En ce dimanche 2 mai, célèbrent la Résurrection du Christ non seulement les croyants, pour qui il s’agit traditionnellement de la plus importante fête religieuse, mais aussi de nombreux citoyens, ne s’associant pourtant pas à l’Église orthodoxe. En réalité, cet événement s’est profondément ancré dans la vie du pays et ses traditions n’ont pu disparaître même durant l’URSS, où la religion était pourtant interdite.
Pavel, professeur à l’Académie spirituelle de Moscou
Je viens d’une famille non croyante, c’est pourquoi je n’ai été familiarisé avec la véritable célébration de Pâques qu’au séminaire. Avant cela, toute la fête se résumait pour moi aux plats traditionnels de Pâques : les œufs et le koulitch [sorte de brioche décorée]. Ma grand-mère préparait de délicieux koulitchs. On peignait les œufs à la maison avec des épluchures d’oignon et on les enduisait d’huile végétale jusqu’à ce qu’ils soient parfaitement brillants.
Au séminaire j’ai appris que le Grand Carême, la Semaine sainte et Pâques étaient une petite vie à part entière. La préparation pour la fête se déroule durant presque 50 jours. Avant tout, il est question de restrictions alimentaires, mais aussi d’autres choses. Par exemple, l’office religieux durant le Grand Carême possède une charge spirituelle particulière et chaque jour, lorsque tu es à l’église, à travers ce qui est chanté, lu et dit, on te rappelle l’approche de la fête. Et ce sont sept semaines, presque deux mois uniquement de discussions du type : « C’est bientôt Pâques, il faut s’y préparer ».
La dernière semaine avant Pâques, la Semaine sainte, reflète la chronologie des derniers jours de la vie du Christ. Chaque jour représente un ou deux événements centraux, principalement tristes, et l’apogée arrive le jeudi soir et le vendredi matin (les journées de service religieux commencent le soir) : le Christ est torturé, crucifié et décédé. Bien entendu, tu traverses tout ça. Le samedi, selon la logique des choses, est un jour d’attente tendue, mais pour moi c’est déjà un moment joyeux. Les gens viennent faire bénir leurs koulitchs, leurs gâteaux de Pâques et leurs œufs. Parfois ils font aussi bénir d’autres produits, voire même de la vodka par exemple.
Durant la bénédiction, le prêtre lit des prières, puis entame un chant à propos du Christ se rendant en Enfer et libérant ceux y étant tourmentés, et asperge d’eau bénite les produits amenés par les fidèles. Au séminaire on faisait cela à un endroit aménagé avec des tables. Imaginez : une foule, autour de vous des visages heureux, des koulitchs, des œufs, les vêtements blancs du prêtre (qui sont ensuite seulement noirs ou violets), des chants, un joyeux remue-ménage – tout cela fait de ce samedi un jour unique.
Le service de Pâques a lieu de nuit. Environ 15 minutes avant minuit, se déroule une procession autour de l’église. Sont allumées des bougies et entonné un chant reflétant l’attente de la résurrection du Christ : solennel mais pas encore jubilatoire. Après avoir marché autour de l’église, la procession s’arrête devant l’entrée dans l’attente de minuit.
À minuit, vient Pâques. Tout le service, dans son état d’esprit, change entièrement, c’est-à-dire qu’il y a 49 jours à part, et maintenant c’est une chose parfaitement autre. Et ce changement d’humeur tu le ressens de tout ton être. C’était difficile, c’était triste, parfois tendu, mais maintenant tout est terminé en même temps que la Résurrection. Le sentiment de joie est difficile à décrire. On se sent simplement très bien.
Pour ce qui est de la semaine après Pâques, elle est appelée Semaine radieuse. Durant toute la semaine ou presque on ne travaille pas. C’est une semaine de repos. Tu la consacres aux rencontres avec les amis et à l’église.
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Irina, professeur de langues
Mes premiers souvenirs de « célébration » de Pâques sont, aussi étrange que cela puisse paraître, liés à la période soviétique. Il n’était pas convenu de parler de religion à la maison, et les églises, nous, enfants des années 80, les percevions plus comme des musées. Toujours est-il, d’une manière miraculeuse, que la principale fête orthodoxe a surmonté tous les obstacles et, aussi superficiel que ce soit, s’est immiscée dans la vie de l’espace soviétique.
Bien sûr, à cette époque, nous étions petits et ne parvenions pas à en comprendre pleinement l'essence. Personne n’essayait de nous l'expliquer, mais cette atmosphère de non-dit ne faisait qu'ajouter un mystère et attisait notre curiosité.
Avec l'effondrement de l'URSS, la tradition consistant à célébrer Pâques a commencé à renaître rapidement. Je ne peux pas dire que tous ceux qui la suivent aujourd’hui le fassent consciemment, mais quoi qu’il en soit, à Moscou, cette fête est célébrée par de nombreuses personnes et le soir de Pâques, les églises de la ville sont remplies de paroissiens, même si certains ne s'y rendent qu’une fois par an.
