L’institut Smolny, le premier établissement d’enseignement pour femmes d’Europe

Legion Media
Les héritières des familles les plus célèbres de Saint-Pétersbourg vivaient ici dans une atmosphère spartiate. L’institut leur donnait non seulement une éducation brillante, mais forgeait chez ses pupilles un caractère inflexible.

Suivez Russia Beyond sur Telegram ! Pour recevoir nos articles directement sur votre appareil mobile, abonnez-vous gratuitement sur https://t.me/russiabeyond_fr

Catherine II, enthousiasmée par l’idée d’introduire l’absolutisme éclairé dans toutes les sphères de la société, n’a pas contourné la question de l’éducation des femmes. L’institut Smolny pour nobles jeunes filles, fondé par l’impératrice à la fin du XVIIIe siècle, était le premier établissement d’enseignement public pour filles en Europe.

Des étudiantes en 1909

La philosophie de l’institut était en totale contradiction avec la façon dont la plupart des aristocrates de l’époque voyaient l’avenir de leurs héritières. Smolny était appelé à « briser » les attitudes sociales obsolètes. Bien que les jeunes femmes fussent orientées vers le mariage (la plupart des diplômées trouvaient un bon parti), étudier à l’institut était censé former une femme d’une nouvelle ère, capable d’ennoblir l’environnement dans lequel elle se trouve et d’élever ses enfants dans le même esprit éclairé.

Vie monastique

Élèves de l'Institut Smolny lors d'un cours de danse, 1913

L’Institut Smolny, en tant qu’établissement d’enseignement pour femmes, a existé de 1764 à 1917, mais les changements dans la structure interne et les coutumes ont été insignifiants. À partir de 1765, les « filles de la classe moyenne » ont commencé à y être acceptées, c’est-à-dire des filles venues de familles non nobles (les serves étaient toutefois exclues). Les élèves étaient réparties en quatre tranches d’âge (les filles de 6 à 18 ans étaient admises dans l’institution), chacune étant censée avoir une robe d’une certaine couleur : les plus jeunes portaient des robes café, les filles de la deuxième tranche d’âge - bleues, celles de la troisième - grisâtre et les plus âgées - blanches.

Pour apprendre aux filles à avoir un pas léger et gracieux, les chaussures étaient lourdes et épaisses - après cela, les élèves obtenaient facilement une belle démarche. Aucun bijou n’était autorisé, les coiffures étaient également les mêmes pour chaque âge - l’apparence des étudiantes était ascétiquement modeste et soignée.

La nutrition était également ascétique, malgré le jeune âge des pupilles. Le matin, les élèves buvaient une tasse de thé et mangeaient une brioche avec du beurre et du fromage, les élèves mentionnant parfois la bouillie dans leurs mémoires. On déjeunait de la soupe et un chausson fourré (pirojok), et pour le dîner, elles recevaient de nouveau un petit pain avec du thé ou du lait. Pendant le jeûne obligatoire, la nourriture était encore plus avare.

Leçon de géographie

Alexandra Sokolova, élève de Smolny dans les années 1840, se souvient des repas à l’institut : « Ce jour-là, personne n’attendait le souverain (Nicolas Ier) à l’institut ; soudain, la nouvelle s’est rapidement répandue dans tout Smolny qu’il était arrivé et qu’il était passé par […] "l’entrée arrière" - et qu’il n’allait pas n’importe où, mais dans la cuisine ! – Cette  nouvelle en a plongé certaines dans la perplexité, d’autres - dans une frayeur extrême...

Plus tard, nous apprîmes que le souverain, s’étant approché du chaudron dans lequel la soupe de poisson, plus précisément, l’oukha, venait d’être bouillie, avait plongé une cuillère dans le chaudron, goûté le breuvage assez liquide et dit :

- Vous avez utilisé un poisson sacrément bon marché... Et quel est le second plat ? Eh bien… Même mes soldats sont mieux nourris ! »

Des étudiantes jouant au tennis, 1913

Une telle rigueur dans le traitement des élèves était avant tout due à des consignes pédagogiques (bien connues aujourd’hui dans les meilleures écoles privées d’Angleterre, par exemple). L’habitude de se contenter de peu durcissait l’esprit des filles de l’institut et formait un caractère actif et non sujet au découragement et à la paresse, même si elles devaient passer le reste de leur vie dans le luxe. Certains disent aussi que ce régime alimentaire ascétique était dû au fait que tout l’établissement était aux frais de l’État (les familles des filles ne payaient ni pour leurs vêtements ni pour leur nourriture).

Les proches étaient autorisés à apporter aux filles des colis composés d’argent et de bonbons. Il était d’usage de partager la nourriture avec des amies moins chanceuses. Et avec l’argent reçu, par le biais des gardes, il était possible d’acheter plus de pâtisseries et de pain (les trésors devaient être cachés en toute sécurité dans le dortoir, loin des regards des inspectrices).

