Salavat Ioulaïev, ce rebelle devenu héros et emblème du Bachkortostan

F. Islakhov/Musée Salavat Ioulaïev; Legion Media
Il est probable qu'une seule partie de la Russie le connaisse – la République du Bachkortostan. Il y est un héros national, de nombreuses villes ont des rues portant son nom et les gens déposent traditionnellement des fleurs devant ses statues de bronze. Qui était-il?

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« Dieu nous garde de voir une révolte à la russe, absurde et sans merci ». Cette phrase, tirée du récit d'Alexandre Pouchkine La Fille du capitaine, est devenue un aphorisme. Elle fait référence, comme l'ensemble de l'œuvre, à l'insurrection paysanne de 1773-1775, la plus importante de l'histoire russe, menée par le cosaque du Don Emelian Pougatchev. Il a fallu deux ans à l'armée tsariste pour l'écraser. Néanmoins, si tous les écoliers russes connaissent Pougatchev depuis l'époque soviétique, le nom de son associé Salavat Ioulaïev n'est profondément ancré que dans l'esprit des personnes vivant dans la République du Bachkortostan, sur le versant occidental des monts de l’Oural du Sud. Comment cela s'est-il produit ?

Associé du principal rebelle russe

Pougatchev s’est fait passer pour le défunt tsar Pierre III et a déclenché une révolte de masse parmi les cosaques et les paysans de la région de l'Oural et de la Volga. Les habitants du Sud de la Sibérie – Bachkirs, Tatars, Tchouvaches et bien d'autres – ont également rejoint son armée. L'un de ses principaux compagnons d'armes dans ces lieux était Salavat Ioulaïev, qui dirigeait un détachement de Bachkirs. 

Salavat n'avait que 19 ans lorsque la rébellion a commencé. Il a rejoint la révolte avec son père Ioulaï Aznaline, qui était issu d'une famille bachkire noble et riche. Avant même la rébellion, Ioulaï avait participé à plusieurs opérations militaires de l'armée russe et avait été récompensé par le tsar en personne, qui lui avait offert des terres. Cependant, au fur et à mesure que les régions bachkires se développaient, les autorités ont accordé les parcelles appartenant à Ioulaï à des marchands pour la construction d’usines. N'ayant réussi à récupérer ses biens, Ioulaï et son fils ont donc rejoint Pougatchev, qui avait rassemblé une force de 3 000 paysans.

« Salavat le féroce », comme l'appelait Pouchkine dans son livre Histoire de la révolte de Pougatchev, s’est distingué dans les affrontements : il a mené plusieurs batailles victorieuses, capturé deux usines, participé au siège d'Orenbourg, et pris une forteresse, s’octroyant son trésor. Salavat sévissait surtout sur les anciennes terres de son père – il y a même brûlé les usines du tsar.

En 1775, l'armée tsariste a toutefois vaincu le détachement de Ioulaïev et celui-ci a été fait prisonnier. Avec son père, il a été condamné à des travaux forcés, ainsi qu'au fouet et au marquage au fer rouge. Il a passé les 25 dernières années de sa vie dans le port baltique de Rågervik (aujourd'hui la ville estonienne de Paldiski), et est mort en 1800 à l'âge de 46 ans.

Lire aussi : Cinq questions sur le soulèvement de Pougatchev, la plus grande rébellion de l’histoire russe

De rebelle à héros

Catherine II, qui régnait à l'époque, a tout fait pour reléguer dans l'oubli les noms des rebelles ; très peu de choses ont été écrites sur la révolte, et la censure était minutieuse.

« Dans les archives de la région d'Orenbourg, j'ai trouvé des dossiers entiers d’affaires où des personnes qui avaient simplement prononcé les noms d’Emelian Pougatchev et Salavat Ioulaïev ont été condamnées », déclare Miras Idelbaïev, écrivain bachkir et auteur d'un livre sur Ioulaïev.

Pourtant, certains, dans sa Bachkirie natale, se souvenaient de Salavat et le considéraient comme un héros et un vaillant guerrier. Malgré la crainte des punitions et des persécutions de la police tsariste, des chansons et des légendes ont commencé à être écrites à son sujet. Par exemple, l'une d'entre elles raconte que s’il y a tant de cristal dans les montagnes de Bachkirie, c’est parce que les gens pleuraient dans des villages entiers lorsque le héros a été conduit au bagne.

Ioulaïev est également connu en Bachkirie comme un poète improvisateur. Il vantait la beauté des montagnes environnantes, enseignait aux guerriers le courage et la bravoure. L'original écrit de ses poèmes n'a pas été conservé, mais ils ont été diffusés oralement parmi les Bachkirs. Ses vers n'ont été publiés qu'à la fin du XIXe siècle. Au même moment, son nom est sorti de l'oubli et une biographie, dans laquelle le rebelle était pour la première fois qualifié de héros, est parue.

Cadre issu du film

Néanmoins, c’est à l’époque soviétique que Salavat a acquis une véritable renommée – la propagande bolchévique glorifiait les personnes ayant combattu le tsarisme. En 1929, est paru le roman historique de Stepan Zlobine Salavat Ioulaïev, où est présenté le héros trahi par ses compagnons d’armes. En 1940, cette œuvre a été adaptée au cinéma.

Gardien du club de hockey

Au même moment, dans presque toutes les villes du Bachkortostan, des rues portant son nom sont apparues. Une ville entière a même reçu pour toponyme son prénom. En 1961, le club de hockey Salavat Ioulaïev a été fondé à Oufa, la capitale de la République de Bachkirie, et en 1967, y a été érigé un imposant monument – une statue équestre du héros muni d’un fouet et d’un sabre – dominant une colline surplombant la rivière.

Salavat de nos jours

Après la chute de l'Union soviétique, Ioulaïev n'a pas non plus été oublié, même si pour la majorité des Bachkirs d'aujourd'hui, il n'a plus une aura héroïque ou sacrée. Néanmoins, le monument soviétique est devenu un véritable emblème d'Oufa et un lieu d'attraction pour les touristes. Depuis 1993, il orne d’ailleurs l'emblème de la République du Bachkortostan.

Emblème du Bachkortostan

Selon Razif Abdoulline, journaliste bachkir et responsable des médias, « tout le monde connaît son histoire et son rôle dans la rébellion de Pougatchev, mais les Bachkirs modernes associent ce nom en premier lieu au club de hockey ».

Abdoulline estime qu'aujourd'hui Salavat Ioulaïev est une sorte de marque de la république, que le club de hockey défend.

Dans cet autre article, retrouvez, en photographies, le récit de voyage d’un Français à Oufa.

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