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« Ici, où les peuples sont libres, / Nous aussi, Allemands, sommes devenus libres. / Nos regards reconnaissants sont rivés / vers le Parti et Staline », c’est ainsi que se termine le poème de l’Allemand Erich Weinert Terre rouge allemande sur la Volga. Il est dédié à la République socialiste soviétique autonome (RSSA) des Allemands de la Volga. Le décret sur sa création, signé le 19 octobre 1918 par le leader de la révolution, Vladimir Lénine, se terminait par ces mots :
« Le Conseil des commissaires du peuple [équivalent soviétique de ministres] exprime sa confiance dans le fait que, sous réserve de l’application de ces dispositions, la lutte pour la libération sociale des ouvriers allemands et des pauvres allemands dans la région de la Volga ne créera pas de discorde nationale mais [...] servira à rapprocher les masses ouvrières allemandes et russes, dont l’unité est la garantie de leur victoire et de leur succès dans la révolution prolétarienne internationale ». Cependant, contrairement à leurs espoirs, l’autonomie allemande allait connaître un sort amer et tragique.
L’initiative de sa création revient aux Allemands de la Volga eux-mêmes, ces descendants d’Allemands s’étant installés en Russie à l’invitation de l’impératrice Catherine II, au XVIIIe siècle. Les premiers mouvements visant à promouvoir ces idées étaient déjà apparus après la révolution de février 1917. Elle a apporté certaines libertés à ce peuple, qui avait été durement touché par la germanophobie, qui s’était répandue dans l’Empire russe avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale.
« Alors que leurs pères et leurs fils étaient au front pour défendre la Patrie russe et donner leur vie pour elle, le gouvernement a chassé des centaines de milliers de femmes, d’enfants et de vieillards sans défense de leurs maisons et de leurs fermes pour les envoyer en exil, dans la pauvreté et [...] à la mort. C’est ce que l’on a appelé la "liquidation de la propriété foncière allemande". L’application de ces "lois de liquidation" a peut-être été le chapitre le plus sanglant de l’histoire sanglante de l’ancien régime », a rappelé en 1917 Johannes Schleuning, rédacteur en chef du journal Saratovskaïa nemetskaïa gazeta (Journal allemand de Saratov), à propos des événements survenus durant la guerre.
Une chance de concrétiser l’idée d’autonomie est apparue après la révolution d’octobre. Les bolcheviks, arrivés au pouvoir, ont en effet adopté la Déclaration des droits des peuples de Russie, qui donnait aux groupes ethniques du pays le droit à l’autodétermination, et ce, jusqu’à la formation d’États indépendants. Les nouveaux dirigeants espéraient ainsi obtenir le soutien des peuples non russes, qui constituaient à l’époque plus de la moitié de la population du pays. Saisissant cette opportunité, en avril 1918, les Allemands de la Volga ont envoyé une délégation à Moscou. « Je considère qu’il est de mon devoir de vous informer que le gouvernement peut se réjouir du réveil des masses ouvrières allemandes qui ont enfin décidé de prendre en main la tâche d’organiser leur école populaire et l’autonomie du peuple tout entier selon les principes soviétiques », a alors répondu Joseph Staline, alors commissaire du peuple aux nationalités, à la demande des Allemands de la Volga.
Commune allemande de la Volga en 1922
Domaine publicLa première région allemande de la Volga s’appelait Commune de travail. Les colonies allemandes sont devenues une nouvelle région à part entière, tandis que les autres territoires sont restés sous le contrôle des provinces – la nouvelle entité ressemblait donc à un patchwork d’enclaves sur les cartes. L’organisation de « l’autonomie selon les principes soviétiques » n’a pas été facile : au moment où le décret sur la création de la région a été publié, la guerre civile (1918-1923) faisait déjà rage en Russie. Or, le conflit se déroulait à proximité, et bien que la guerre elle-même l’ait à peine touchée, la commune a servi de ressource à l’Armée rouge, tant sur le plan matériel que sur le plan du personnel. Tout cela s’est accompagné de violence, et la résistance, qui a culminé sous la forme de soulèvements, a été brutalement réprimée.
Pokrovsk
Photographie d'archives« Si vous n’aviez pas été là et si vous ne l’aviez pas vu, vous n’auriez pas cru comment les Allemands de la Volga étaient traités. Tout leur a été pris : d’abord l’argent, puis les fruits, la viande, la farine, les chevaux, le bétail, les moutons, les porcs, les poulets et les derniers vêtements. Le gouvernement de Moscou a envoyé des troupes dans les villages allemands. Ils ont tout pris, tout ; ceux qui refusaient étaient abattus », a écrit l’enseignant Alexander Schick à propos de la situation dans les environs. Au début de l’année 1921, les villages allemands de la Volga ont été frappés par une famine qui, selon les estimations d’Arkadi Herman, le plus grand spécialiste russe de l’autonomie des Allemands de la Volga, a touché 97% de la population. Des épidémies de typhus et de choléra ont en outre aggravé la situation.
Le président du Conseil des commissaires du peuple de l'URSS A. Rykov lors de sa visite à Pokrovsk, la capitale de la République socialiste soviétique autonome des Allemands de la Volga. Pokrovsk en septembre 1924
Photographie d'archivesÀ la fin de la guerre civile, la région a « arrondi » son territoire, et en 1923, a reçu un nouveau statut, devenant République socialiste soviétique autonome (RSSA). La capitale était Pokrovsk (plus tard renommée Engels). La République était composée de cantons, et l’allemand était à égalité avec le russe et l’ukrainien en tant que langue officielle – malgré le fait que, pendant la Première Guerre mondiale, son enseignement avait été interdit. Désormais, il était à nouveau utilisé pour l’enseignement, la documentation et la presse. « Certaines sources officielles ont qualifié la République des Allemands de la Volga de "jardin fleuri de Staline". Elle a été la première en URSS à éradiquer l’analphabétisme, et dans les écoles, l’on accordait une grande attention à la langue, la littérature et la culture allemandes », a témoigné Maria Zeïvald, une habitante de la Volga.