Égalité, mais deux moitiés

À l'intérieur de l'Institut Smolny, 1889

Dans la moitié « bourgeoise » de Smolny (Alexandrovskaïa) vivaient et étudiaient des filles d’origine non noble : filles de fonctionnaires, de marchands et de banquiers.

Les résidents de la moitié noble (Nikolaïevskaïa) avaient certains avantages sur leurs voisines de la moitié Alexandrovskaïa. Deux fois par an, elles se promenaient dans des voitures de cour avec une escorte cérémonielle d’officiers, passaient les examens impériaux auxquels assistaient des représentants de la famille du tsar, et assistaient à des bals où elles dansaient avec des grands-ducs et des princes étrangers. À l’intérieur de l’institut, lors d’une rencontre avec une fille noble, les filles bourgeoises étaient les premières à faire la révérence, et seulement après cela, on leur répondait de la même manière.

Institut Smolny, 1913

Cependant, à d’autres égards, les conditions de vie des élèves des deux moitiés étaient rigoureusement identiques. Les filles étaient logées dans des chambres qui ressemblaient à des casernes. Une dizaine d’élèves vivaient dans un dortoir, dont la décoration modeste se limitait à un lit avec un matelas dur, une petite table de chevet et une chaise. En hiver, la vie était particulièrement difficile dans les dortoirs - la température dans la pièce pouvait descendre jusqu’à 10 degrés Celsius et les filles étaient obligées de dormir sous de fines couvertures et de se laver à l’eau froide tôt le matin, immédiatement après s’être levées. Beaucoup, surtout les nouvelles, par manque d’habitude, tombaient malades. Mais cela avait quelques avantages : il faisait chaud à l’infirmerie, elles pouvaient dormir et se nourrir de manière un peu plus satisfaisante, de sorte que les jeunes filles particulièrement entreprenantes feignaient même la maladie.

De qui les collégiennes tombaient-elles amoureuses ?

Les médecins et les enseignants étaient les seuls hommes que les filles voyaient régulièrement tout au long de leurs 12 années de formation. Arrivés à l’institut à l’âge de 6 ans, elles ne le quittaient pas avant l’obtention de leur diplôme, car aucunes vacances n’étaient prévues (au fil du temps, la durée du séjour à l’institut a été réduite plusieurs fois). Les enseignants étaient délibérément choisis parmi des hommes mariés, d’âge moyen et de préférence avec des déformations physiques afin de ne pas émouvoir les jeunes filles. Mais en vain : ces seuls hommes accessibles devenaient tout de même des objets d’adoration. Les filles de l’institut coupaient des morceaux de leurs manteaux pour les emporter avec elles, aspergeaient leurs chapeaux de leur parfum et faisaient bien d’autres bêtises de ce genre.

Cours de peinture, 1889

Il était également de coutume d’adorer des élèves plus âgées. Chaque étudiante junior choisissait ainsi une idole et montrait son affection d’une manière qui peut sembler plutôt étrange aujourd’hui. Pour prouver leur amour, les filles pouvaient manger un savon ou faire quelque chose d’encore plus stupide. Heureusement, le plus souvent, l’adoration se limitait à de petites faveurs et à des louanges. « "Adorer ", c’est essayer de voir l’objet adoré, qui était généralement des filles de la classe supérieure, et quand elle passe, de crier après elle : ange, beauté, incomparable, céleste, divine et adorable (en français dans le texte, ndlr) et écrire le nom adoré sur des livres et des cahiers avec des points d’exclamation et avec l’ajout des mêmes mots », se souvient Maria Ouglitchaninova, élève de Smolny dans les années 1840.

Portrait de groupe d'étudiantes et d'enseignants de la dernière promotion de l'Institut Smolny, 1918

Les filles ne voyaient leurs parents qu’en présence des surveillantes, et leur correspondance était lue. Smolny était un environnement absolument fermé, dont il était presque impossible de s’échapper. Cependant, les châtiments corporels étaient strictement interdits, de sorte que les filles coupables étaient publiquement humiliées pour leur inconduite : on épinglait un petit mot sur sa robe si l’élève en transmettait un en classe ; on enlevait leur tablier, les privait de déjeuner ou, pour les plus âgées, on leur interdisait de s’habiller et de se coiffer comme des adultes.

Dans cette autre publication, découvrez l’incroyable histoire d’Hélène Lazareff, fondatrice russe du célèbre magazine français Elle.

Chers lecteurs,

Notre site web et nos comptes sur les réseaux sociaux sont menacés de restriction ou d'interdiction, en raison des circonstances actuelles. Par conséquent, afin de rester informés de nos derniers contenus, il vous est possible de :

Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.

À ne pas manquer

Ce site utilise des cookies. Cliquez ici pour en savoir plus.

Accepter les cookies