Comment Catherine II a failli envoyer des troupes russes pour réprimer la révolution américaine

Russia Beyond (John Trumbull; Dmitri Levitski/Musée-réserve d'État de Novgorod)
Vingt mille soldats russes auraient pu participer à la guerre d’indépendance américaine aux côtés de la Grande-Bretagne. Tout dépendait du bon vouloir d’une seule personne.

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Ceux qui ont regardé Sleepy Hollow de Tim Burton se souviennent du personnage le plus haut en couleurs de ce film culte : le sinistre cavalier sans tête interprété par Christopher Walken. Selon le scénario, c’était l’un des mercenaires originaires de Hesse que la Grande-Bretagne avait engagés en 1776 pour réprimer le soulèvement des colonies nord-américaines. Le landgraviat de Hesse-Cassel fournissait volontiers à cette époque ses troupes à divers dirigeants et États moyennant finance.

Fait curieux, un grenadier russe aurait pu figurer à la place de ce mercenaire allemand. En effet, avant de se tourner vers le dirigeant de Hesse, le roi d’Angleterre George III a demandé l’assistance militaire de l’impératrice Catherine II.

Pourquoi les Russes?

George III

À l’été 1775, les Britanniques se rendent compte qu’ils sont entraînés dans une guerre majeure en Amérique du Nord, nécessitant d’importantes ressources humaines. Problème, les « tuniques rouges » manquaient cruellement : la Grande-Bretagne, surnommée « maîtresse des mers », s’appuyait surtout sur sa flotte et disposait d’une armée de terre relativement modeste, dispersée dans des garnisons de l’Irlande à l’Afrique en passant par les îles des Caraïbes.

Londres a décidé de demander des troupes supplémentaires à la Russie pour un certain nombre de raisons. Moins d’un an plus tôt, la guerre victorieuse des Russes contre les Turcs de 1768-1774 s’était terminée et l’armée russe, qui avait montré sa supériorité, conservait encore un grand nombre d’hommes et un esprit combatif élevé.

Le début de la grande confrontation géostratégique anglo-russe, connue sous le nom de « grand jeu », était encore loin, et les puissances entretenaient des relations plutôt amicales. Les Britanniques ont même soutenu les Russes dans leur guerre contre l’Empire ottoman, et ils espéraient maintenant un geste en retour.

Catherine II

Enfin, George III savait avec quelle fébrilité Catherine II réagissait aux atteintes contre le pouvoir monarchique. L’impératrice venait de réprimer un soulèvement à grande échelle de cosaques et de paysans dirigé par Emelian Pougatchev et, comme l’espérait le roi, elle ne laisserait pas son « frère » seul face à un problème similaire.

Grands espoirs

En juin 1775, l’ambassadeur britannique en Russie Robert Gunning a commencé à tâter le terrain pour déterminer si les Britanniques pouvaient compter sur le soutien de la Russie afin de réprimer la rébellion, et a été très encouragé par la réponse du chef de la diplomatie russe, Nikita Panine. Ce dernier a assuré l’ambassadeur de l’entière disposition de l’impératrice « à donner à Sa Majesté toute l’assistance qu’il pourrait désirer, du mode ou de la manière qu’il jugera appropriés ».

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À l’automne, Gunning a obtenu des instructions plus détaillées de Londres. Dans sa lettre à l’ambassadeur en date du 1er septembre, Henry Howard, 12e comte de Suffolk, secrétaire d’État dans les départements du Nord, a demandé qu’il soit notifié à l’impératrice de Russie qu’il était souhaitable que « l’assistance demandée [comprenne] 20 000 fantassins disciplinés, complètement équipés (à l’exception de leurs pièces de campagne) et prêts à embarquer dès l’ouverture de la navigation en mer Baltique au printemps, à bord des transports qui seront envoyés, et de là naviguer avec la plus grande partie des troupes vers le Canada, pour être sous le commandement du commandant en chef britannique »

Robert Gunning

De plus, Gunning a reçu du roi une lettre adressée à Catherine II. Dans ce document, George III, exprimant sa gratitude envers l’impératrice, présentait l’affaire comme si c’était elle qui avait initié l’envoi de soldats russes sur un autre continent : « J’accepte votre offre d’assistance via une partie de vos troupes, pour ce qui pourrait être nécessaire, compte tenu de la récalcitrance de mes sujets dans mes colonies américaines ». 