Pour les gens pratiquants, tout commence beaucoup plus tôt - avec la Semaine sainte. Le jeûne, qui dure plus de 40 jours, atteint son apogée. Amour, purification spirituelle, sacrifice et lumière - c'est ainsi que je décrirais cette période du point de vue d'une personne qui s'est préparée consciemment à Pâques. Mais pour la plupart des Russes, le contenu interne de la fête reste en coulisses : l'attention se concentre sur les plats traditionnels préparés pour la table de fête. Dès le matin, nous pouvons voir une foule inhabituelle de gens devant les cathédrales - les gens sont pressés, non pas pour prendre la communion, mais pour bénir des gâteaux et des œufs de Pâques.
J’ai dû fêter Pâques et à l'étranger, au métochion de l’Église orthodoxe russe dans un pays du Moyen-Orient. Là-bas, à des milliers de kilomètres de la Patrie, Pâques était la principale raison pour la communauté orthodoxe des pays de l'ex-URSS de se réunir à la paroisse. Nous avons eu de la chance que vendredi et samedi dans ce pays soient déjà des jours de congé et que Pâques soit férié. Ainsi, chaque année, la communauté disposait de trois jours complets pour se consacrer aux rituels.
À la veille de la fête, des femmes - des épouses de diplomates aux simples paroissiennes - nettoyaient l'église et la décoraient. Les nouvelles se transmettaient de bouche à oreille, comme dans un grand village, tout était fait ensemble. La rupture du jeûne avait eu lieu dans l'église, pas à la maison, avec le clergé et toute la communauté. Ainsi, chaque paroissien préparait des plats - koulitchs, tartes, œufs peints, on achetait des plats locaux traditionnels de Pâques - et les emportait à la table commune. Vers 23 heures, nous arrivions à l'église, autour de laquelle poussaient de beaux palmiers. La prière commençait. Je n'ai jamais ressenti lors du service de Pâques à Moscou ce que nous avons ressenti en cet endroit. Ce sentiment d'unité - des étrangers (même si nous nous connaissions de visage) semblaient tout à coup très proches. Après une longue prière, tous se sont servis à la table commune, qui était simplement pleine à craquer de nourriture. Parmi les conversations avec le père et la communion avec d'autres croyants orthodoxes, la nuit passait en un clin d’œil.
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Alexandra, journaliste
Les traditions de Pâques, soigneusement préservées de génération en génération, diffèrent légèrement d’une famille à l’autre. Habituellement, les enfants ne sont pas obligés de jeûner et ne sont pas emmenés à l'église tous les jours ; ils constatent donc en observateurs bon nombre des préparatifs de Pâques. Et, néanmoins, un sentiment d'appartenance à ce grand jour est accessible même pour eux.
Je me souviens de la façon dont nos parents nous réveillaient tôt le matin du jeudi saint pour que nous puissions prendre un bain de fête. Vous n’êtes pas encore complètement réveillé, mais vous courez déjà pour vous baigner et vous ressentez ensuite un joyeux renouveau...
Ce n'est pas une tâche facile de faire cuire des friandises traditionnelles de Pâques - le koulitch, mais acheter un vrai koulitch dans une pâtisserie est presque impossible. La pâte est pétrie de nombreuses fois et souvent les hommes aident les femmes dans cette tâche. Bouche bée, vous regardez comment la grand-mère ou la mère met au four des casseroles, des tasses et d'autres moules avec les futurs gâteaux ... Dans la cuisine, il fait chaud et la préparation semble infinie. Ensuite, les enfants emportent le koulitch dans les écoles maternelles et primaires pour célébrer Pâques avec leurs camarades de classe. C'est souvent le chef-d'œuvre culinaire le plus disgracieux et légèrement brûlé qui est le plus délicieux…
Bénir les friandises de Pâques est une tradition que même ceux qui fréquentent rarement l’église tentent de perpétuer. Apporter à quelqu'un un gâteau béni est un cadeau venu du fond du cœur, un geste d'attention et d'intimité. Les parents, les amis et les voisins vous appellent : « Allons à l'église. On bénira aussi vos gâteaux de Pâques ! ». L'église, ces jours-là, est noire de monde. Tout le monde sourit et regarde avec impatience pendant que le prêtre asperge les plats de fête avec de l'eau bénite. Mais vous ne pouvez pas encore les goûter, les friandises attendent le moment où tout le monde revient du service nocturne.
Le matin, après que tout le monde a bien dormi, dans les petites villes et villages, des tables avec des rafraîchissements sont installées dans les rues. Enfants et adultes se disent : « Le Christ est ressuscité » pour entendre en retour le message joyeux : « En vérité il est ressuscité ! ». Tous échangent des bonbons et des œufs peints, communiquent avec les voisins. Il y a des jeux et des présages : quand on frappe son œuf contre celui d’un ami, l'œuf qui a résisté à l'épreuve a gagné.
Aujourd’hui, de nombreuses traditions de Pâques disparaissent de la vie des gens, et je pense que c’est lié au mode de vie moderne. Cependant, j'ai des amis qui essaient de les perpétuer dans leur famille. Je ne suis pas opposé à la célébration formelle de Pâques, au non-respect d'un jeûne strict, au fait de ne pas préparer des koulitchs de mes propres mains et de ne pas effectuer un travail intérieur fastidieux - c'est avant tout une tradition qui unit notre société grâce à un contact commun avec la beauté, la chaleur familiale, l'amour et la bonté.
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