Il y a une histoire dont je me souviens de mon enfance. C'était la première mention de la Russie et ça m'est resté dans la tête. J'étais très proche de la grand-mère de ma mère. Et à un moment donné, quand j'étais encore à l'école, elle a donné à ma mère une petite croix en métal qui était dans notre famille. Après la Seconde Guerre mondiale, lorsque Vienne était divisée en différentes sections, l'une d'elles était sous le contrôle de l'Armée rouge. Donc, la grand-mère de ma mère avait une petite entreprise de jardinage qui cultivait des légumes. Elle parlait couramment le tchèque (comme vous le savez peut-être, Simon est un prénom tchèque). Du coup, quand les soldats venait, mon arrière-grand-mère pouvait communiquer un peu avec eux. À l'époque, ma mère était encore une petite fille. Et les soldats lui donnaient toujours des bonbons qu'ils prenaient au magasin le plus proche. Ma mère avait de très bons souvenirs d'eux. Un soldat russe a même aidé à rénover le jardin endommagé pendant la guerre. Et avant de rentrer chez lui, il a donné à mon arrière-grand-mère une simple petite croix. C'est très touchant d'avoir non seulement des souvenirs, mais aussi un objet que l'on peut physiquement tenir dans sa main. Cette histoire m'est restée dans la tête bien avant même que je n'envisage d'aller en Russie. Et j'ai toujours cette croix.
Pendant mes études d'histoire de l'art, j'ai travaillé à la maison de vente aux enchères Dorotheum à Vienne. De 2006 à 2008, j’y ai travaillé au département de peinture des anciens maîtres. À cette époque, il y avait beaucoup de clients russes intéressés par cette catégorie. Donc, ces clients qui venaient chercher une œuvre d'art en particulier étaient des gens très sympas et intéressants. Ce sont les premiers Russes que j'ai connus. Parallèlement, grâce à mon travail, j'ai fait la connaissance d'Oleg Ksenofontov, le directeur du Centre de Russie pour la science et la culture à Vienne. Quand on s'est rencontrés, il s’est avéré très gentil et amical. Il me parlait de la Russie, de son travail ; il m'a même proposé de prendre des cours de russe. Ça a été mes premiers cours de langue russe à l'Institut culturel russe de Vienne. Après ça, le Dorotheum m'a envoyé à Moscou pour rencontrer des clients. Dans le cadre de ce travail, j'ai rencontré des personnes travaillant à l'ambassade d'Autriche à Moscou, ce qui m'a amené à travailler ici. Je me souviens qu'en 2008, quelqu'un m'a dit qu'il y avait un poste vacant pour 8 mois. J'ai fini par rester 10 ans !
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J'ai grandi dans un endroit à une trentaine de kilomètres de la frontière avec l'URSS. Et pendant mon enfance, mon monde se terminait à cette frontière. Mais derrière, il y avait quelque chose d'étrange. Pas quelque chose dont tu avais peur, mais quelque chose d'inconnu et d'étrange. Pour mes parents, c'était un territoire un peu sombre, mais pas pour moi quand j'étais enfant. À l'époque, je considérais les pays voisins comme des endroits différents. Je me souviens que dans mon école, il y avait même la possibilité d'apprendre le russe comme langue étrangère ! Aujourd'hui, l'information est beaucoup plus accessible que lorsque j'avais 16 ans. Pendant mes années d'études, j'ai vécu quelque temps en France et en Italie. Et avant de venir en Italie, je n'avais aucun stéréotype sur les Italiens ou les Français. Je n'en avais pas non plus avant de venir en Russie. Heureusement, j'ai été éduqué d'une manière telle qu'il était difficile de tomber dans le piège des notions plates et simples sur les gens, qui sont essentiellement des stéréotypes. Et je pense que la plupart d'entre eux sont dépassés de nos jours. Des choses comme « les Russes boivent trop de vodka » sont tout simplement stupides. Il faut approfondir l'histoire et l'identité culturelle. La plupart des Russes que j'ai rencontrés dans mes années à Dorotheum étaient des gens très intéressants ; ils ont suscité chez moi la curiosité de venir ici.
