prendre soin de ne pas contaminer ses grands-parents, quoi que très peu !

Eh bien, les gens ne croient peut-être pas au coronavirus, mais ils semblent s’être mis à croire au confinement. C’est pourquoi ils achètent en masse du papier hygiénique et d’autres denrées non périssables - comme partout ailleurs de nos jours.

Dans cet autre article, découvrez comment la vie à Moscou a changé en raison du coronavirus.

Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.

À ne pas manquer

Ce site utilise des cookies. Cliquez ici pour en savoir plus.

Accepter les cookies