Portrait de ces étrangers ayant décidé de prendre racine dans la province russe

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KSENIA ZOUBATCHEVA
De San Diego à Krasnodar et de Paris à Makhatchkala, quatre expatriés venus d’Europe et des États-Unis partagent leur expérience de vie en dehors des deux capitales russes que sont Moscou et Saint-Pétersbourg. Est-ce dangereux? Et qu'est-ce qui les a poussés à s’établir dans ces lieux grandement méconnus à l’étranger?

Trouver des expatriés en Russie est assez facile, en particulier dans les principaux centres économiques et culturels du pays – Moscou et Saint-Pétersbourg. La vie n’y est plus si différente des autres mégalopoles internationales et elles possèdent généralement tout ce dont un expatrié a besoin – des emplois décents aux appartements de luxe en passant par des restaurants végétaliens et frappuccinos.

Mais y a-t-il une vie pour les expatriés au-delà de ces deux villes ? Il semble que oui, à en croire ces quatre étrangers qui considèrent à présent la Russie comme leur deuxième maison !

Trouver le job de ses rêves - Julien Bauer, de Paris à Belebeï 

Belebeï, petite ville située dans la République du Bachkortostan (sud de l’Oural), n’est pas un endroit très fréquenté par les touristes. Sur un total de 60 000 habitants, le Français Julien Bauer est probablement l’un des rares étrangers, voire le seul, à y avoir élu domicile. Ingénieur âgé de 25 ans, il est arrivé ici il y a dix mois pour des raisons professionnelles.

Après des études en France et aux États-Unis, Julien s'est rendu plusieurs fois en Russie en 2017. « Pendant mes études aux États-Unis, j'ai eu la chance de participer à un concours international de jeunes ingénieurs organisé chaque année dans le cadre du Forum du gaz de Saint-Pétersbourg, se souvient-il. Mon équipe a remporté la compétition et nous avons eu la chance de visiter les champs de pétrole sibériens de Gazprom. La beauté de la Sibérie m'a stupéfait et ce voyage a renforcé mon envie de venir travailler en Russie ».

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Par conséquent, l’année dernière, il a décidé de venir ici pour travailler et n’a pu refuser l’offre pour un poste de manager dans une fromagerie basée à Belebeï. « Au début, j’ai étudié les offres d’emploi dans les secteurs pétrolier et gazier à Moscou et Saint-Pétersbourg, mais la perspective d’obtenir un poste de bureau, d’être coincé dans le trafic routier et la pollution ne m’attirait pas beaucoup, explique-t-il. J'ai ensuite découvert une offre d'emploi en Bachkirie [autre nom de cette république] en tant que manager avec beaucoup de responsabilités et de bonnes opportunités pour l'avenir. J'ai décidé de postuler et, après deux entretiens téléphoniques, on m'a dit que j'avais été sélectionné pour le poste ! Mon travail est extrêmement intéressant et je ne suis pas sûr que j'aurais pu trouver une telle opportunité dans mon pays d'origine ».

Même si sa famille n’était, au début, pas ravie de cette idée, Julien a aussitôt été charmé par la ville. « De nombreux étrangers n’ont à l’esprit que Moscou ou Saint-Pétersbourg, mais la Russie a beaucoup plus à offrir. La Bachkirie est une magnifique république et possède de nombreux sites naturels préservés », affirme-t-il.

Comme il le dit, même si la civilisation se fait parfois lointaine, la vie en province est un excellent moyen de s’immerger dans la culture locale. « La vie russe authentique se trouve définitivement dans des villes comme Belebeï. Manger des produits frais du marché fermier, cultiver des légumes dans votre jardin, aller au bania [sauna russe] avec des amis, nous avons tout ! ».

