Les souvenirs du dernier empereur de Chine en tant que prisonnier d’URSS

Histoire
AJAY KAMALAKARAN
Puyi, le dernier empereur de Chine, a passé cinq ans comme prisonnier de guerre en Union soviétique. Dans une autobiographie publiée dans les années 1960, il a décrit de manière très vivante sa vie à Tchita et Khabarovsk.

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Le 18 août 1945, Puyi, le dernier empereur de Chine, qui n'était plus que l'empereur de l'État fantoche japonais du Mandchoukouo, a renoncé à son trône et s’est préparé à fuir le nord-est de la Chine avec l'armée japonaise vaincue. Le film Le Dernier Empereur de Bernardo Bertolucci, récompensé par un Oscar, décrit le moment où les troupes soviétiques se sont emparées d'un aéroport de Mandchourie et ont empêché Puyi et son entourage de s'échapper vers la Corée. Ils ont alors été emmenés en Union soviétique pour y connaître un sort incertain.

Dans Le dernier Mandchou : Autobiographie de Henry Puyi, dernier empereur de Chine, celui-ci consacre un chapitre à son séjour en URSS en tant que prisonnier. Il existe très peu d'informations dans le domaine public russe sur la vie de Puyi dans le pays, ce qui fait de ce livre une source importante d'informations sur cette partie peu connue de l'histoire.

Selon l’ouvrage, juste après l'atterrissage de son avion en Sibérie, Puyi est monté dans une berline et a été conduit pendant des heures avant que la voiture ne s'arrête. Il a alors craint pour sa vie lorsque quelqu'un lui a dit en chinois courant qu'il pouvait sortir et uriner s'il le souhaitait. « Dans l'obscurité, j'ai pris peur, écrit-il. La voix m'a fait penser que des Chinois étaient apparus pour nous ramener en Chine, et que si c'était vrai, je serai sans aucun doute tué ». L'homme qui parlait chinois s'est avéré être un officier de l'armée soviétique d'origine chinoise. Non seulement la vie de Puyi n'était pas en danger, mais comme il le décrit dans son autobiographie, il a vécu à Tchita et Khabarovsk, deux villes proches de la frontière russo-chinoise, pendant les cinq années suivantes dans un confort relatif.

Sa première étape en Russie a été un sanatorium soviétique ou une station de repos près de la ville sibérienne de Tchita, célèbre pour ses sources minérales. « Nous avions trois repas russes par jour ainsi que le thé de l'après-midi, à la russe, a témoigné Puyi. Il y avait des préposés pour s'occuper de nous, ainsi que des médecins et des infirmières, qui vérifiaient constamment notre état de santé et prenaient soin de nous lorsque nous étions malades ». Les autorités soviétiques lui ont fourni des livres, des jeux de société et une radio. Il se promenait aussi régulièrement, appréciant sa vie à Tchita.

En 1945, on ne savait toujours pas qui des nationalistes fidèles à Tchang Kaï-chek ou des communistes allaient gagner la guerre civile en Chine. C'est la principale raison pour laquelle l'URSS n'était pas pressée de ramener l'ancien empereur dans son pays.

Puyi n'était pas non plus conscient de la situation géopolitique mondiale qui se développait à cette époque. « Peu de temps après notre arrivée, je me suis fait l'illusion que, puisque l'Union soviétique, la Grande-Bretagne et les États-Unis étaient alliés, je pourrais éventuellement déménager en Angleterre ou aux États-Unis et vivre la vie d'un exilé », a-t-il écrit. L'ancien empereur possédait effectivement suffisamment de bijoux et d'objets d'art pour vivre le reste de sa vie en Occident.

Il pensait que le meilleur moyen d'atteindre cet objectif de vie en Occident était de s'assurer qu'il pourrait initialement rester en Russie. L'ancien empereur a même écrit trois fois aux autorités soviétiques pour demander la permission de vivre dans le pays de façon permanente. Convaincu que les nationalistes et les communistes chinois voulaient le tuer, il a tenté en vain de convaincre l'URSS de le laisser rester pour de bon.

