« Mon père n’en parlait presque pas parce qu’il considérait qu’il avait fait son travail, rempli son devoir », se souvient la fille de Maurice Guido, pilote du Normandie-Niemen qui a rejoint ce glorieux régiment de chasse en 1944 pour prendre part à la 3ème campagne de Prusse orientale, où il a signé quatre victoires. Le souvenir qu’il partageait, c’est l’annonce de la victoire, que les pilotes français avaient apprise par Radio Londres avant que la défaite de l’Allemagne nazie ne soit officiellement proclamée par les autorités soviétiques. Alors que la foule en liesse fêtait la capitulation de l'Allemagne en grande pompe à Paris, les pilotes français célébraient cette grande date avec leurs frères d’armes soviétiques dans l’intimité et la modestie, mais le cœur plein de joie, relate Anne Marie-Guido.
La Russie est restée ancrée dans le cœur de ce pilote qui, comme le raconte sa fille, admirait profondément le courage du peuple soviétique et gardait même un sentiment de regret d’être parti : « Subir les désastres de la guerre, traverser des villes entières en ruines, mais garder en même temps l’espoir et le sourire, il trouvait cela extrêmement courageux ».
« Je crois que s’il n’avait pas été en Russie, mon père n’aurait pas eu la carrière qu’il a connue », explique cette Française arrivée dans la capitale russe pour participer aux manifestations organisées à l’occasion du 75e anniversaire de la signature de l’accord portant sur l’engagement d’aviateurs français en URSS.
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Un don aux alliés
L’un des événement pivots des célébrations tenues le 24 novembre à Moscou, la veille de la date de conclusion de cet accord qui a jeté les bases de la fraternité d’armes entre les deux peuples, a été l’inauguration de l’exposition dédiée au Normandie-Niemen au musée de la Victoire, sur le mont Poklonnaïa, et à la Maison de la Société historique russe. Les effets personnels de Maurice Guido - ses décorations, carnets individuels, documents, photos, boussole et d’autres objets offerts à la Russie par sa fille - occupent une place centrale dans la collection formée à partir de pièces de différents musées et archives du pays et qui sont au nombre de 320 au total.
S’exprimant sur les raisons qui ont motivé son geste, Anne-Marie Guido explique que c’est précisément la valeur qu’ont à ses yeux ces objets qui l’a encouragée à les offrir au pays sur le sol duquel son père a combattu et où ses camarades ont péri en luttant contre le nazisme.
C’est par l’intermédiaire de l’historien militaire Sergueï Dybov, membre du Mémorial Normandie-Niemen et auteur de deux ouvrages sur le glorieux régiment de chasse, que le contact a été établi avec la Société historique russe et la Société militaire et historique russe. Ainsi, le 22 juin 2016 - 75 ans jour pour jour après le début de la Grande Guerre patriotique - ce don a été réalisé. À l’issue de deux mois d’exposition, les objets fournis par Mme Guido intégreront la collection permanente du musée de la Victoire.
« C’est magnifique de voir que vous vous souvenez tant du Normandie-Niemen, que vous l’apprenez à vos enfants à l’école. En France c’est un petit peu oublié », fait part de ses impressions Anne-Marie Guido.
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Chronologie d’un régiment légendaire
Formé en décembre 1942 à Ivanovo (290km au nord-est de Moscou), l’escadron portant le nom de Normandie et comptant au début 58 volontaires français, dont 14 pilotes, intègre l’Armée rouge et s’engage sur le front en avril 1943. En juillet de cette même année il se voit élargi en régiment grâce au renfort de nombreux pilotes venus d'Afrique du Nord. En Russie, on accorde une importance primordiale au fait que ces pilotes qui ont effectué 5 240 missions et signé 273 victoires confirmées soient arrivés en URSS bien avant l’ouverture du Second front.
Quatre pilotes – Marcel Olivier Albert, Roland de La Poype, Jacques André et Marcel Lefevre – ont reçu le titre de Héros de l’Union soviétique, plus haut titre honorifique et degré suprême de distinction, dont le dernier à titre posthume.
Comme le rappelle Natalia Tatartchouk, docteur en histoire diplômée de la Sorbonne, c’est le 24 juin 1941, soit deux jours après l’invasion de l’URSS par les troupes hitlériennes, que Charles de Gaulle transmet à l’ambassadeur soviétique à Londres une proposition de coopération militaire. Après que l’URSS a reconnu le général de Gaulle comme leader de la France libre, et que l’échange de représentants officiels a eu lieu vers la fin de l’année 1941, l’idée d’envoyer en URSS deux divisions déployées en Syrie est née. Or, la mise en place de l’initiative soutenue par les Soviétiques se heurte alors à la position du Royaume-Uni.
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Le 8 novembre 1942, les troupes anglaises et américaines débarquent en Algérie et au Maroc, alors colonies françaises. Hitler réagit en ordonnant en France l'occupation de la zone libre, en violation des accords d'armistice du 22 juin 1940 avec le maréchal Pétain. Parallèlement, sur le front de l’Est, des combats sanglants dont l’issue n’était pas encore connue se déroulent sous Stalingrad. Et c’est à ce moment pénible pour les deux pays qu’il est définitivement décidé de former un escadron de pilotes français en URSS.
Flamme de l’amitié entre les deux peuples
Outre l’inauguration de l’exposition, la remise d’un buste de Marcel Albert au musée Normandie-Niemen de l’école 712 de Moscou, l’oblitération de timbres commémoratifs, et une table ronde étaient au programme des célébrations.
Les intervenants n’ont pas tari d’éloges à l’égard de l’exploit des aviateurs français venus épauler leurs frères d’armes soviétiques dans leur lutte contre la peste brune.
« Cet exemple incarne à mon sens une vérité incontestable selon laquelle tout comme la flamme de la résistance française ne s’éteindra pas, la flamme vive de l’amitié franco-russe ne s’éteindra pas non plus », a souligné Mme Tatartchouk.
De son côté Natalia Narotchnitskaïa, historienne et politologue, a indiqué que la capitulation de la France ne faisait qu’accroître l’exploit des membres de la Résistance et des pilotes du Normandie-Niemen qui se sont engagés dans la lutte. « Ils n’étaient pas citoyens du monde, mais de cette France tant aimée et magnifique. Mais ils étaient aussi des citoyens de l’humanité qui ont sacrifié leur vie au nom des idéaux communs », a-t-elle souligné.
D’autres intervenants ont pointé un certain parallélisme entre l’arrivée des pilotes français en URSS et l’envoi du Corps expéditionnaire russe en France pendant les années de la Grande Guerre. Natalia Malinovskaïa, fille du maréchal et ministre soviétique de la Défense Rodion Malinovski, a toutefois regretté que la nouvelle génération tende à oublier le passé commun et certaines pages de l’histoire.
Toutefois, au vu de la dévotion avec laquelle les élèves de l’école 712 de Moscou s’occupent du musée Normandie-Niemen, que leur établissement abrite depuis 1963, et l’ardeur avec laquelle l’élève de 9ème classe Maria Korobeïnikova a animé la visite guidée de l’exposition en intervenant devant les journalistes et les responsables, on ne peut qu’être rassuré - la flamme du souvenir est toujours bien vive.
« Cela suscite en moi un sentiment de fierté. Mon objectif est de transmettre ce souvenir au plus grand nombre de personnes possible », confie la jeune fille.