Ma première visite a eu lieu en 2005. Martin Vukovich, le père d'un de mes amis, était alors ambassadeur d'Autriche en Russie. C'était un célèbre diplomate autrichien qui connaissait bien la Russie, une personne très respectueuse. Je suis un bon ami de son fils, Klaus. Ils m'ont donc demandé d'être témoin au mariage de Klaus à Moscou. Je me souviens de l'énorme pile de valises à l'aéroport Cheremetievo et je n'avais aucune idée de comment trouver la mienne. Je me souviens aussi d'une foule folle de chauffeurs de taxi qui attendaient à la sortie de l'aéroport. Il n'y avait pas d'autres options pour se rendre en ville. Et un gars comme moi était une victime parfaite pour ces conducteurs. Je me souviens que l'un d'eux voulait me faire payer 200 dollars pour aller en ville. Et le plus drôle, c'est que je n'avais pas cet argent à l'époque, car j'étais encore étudiant et sans emploi. Alors, au lieu de cela, j'ai regardé où les Russes allaient, et j'ai vu qu'il y avait des « marchroutka » (minibus typiques) qu'ils prenaient tous. Et tous les gens dans la file d'attente m'ont dit qu'il valait mieux que je ne le fasse pas, que je devrais prendre un taxi, après tout. Je crois que j'ai passé deux heures à attendre à cette gare routière et finalement, une dame m'a aidé à monter dans le minibus et a fini par obtenir un trajet gratuit. C'était vraiment un défi et j'étais incroyablement fier de moi. Cette première visite a été pleine d'impressions. Je me souviens que l'énorme hôtel de Moscou était toujours debout {l’hôtel Rossia, où s’étend depuis 2017 le parc Zariadié] et qu'une vache en plastique se tenait devant le restaurant Mou-Mou sur la rue Arbat. C'était en 2005.
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C'était Maxim Reingold, le cousin d'un grand marchand d'art. Il m'a aidé à trouver un appartement à Moscou dans l’Immeuble sur le Quai [ancienne résidence d’élite en URSS]. Il était très gentil et amical ; il m'a souvent invité chez lui pendant mes premières semaines à Moscou. Un autre bon ami avec qui je suis toujours en contact est Alexander Rytov, directeur de la Stella Art Foundation. Il a vraiment soutenu mon travail au tout début et m'a beaucoup aidé. La galerie Tretiakov accueillera bientôt une exposition d'œuvres de l'artiste autrichien Hermann Nitsch, et je me souviens qu'en 2010, nous avons amené ses œuvres à Moscou pour la première fois, avec la Stella Art Foundation.
La façon de penser des Russes est très différente de celle des Européens de l'Ouest. Les Russes mènent une vie différente. Je pense que la Russie est le dernier grand « empire » multiculturel qui existe encore (pensez aux empires britannique ou autrichien, ils ont tous disparu). Je ne dis pas cela dans un sens impérialiste, c'est juste un pays immense et intéressant. C'est même plus qu'un simple pays. La notion de qui vous êtes en tant que partie de la Russie est variée : c'est un mélange de fierté, de nostalgie, de tristesse, ainsi que beaucoup d'autres choses. Je pense que la multitude de cultures est quelque chose qui prend du temps à être découvert.
En outre, je pense que l'amitié russe est quelque chose qui peut être source d’inspiration. En Autriche, vous pouvez avoir beaucoup d'amitiés rapides ; vous pouvez travailler avec les gens, les inviter chez vous, mais vous vous sentez encore assez distant. Par exemple, j'aime inviter des gens dans mon appartement à Moscou, et il peut être surprenant de voir à quel point peu de gens vous inviteraient en retour chez eux. En Russie, il faut du temps pour apprendre à connaître une personne avant de l'inviter chez vous. Mais une fois que quelqu'un est considéré comme votre ami, cela signifie que vous êtes vraiment proches. Parfois, je suis vraiment stupéfait de voir à quel point les amitiés peuvent être intimes en Russie. Il y a certaines choses personnelles que les Russes se disent entre eux et que les amis d'autres pays ne peuvent jamais confier. Ou appeler quelqu'un pour lui dire que vous venez chez lui même si vous n'avez pas été invité. Mon prédécesseur [au travail], qui a plus de quatre-vingt-dix ans, reste avec son ami russe lorsqu'il vient en Russie, car ses amitiés durent toute sa vie. C'est très beau, j'espère que j'aurai aussi de tels amis.
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