La révolte de Pougatchev, la plus terrible insurrection paysanne de l’histoire de la Russie

Histoire
BORIS EGOROV
La rébellion menée à la fin du troisième tiers du XVIIIe siècle par le Cosaque Emelian Pougatchev mit au jour de très nombreux problèmes sociaux. S’il tenta d’en effacer la mémoire, le pouvoir russe sut en tirer les conclusions qui s’imposaient.

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« Que Dieu ne nous fasse plus voir une révolte aussi insensée et aussi impitoyable ! », fait dire Alexandre Pouchkine à l’un des personnages de sa nouvelle La Fille du Capitaine qui raconte le soulèvement d’Emelian Pougatchev.

La Russie connut un certain nombre d’insurrections paysannes, mais aucune neut lampleur et ninstilla autant la peur dans lesprit de ses dirigeants que le soulèvement de Pougatchev.

Un tsar miraculé

Jusqu’à l’âge de trente ans, le Cosaque du Don Emelian Pougatchev servit fidèlement le pouvoir des tsars et sa Patrie. Il prit part aux guerres contre la Prusse et la Sublime Porte. En 1771, il déserta puis réapparut parmi les Cosaques du Jaïk, au sud de l’Oural.

Une idée folle germa alors dans son esprit aventureux : celle de se faire passer pour l’empereur Pierre III. Ce tsar était mort dans des conditions mystérieuses lors du coup d’État de 1762 à l’issue duquel sa veuve Catherine lui avait succédé.

Des rumeurs sur la disparition de Pierre III avaient rapidement couru dans la population. Certaines prétendaient même que le tsar était encore en vie, ce qui signifiait que Catherine II occupait le trône de Russie illégalement. Ce fut précisément ce sur quoi Emelian Pougatchev décida de jouer à un moment particulièrement opportun : les paysans ressentaient durement le renforcement du servage et les Cosaques du Jaïk, à qui la couronne avait retiré certaines de leurs franchises traditionnelles, venaient d’affronter l’armée.

D’une constitution robuste et d’un teint mat, Emelian Pougatchev ne rappelait en rien le souverain aux manières distinguées. Mais ce fut bien Pierre III que le simple peuple voulut voir en ce Cosaque. Les opprimés et les mécontents avaient besoin d’un meneur légitime sous le commandement duquel ils se battraient pour l’établissement de la justice.

Déchaînement sanglant

« Mes amis, vous aviez servi les tsars précédents jusqu’à votre dernière goutte de sang. Tout comme vous, vos ancêtres et vos pères ont servi leur patrie et m’ont servi, moi, le grand souverain, l’empereur Pierre Fiodorovitch. Tant que vous défendrez votre Patrie, les Cosaques et leurs enfants connaîtront la gloire ».Ce fut en ces termes qu’en septembre 1773 le « tsar miraculé » harangua ses sujets. 

Emelian Pougatchev distribua tant qu’il put libertés, privilèges et terres. Il déclara la guerre aux nobles qui oppressaient leurs paysans, fit miroiter l’abolition du servage et l’allègement des impôts. Ses promesses attirèrent à lui des milliers de partisans.

Dans les faits, la « lutte pour la justice » tourna rapidement à une terreur sanglante. Les insurgés pillaient les propriétés des nobles. Ils tuaient impitoyablement ceux qui restaient fidèles à l’impératrice Catherine II : nobles, officiers qui croisaient leur chemin.

Ils faisaient parfois preuve d’une cruauté inouïe. Par exemple, ils écorchèrent vif le replet lieutenant Elaguine, commandant de la forteresse de Tatichtchev et « enduisirent ses plaies de panne jusqu’à ce que mort s’ensuive ».

Le soulèvement de Pougatchev sema la terreur en Bachkirie, dans l’Oural et le bassin de la Volga pendant environ deux ans. Les insurgés prirent et pillèrent un grand nombre de petites villes et forteresses. Ils infligèrent plusieurs défaites à des détachements de l’armée russe. Pour le pouvoir, la situation était d’autant plus difficile que les unités de l’armée les plus aptes au combat étaient engagées dans la guerre contre l’empire Ottoman.

Emelian Pougatchev et ses troupes entrèrent dans Kazan, mais échouèrent à prendre les grandes villes d’Orenbourg et de Tsaritsyne (aujourd’hui, Volgograd). Si le nombre des insurgés ne cessaient d’augmenter, l’usurpateur ne parvint pas à transformer cette foule hétéroclite et bigarrée en une armée efficace.

En août 1774, Emelian Pougatchev fut défait près de Tsaritsyne. Le mois suivant, il fut livré par son entourage à l’armée russe.

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Oubli

Le « souverain » et des dizaines de ses fidèles les plus proches furent jugés à Moscou. Le 21 janvier 1775, il fut décapité puis démembré.

Il fallut encore plusieurs mois pour étouffer tous les foyers de résistance. Des milliers d’insurgés furent exécutés dans des conditions pas moins cruelles que celles dans lesquelles ils avaient eux-mêmes tué leurs prisonniers.

Catherine II ordonna de tout faire pour que ce soulèvement tombe dans les oubliettes de l’histoire. La rivière Jaïk reçut le nom d’Oural et les Cosaques du Jaïk devinrent les Cosaques de l’Oural. Zimoveïskaïa, le village natal d’Emelian Pougatchev, prit le nom de Potiomkinskaïa. La famille Pougatchev fut renommée Sytchov.

Le pouvoir tira toutefois les conclusions de ce soulèvement et fit quelques efforts pour améliorer les conditions de vie des paysans. Il mena une politique plus réfléchie et prudente à l’égard des Cosaques, des Bachkires, des Tatars et des Kalmyks, dont de nombreux représentants avaient rejoint Emelian Pougatchev.

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