« Ce que j'apprécie le plus ici, c'est l'authenticité de la population. Bien qu'il y ait des exceptions, les gens ici sont sincères et directs dans leur discours, explique Julien. Après six mois de vie ici, à aucun moment je ne me suis senti en insécurité ou en danger. Tant que vous n'enfreignez pas les règles, tout ira bien... Plus que tout, j'ai constaté beaucoup de solidarité entre les gens. Chaque fois que j'ai un problème dans mon appartement ou que je dois trouver quelque chose, il y a toujours un collègue ou un ami prêt à aider. Les personnes que je rencontre habituellement sont généreuses, curieuses et soutiennent réellement leur famille et leurs amis contre vents et marrées ».

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Trouver l’amour - Laura Pickens, de San Diego à Krasnodar

Née et élevée en Californie, Laura dit qu’elle n’a jamais été de ceux qui font les choses de manière traditionnelle. Il y a 10 ans, elle a visité Krasnodar en tant que touriste et un mois plus tard, elle était certaine de vouloir y rester. « J'ai eu la chance de pouvoir vivre dans plusieurs villes et je peux affirmer que ma place est ici, à Krasnodar, certifie-t-elle. Je n'ai jamais pensé à partir. J'adore le Kouban [région historique du Sud de la Russie]! J'ai parcouru tout le territoire de la région de Krasnodar et m’y suis forgé de nombreux souvenirs. J'ai appris le russe, rencontré mon mari russe et eu deux garçons dans une maternité russe ! »

Ses garçons ont maintenant 3 et 5 ans. « Ils parlent l'anglais comme langue principale, mais nous parlons tous le russe aussi, souligne-t-elle. Ils vivront ici et iront à l'école ici. Ils sont Russes. La façon dont ils choisiront de s'identifier leur appartiendra plus tard, lorsqu’ils grandiront ».

Le quotidien à Krasnodar, les fruits et légumes locaux de saison, ainsi qu’un climat chaud digne de Californie ont fait que Laura est tombée amoureuse de la ville. « J'ai eu quelques moments où je me sentais moins en sécurité, mais jamais vraiment en danger. Je me sentais beaucoup moins en sécurité en Amérique, où les armes à feu sont omniprésentes, admet-elle également. Ici à Krasnodar, je vis ma vie comme une Russe. Chaque jour, j'ai l'impression d'être toujours en voyage dans un pays étranger. Même si tout est confortable et familier, je me sens toujours comme une touriste. J'aime ce sentiment ».

Aux États-Unis, elle travaillait comme designer graphique chez Harley Davidson, mais à Krasnodar, elle a dû changer de profession. « Au début, je ne parlais pas russe et n'avais aucun espoir de trouver un emploi de graphiste à Krasnodar. J'ai donc commencé à enseigner l'anglais et, de manière inattendue, j’ai beaucoup aimé cela... Maintenant que je connais le russe, j'ai beaucoup plus d’options mais je choisis quand même d’enseigner ».

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Pour elle, la Russie est véritablement un pays d'extrêmes. Comme elle le pense, les Russes sont résistants et pas naïfs quant à à la fragilité de la vie : « Je les admire ainsi que leur capacité d'adaptation. Il me reste encore un long chemin à parcourir pour comprendre l’âme russe et j’apprécie le voyage ».

Trouver l’authentique âme russe - Jean-Louis Bachelet, de Paris à Mourmansk et Makhatchkala

L'écrivain français Jean-Louis Bachelet a su que la Russie deviendrait sa deuxième patrie dès qu'il s’est familiarisé avec les œuvres des écrivains et compositeurs du pays. Il s’est rendu dans les principales villes du pays – Moscou et Saint-Pétersbourg, mais n’a pas trouvé cette « âme russe » particulière, qu’il avait découverte au fil de ses lectures. Sa soif d’authenticité l’a donc éloigné de ces villes.

« Je crois qu'il est impossible pour un écrivain qui veut raconter la Russie de se cantonner dans ces ville-là sans verser dans les clichés qui nourrissent l'imaginaire occidental, et servent de bras de levier pour conspuer la Russie », soutient-il. C’est pourquoi il s’est finalement retrouvé dans des endroits où peu de touristes osent se rendre, tout d’abord à Mourmansk, dans l’Arctique, puis un peu plus tard, dans la ville de Makhatchkala, capitale de la République caucasienne du Daghestan.