Carte de la RSSA des Allemands de la Volga
Roman Plischke (CC BY-SA 3.0)Des cadres nationaux ont été promus et, en 1936, la république a reçu sa propre constitution, qui proclamait un « État socialiste des travailleurs et des paysans ». Malgré la subordination au Parti central et aux autorités de l’État, l’importance de l’autonomie nationale-territoriale était indéniable, a souligné l’historien Viktor Krieger. La présence constante de nouvelles de la république de la Volga dans les médias centraux de langue russe a envoyé un message clair à l’appareil du Parti et de l’État et à l’ensemble de la population soviétique : les Allemands sont égaux aux autres peuples.
À la ferme collective Novaïa Jizn (Nouvelle Vie) de la RSSA des Allemands de la Volga, 1932
Photographie d'archivesJusqu’au milieu des années 1930, l’autonomie allemande « a vécu avec l’ensemble de l’Union soviétique, connaissant tous ses succès et tous les problèmes de cette époque turbulente », note l’historien Alexeï Volynets.
Les mesures économiques et politiques prises par les autorités soviétiques ont eu un impact sur la population locale : d’abord la relance par l’introduction d’éléments de marché dans l’économie, puis l’industrialisation et la collectivisation avec la conversion des fermes individuelles en fermes collectives, souvent par la force. Les autorités de la région ont reçu des rapports tels que : « Village de Keller. La kolkhozienne Ekaterina Mildenberger "a résisté pour ne pas donner sa vache", tout en criant : "Que vous mouriez tous !" ».
Une vague de famine terrible en 1932-1933 a également frappé la région de la Volga. Les habitants ont souffert d’une pénurie de pain, de farine, de viande, d’aliments pour le bétail, de sucre et de savon. « C’est une lutte pour la vie. C’est la même chose avec le feu, nous ne pouvons acheter du bois de chauffage ou de la paille pour le chauffage avec quelque argent que ce soit », a déclaré l’un des habitants de la colonie de Dönhof à propos de la situation.
Un nouveau trouble est apparu avec la détérioration des relations entre l’Union soviétique et l’Allemagne. Les premières mesures répressives ont été prises dès 1934 : la réception de l’aide humanitaire de l’étranger a été arrêtée. Or, les Allemands de la Volga entretenaient des liens avec les diasporas allemandes depuis la guerre civile, et certains habitants avaient des parents émigrés.
Les répressions massives en URSS en 1937 et 1938, la « Grande Terreur », ont également affecté les Allemands soviétiques. Dans tout le pays, ils ont été victimes des opérations du NKVD – non seulement antiallemandes, mais également dirigées contre les « koulaks » et les paysans riches. Dans la RSSA, de nombreuses personnalités politiques régionales de premier plan ont été prises pour cible dans une affaire d’organisation fasciste nationaliste clandestine, que les historiens considèrent comme montée de toute pièce.
Décret du Présidium
Domaine publicLe 28 août 1941, deux mois après l’attaque de l’Allemagne nazie – le décret du Présidium du Soviet suprême de l’URSS « Sur la réinstallation des Allemands vivant dans les zones de la région de la Volga » a été publié : « Selon des informations fiables [...] il y a [...] des dizaines de milliers de saboteurs et d’espions parmi la population allemande [...] qui, par le signal donné depuis l’Allemagne, doivent procéder à des explosions dans les zones de [...] la région de la Volga. Personne, parmi les Allemands de la Volga, n’a informé les autorités soviétiques de l’existence d’un si grand nombre de saboteurs et d’espions parmi eux. Cela signifie que la population allemande [...] cache parmi elle les ennemis du peuple soviétique et du pouvoir soviétique ».
Des troupes ont alors été amenées dans la république et les premiers déportés ont dû être rassemblés littéralement en une nuit. Ils devaient être envoyés en Sibérie et au Kazakhstan.
« Avant le décret [...] dans le village de Gousaren, des personnes de différentes ethnies vivaient amicalement, travaillaient, étudiaient, organisaient des fêtes. Notre famille avait construit une nouvelle maison à cette époque, mais nous n’avons réussi à y vivre que trois mois. J’avais 16 ans à l’époque, a décrit Maria Zeïvald. Les Russes pleuraient de pitié pour nous. Nous n’avons pas eu le temps de récolter la moisson, le grain est resté dans les champs, les pastèques – tout est resté. Des chariots sont venus nous chercher, nous avons pris le strict nécessaire, ce que l’on avait sous la main. Je me souviens que j’ai mis des cuillères dans un panier, et ma mère m’a dit : "Pour quoi faire ? On va nous mettre sur un bateau et nous couler. Nous sommes les ennemis." ». Selon Arkadi Herman, 365 700 personnes ont été expulsées de la RSSA et la République elle-même a été liquidée pour toujours.
Allemands de la Volga réfugiés, 1944
Lindroos/RDB/ullstein bild/Getty ImagesDans cet autre article, nous vous expliquions pourquoi Staline a déporté de force des peuples au sein de l’URSS.
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