Puyi a ensuite été transféré dans la ville de Khabarovsk, dans l'Extrême-Orient russe. D'après ses propres descriptions, les conditions de vie n'étaient pas aussi bonnes qu'à Tchita, mais il menait néanmoins une existence privilégiée. Il semblait irrité que les autres prisonniers ne puissent plus l'appeler « Empereur » ou « Majesté » et s'en tenaient à l'appeler « Maître Pu ».

« Pendant mes cinq années de détention en Russie soviétique, je n'ai jamais pu me passer de mes prérogatives », relate-t-il. À Khabarovsk, il n'avait pas de préposés, cependant, des codétenus, dont des membres de sa famille, s'occupaient de lui. Ses proches, qui lui apportaient ses repas et lavaient ses vêtements, se référaient à lui en le désignant comme « le Supérieur ».

Il a écrit sur les désagréments qu'il a subis lorsque les autorités soviétiques ont déplacé certains de ses parents dans un autre centre. C’est alors le beau-frère de l'ancien empereur qui lui apportait de la nourriture et lavait ses vêtements.

Malgré son refus de faire les choses lui-même, Puyi a cultivé une passion pour le jardinage et a commencé à faire pousser des légumes sur un terrain qui lui avait été attribué. « Ma famille et moi avons cultivé des poivrons verts, des tomates, des aubergines, des haricots et d'autres légumes, et lorsque j'ai vu comment ces plantes vertes poussaient chaque jour, j'ai été très impressionné », s’est-il enthousiasmé dans ses mémoires. Cet amour du jardinage, il l'emportera par la suite avec lui en Chine. Après sa libération d'une prison chinoise, c'est en effet la profession qu'il choisira.

Pour Puyi et ses codétenus, les seules sources de nouvelles de la Chine étaient leurs interprètes et un journal en langue chinoise publié par l'armée soviétique à Port Arthur, Troud (Labeur). Si l'on en croit les descriptions que l'ancien empereur a faites de sa vie en URSS, les autorités n'ont pas exigé grand-chose de lui. Elles lui ont proposé des livres marxistes et léninistes soviétiques, mais il ne comprenait pas pourquoi elles voulaient qu'il lise ces ouvrages s'il n'était pas autorisé à rester en permanence dans le pays.

En 1946, les autorités soviétiques l’ont emmené à Tokyo pour témoigner devant le Tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient. « J'ai accusé les Japonais d'être des criminels de guerre d'une manière tout à fait directe et sans réserve, assure-t-il. Cependant, chaque fois que je parlais de cette période de l'histoire, je n'évoquais jamais ma propre culpabilité ».

Puyi a fini par faire don de certains de ses bijoux et trésors aux autorités soviétiques, affirmant qu'il souhaitait soutenir leur reconstruction économique d'après-guerre. « Puisque l'Union soviétique a été un facteur décisif dans ma vie, il était donc préférable d'être gentil avec les Russes et de chercher à gagner leurs faveurs », admet-il.

En août 1950, Puyi a finalement été renvoyé en Chine, temporairement séparé de sa famille et accompagné d'officiers russes. « Bien qu'ils aient plaisanté avec moi et m'aient donné de la bière et des friandises, j'avais toujours l'impression qu'ils m'envoyaient à la mort », a-t-il admis. Le dernier empereur de Chine vivra encore 17 ans, et sera même témoin du début de la Révolution culturelle chinoise.

Après avoir passé dix ans en prison, où il a été déclaré réformé, Puyi a travaillé dans les jardins botaniques de Pékin. Il est même parvenu à gagner les faveurs de Mao Zedong, qui l'a encouragé à rédiger son autobiographie.

Dans cet autre article, nous vous expliquions les similitudes de deux empires disparus, ceux des Romanov russes et des Qing chinois.

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