Normandie-Niemen: une amitié née sous le ciel de la guerre

 De gauche à droite : Roger Sauvage, Jacques André, Louis Delfino, Georges Lemare et Marcel Perrin en compagnie de pilotes russes, en janvier 1945.

De gauche à droite : Roger Sauvage, Jacques André, Louis Delfino, Georges Lemare et Marcel Perrin en compagnie de pilotes russes, en janvier 1945.

Sputnik
Seule unité de combat étrangère engagée en URSS durant la Seconde Guerre mondiale, le légendaire régiment Normandie-Niémen reste ancré dans la mémoire des Russes.

Le dernier combat

« Le 12 avril 1945, une journée ensoleillée. Notre régiment de chasse est basé à Bladiau, en Prusse-Orientale, au bord de la mer Baltique. Dès le petit matin, les mécaniciens ont préparé les avions et les pilotes sont de nouveau en mission. Georges Henry abat le cinquième avion ennemi au compte de son service, un Focke-Wulf 190 allemand.

S’en suit une brève pause. Puis les Allemands ouvrent le feu sur notre base depuis le cordon littoral. L’ingénieur émet l’ordre de mettre les moteurs en marche et de disperser les appareils.

Le pilonnage se poursuit et voilà que le commandement prévient la 1ère armée aérienne de la Garde soviétique. Quelques minutes plus tard, nous voyons apparaître dans le ciel un groupe d’Il-2. Les avions d’attaque se mettent à bombarder les positions nazies. Les tirs d’artillerie allemande cessent.

En ce 12 avril 1945, nous anticipions déjà une proche fin de la guerre, le jour de la victoire. Le pilonnage nazi a coûté la vie à notre camarade, au pilote de la France résistante Georges Henry. Il s’avérera plus tard que sa mort était la dernière perte parmi les aviateurs français luttant en URSS et que l’avion qu’il a abattu ce jour-là était le 273ème appareil ennemi éliminé par le régiment de chasse Normandie-Niémen ».

Témoin d’un exploit

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Crédit : Iouri Maksaïev, photo de 1947. Archives personnellesn
Une fois assuré que j’ai fini la lecture, Iouri Maksaïev, 89 ans, retire les feuilles de mes mains et les range soigneusement parmi des photos jaunâtres et son certificat de Chevalier de la Légion d’honneur. Un des derniers vétérans du régiment franco-soviétique, cet homme qui fut mécanicien moteur pendant la guerre ne fait pas son âge. Il se tient droit malgré le poids des décorations et des ordres divers ornant sa poitrine. L’ancien combattant incarne le goût et la courtoisie. En prévision du 70ème anniversaire de la Victoire, il est très sollicité : des rencontres, des visites d’écoles, un déplacement au Bourget en juin prochain…

Iouri Maksaïev parle à contrecœur de ces projets et de l’avenir dans son ensemble, mais dès que l’on revient à ses souvenirs de guerre, ses yeux s’allument et il se lance volontiers dans de longs récits, enchaînant une histoire après l’autre.

Il connaît par cœur toutes les dates clés de la Seconde Guerre mondiale, les détails de l’attaque hitlérienne contre la France, cite au mot près l’appel du général de Gaulle lancé depuis Londres, et prononce avec une ferveur particulière les noms des pilotes français venus lutter sur le sol soviétique : Lionel Menu, Louis Delfino, Pierre Pouyade…

« Je veux être pilote ! »

Le 22 juin 1941, le jour du déclenchement de l’opération Barbarossa, le Moscovite Iouri Maksaïev n’avait que 15 ans. Comme il n’avait pas l’âge de partir au front, on l’a envoyé travailler dans la récolte de bois. Parallèlement, le jeune homme étudie le dessin industriel. Ce n’est qu’en 1943 qu’il est appelé.

« J’étais de grande taille et en bonne santé, le commissaire m’a alors proposé de choisir n’importe quel type d’engagement. ‘Je veux être pilote et servir dans les troupes aériennes’, me suis-je exclamé. Il fait un geste affirmatif… et m’envoie dans l’école de spécialistes en aviation, formant des mécaniciens », sourit le vétéran.