Bien sûr, la participation des troupes russes n’était pas gratuite et le prix devait être discuté lors de la prochaine étape des négociations. Cependant, il est apparu que les promesses de l’impératrice russe avaient été mal comprises par les Britanniques.

Refus inattendu

Catherine II suivait de près la situation en Amérique du Nord. Si elle ne tolérait pas les atteintes au pouvoir royal, elle voyait une grande différence entre Pougatchev et les colons rebelles. Si le premier revendiquait ouvertement le trône, se faisant passer pour l’empereur Pierre III sauvé par miracle (Pierre III avait été renversé par Catherine lors du coup d’État de 1762 et était mystérieusement mort peu après), le second ne menaçait en rien ni le roi George lui-même, ni la dynastie régnante.

Bataille de Kagul

L’impératrice pressentait que la Grande-Bretagne deviendrait à l’avenir un sérieux rival géopolitique de la Russie, et que plus elle s’enlisait dans en Amérique du Nord et s’affaiblissait, mieux c’était pour son État. Elle ne souhaitait aucunement que Londres résolve ses problèmes coloniaux en versant le sang de soldats russes, et ce bien que la Grande-Bretagne fût prête à payer très cher pour une telle aide.

La grande question était également de savoir comment les principales puissances européennes, qui à cette époque étaient au courant des demandes des Britanniques, réagiraient à l’envoi d’un corps expéditionnaire. Enfin, une guerre très douloureuse contre les Turcs et la rébellion destructrice de Pougatchev avaient laissé des traces en Russie, et le pays avait besoin de calme.

« Je commence à peine à jouir de la paix, et Votre Majesté sait que mon empire a besoin de tranquillité, a répondu l’impératrice à George III. Vous savez aussi dans quel état une armée, bien que victorieuse, sort d’une guerre longue et âpre dans un climat meurtrier. Tout d’abord, je vous avoue que la période d’ici au printemps est trop courte, ne serait-ce que pour donner à mon armée du repos après les labeurs subis et veiller à la remettre en ordre. De plus, outre les inconvénients qui résulteraient de l’emploi d’un corps aussi considérable dans un autre hémisphère, où il serait sous un pouvoir à peu près inconnu de lui, et serait presque privé de toute communication avec son monarque, ma propre confiance dans une paix qui m’a coûté tant d’efforts m’interdit si peu de temps plus tard de me priver d’une partie importante de mes troupes… » 

Bataille de Bunker Hill

Comme solution alternative, les Britanniques se voyaient offrir la possibilité d’envoyer des troupes russes pour défendre Hanovre (propriété de la famille de George sur le continent), ce qui permettrait d’envoyer des Hanovriens en Amérique. Cependant, ce plan ne convenait pas à Londres. Après l’échec de la mission à Saint-Pétersbourg, Gunning, frustré, a démissionné et des diplomates britanniques se sont précipités en Hesse pour y chercher des soldats.

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Neutralité armée

Malgré cet incident, les Britanniques n’ont pas fait une croix sur les troupes russes. En 1777, le commandant en chef des forces britanniques en Amérique du Nord, Lord William Howe, irrité par le manque de renforts reçus d’Europe, écrit qu’un corps de dix mille soldats russes prêts au combat pourrait assurer à la Grande-Bretagne le succès dans la guerre. 

Londres a soumis plusieurs fois à Catherine II des demandes d’assistance militaire, mais à chaque fois elles étaient refusées sous divers prétextes. « Nous ne sommes pas peu heureux de constater […] que les sollicitations et les offres de la Cour de Grande-Bretagne à l’impératrice de Russie ont été rejetées avec dédain », écrivait le premier président américain George Washington à La Fayette en 1779. 

Washington traversant le Delaware

En 1780, la Russie a publié une déclaration de neutralité armée, qui permettait aux États non impliqués dans le conflit de commercer librement avec l’un des belligérants. Peu après, les Pays-Bas, la Suède, le Danemark, l’Autriche, la Prusse et le Portugal l’ont rejoint. La Grande-Bretagne a perçu cette mesure comme hostile.

Bien que les sympathies de Catherine II dans le conflit aillent du côté des colons, en tant que stratège prudente et pragmatique, elle n’était pas pressée de reconnaître l’indépendance des États-Unis. Les relations diplomatiques entre les deux États n’ont été établies qu’en 1809 sous le règne du petit-fils bien-aimé de l’impératrice, Alexandre Ier.

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