« Makhatchkala et Mourmansk expriment deux extrêmes opposés, et c'est une des singularité du monde russe d'être capable de réunir dans une même fédération deux villes aussi radicalement différentes. À Mourmansk, on est dans le monde polaire, qui rappelle celui des Vikings, ou des Normands, témoigne-t-il. Le Caucase Nord est une terre d'Islam, marquée par la déportation des Tchétchènes par Staline en 1944, et les guerres terrifiantes de la fin des années 90 ». 

« Les gens qui vivent dans ces contrées, que ce soit à Mourmansk ou à Makhatchkala, ont gardé la trace des blessures passées, ils incarnent pour moi le "peuple réel", pour le meilleur et pour le pire », explique Jean-Louis.

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Comme il l’affirme, il a trouvé ici une véritable culture, dotée de traditions et d’un mode de vie séculaires. « À Makhatchkala, il ne se passe pas une journée sans que des jeunes s'assemblent pour danser la Lezginka [danse traditionnelle du Caucase], parfois même au milieu de la route. Cette persistance des traditions et coutumes, dans des contextes de relative pauvreté, ont emporté mon cœur, et m'ont convaincu que la vraie vie, la "vie vivante", comme disait Dostoïevski, était là-bas ». 

Bien entendu, certaines choses sont à prendre en compte, à l’instar des températures extrêmes à Mourmansk, mais comme il l’assure : « Partout où il y a une vie réelle, il y a du danger. Lorsqu'il n'y a plus de danger nulle part, c'est qu'il n'y a plus de vie ».

Jean-Louis admet qu'il est tellement tombé amoureux du Daghestan qu'il envisage d'y acheter une maison.

« Le Daghestan est pour moi le précipité de toutes les beautés, celle des paysages, celle de la culture, et de tous les dangers, celui de l'islamisme, celui des revendications identitaires. En tant qu'écrivain, je n'envisage pas la vie ailleurs que là-bas ».

Trouver un nouveau sens à sa vie - Marco Bravura, de l’Italie à Taroussa

Artiste italien spécialisé dans la mosaïque, Marco Bravura vit avec sa famille dans la petite ville russe de Taroussa (à 140 km au sud de Moscou) depuis 12 ans.

Après avoir voyagé et travaillé dans le monde entier, il a été invité en Russie par le mécène Ismaïl Akhmetov, qui voulait faire renaître de ses cendres l'art de la mosaïque dans le pays et a même offert à Marco un studio avec tout ce dont il avait besoin pour travailler.

« Lorsque je suis venu ici pour une très courte période, j'ai ressenti quelque chose de vraiment spécial. Je ne peux pas vraiment expliquer quoi, mais au fond, j’ai senti la possibilité de pouvoir faire quelque chose ici qui n’est peut-être plus possible en Italie », se souvient-il. Depuis déjà plus d'une décennie, sa femme et lui ont contribué à la vie locale en fondant une école d'art pour enfants et en soutenant des artistes russes, des expositions d'art et des concerts.

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« Mon lieu préféré en Russie est Taroussa. C’est un endroit incroyable pour de nombreuses raisons. La nature ici est merveilleuse – la belle rivière Oka et les forêts. Mais ce n’est pas tout, c’est ici que de nombreux intellectuels ont vécu, notamment les poètes Marina Tsvetaïeva et Bella Akhmadoulina, confie-t-il. En Russie, j’ai trouvé quelque chose que je ne peux même exprimer : la liberté de m'exprimer et beaucoup d'inspiration qui vient de Taroussa, la ville des poètes et des artistes, et de l'intelligentsia russe ». 

Comme il l’affirme, cette petite cité sur les berges de l’Oka lui a donné envie de faire quelque chose pour cet endroit : « Moscou et Saint-Pétersbourg sont de belles villes, mais la province a elle aussi besoin de beauté, car c’est un plaisir de vivre dans un bel endroit. Alors, Taroussa est pour moi un laboratoire pour apporter de la beauté à la campagne ! »

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