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Né le 9 janvier 1926 à Moscou, Iouri Maksaïev a été appelé au front en 1943. Après la victoire sur les nazis, il est resté dans les rangs de l’armée et n’a été démobilisé qu’en 1951. Chevalier de la Légion d’honneur, il est décoré de la Médaille de la Victoire sur le Japon, de la Médaille de la Victoire sur l’Allemagne et de la Médaille pour la prise de Königsberg (Kaliningrad).
Au printemps 1944, le sergent Maksaïev est envoyé à Toula (195 km au sud de Moscou). « J’arrive à l’aérodrome et je vois des militaires en uniforme étranger – vestes et pantalons de couleur bleu marine. On nous explique alors que le régiment d’aviation Normandie y est déployé. L’arrivé de pilotes français n’a pas été révélée aux Soviétiques. Pouvez-vous imaginer ce que j’ai alors ressenti ? Réaliser que des Français étaient là pour lutter côte à côte avec nous contre les nazis ? », se souvient avec émotion celui qui fut leur compagnon.

Le langage des alliés

Malgré l’obstacle de la langue – seuls quelques Français parlaient le russe –, les relations qui se sont établies entre les mécaniciens et les pilotes étaient chaleureuses. « C’étaient des gens comme nous, mais plus optimistes. Ils savaient que l’on ne mangeait pas comme eux, et que nos conditions de travail étaient pénibles – en hiver on se réveillait régulièrement la nuit pour réchauffer les moteurs, sinon la graisse gelait – il nous faisaient alors de petits cadeaux, nous apportaient des cigarettes, des biscuits. Ils étaient venus avec leurs mécaniciens, mais ces derniers n’ont pas pu s’adapter au froid. D’ailleurs, nos appareils étaient différents. Ils ont été renvoyés, et c’est nous qui leurs avons succédé », explique le vétéran.

Plongeant dans ses souvenirs, Iouri Maksaïev évoque le retour de mission des avions. Si le pilote avait éliminé un appareil ennemi, il réalisait un tonneau avant l’atterrissage. « Dans le cas de deux appareils abattus, le pilote – on l’appelait, à la française, ‘mon commandant’ – effectuait un double tonneau et nous, au sol, on le saluait avec toute la fierté possible », souligne avec emphase l’ancien mécanicien.

Puis mon interlocuteur change de ton : il revit le jour de la disparition de Lionel Menu, pilote qu’il servait. Iouri Maksaïev se souvient des moindres détails du 29 janvier 1945 : du temps qu’il faisait, du nombre d’avions partis en mission et des longues minutes d’attente. Il n’a jamais revu ce pilote qui reste porté disparu jusqu’à aujourd’hui. Sur 96 Français engagés au combats en URSS, 42 ne sont pas revenus.

Le Jour de la victoire

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Robert Marchi et deux techniciens russes. Crédit : service de pressen
« En mai, nous étions déployés en Prusse-Orientale. Un soir, les Français sont venus nous annoncer la grande nouvelle : ‘Voïna konets ! Voïna konets !’ [La guerre est finie, ndlr]. On ne les a pas pris au sérieux. Le lendemain matin on a été réveillés par le bruit de salves d’artillerie, c’était la victoire », dit-il.

Les pilotes sont repartis en juin. Joseph Staline leur a offert leurs appareils et certains mécaniciens les ont accompagnés en France. « Je ne faisais pas partie de la délégation. On a fait nos adieux en URSS. Est-ce que j’éprouvais un sentiment de tristesse ? Non ! On était tellement heureux que la guerre soit finie que l’on ne pensait à rien d’autre ».

Ce n’est qu’en 2002, lors de son premier voyage en France, que Iouri Maksaïev reverra certains des pilotes qu’il avait servis. « Oui, bien sûr que l’on s’est reconnus. Il y avait Roland de la Poype et Georges Masurel. On s’est donné de grosses accolades et c’est là que l’on a sabré le champagne », se rappelle-t-il d’une voix tremblante et me tend des photos prises en France.

« Que dire en conclusion ? Je souhaite qu’il n’y ait plus de guerre, que les gens soient épargnés de ces horreurs », déclare celui qui en fut un proche témoin.

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