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L’une des récompenses soviétiques les plus prestigieuses, le prix pour la Paix, était décerné à des citoyens de n’importe quel pays du monde « indépendamment de leurs différences politiques, religieuses ou raciales pour des mérites distingués dans la lutte contre les bellicistes et pour le renforcement de la paix ». Initialement instaurée par Staline, la récompense avait, à ses débuts, porté son nom. Toutefois, suite à la dénonciation du stalinisme, elle a été rebaptisée en 1956 « prix Lénine pour la paix ».
Sélectionnés par un comité spécial, les lauréats se voyaient décerner une médaille, un diplôme et une récompense de 25 000 roubles (somme dont l’équivalent en devise américaine variait en fonction du taux de change, mais qui avait approché à certaines périodes les 25 000 dollars). Depuis l'institution du prix, il a été attribué à 14 Français. Outre des syndicalistes, dont Alain Le Léap, ou le résistant Pierre Pouyade, la liste des récipiendaires comprend le nom d’hommes de science et de lettres. En voici une selection.
Frédéric Joliot-Curie (1950)
Ce Français, dont le nom est connu aux quatre coins du monde, est à la tête des premiers récipiendaires de cette récompense. Nul besoin d’énumérer ses mérites scientifiques – le fait qu’il soit lauréat d’un prix Nobel de chimie en dit long. Le prix, dont il est question dans notre article, lui a été décerné pour l’appel de Stockholm, cette pétition lancée en 1950 et visant à interdire la bombe atomique. En effet, président du Conseil mondial de la paix à l’époque, Frédéric Joliot-Curie en était l’initiateur et premier signataire.
« Nous exigeons l'interdiction absolue de l'arme atomique, arme d'épouvante et d'extermination massive des populations. [...] Nous considérons que le gouvernement qui, le premier, utiliserait, contre n'importe quel pays, l'arme atomique, commettrait un crime contre l'humanité et serait à traiter comme criminel de guerre », dit notamment le texte.
« Fervent partisan de l’amitié entre les peuples », Joliot-Curie « conjugue en sa personnalité un grand scientifique et un éminent combattant pour la paix. Il est à juste titre placé premier dans la liste des lauréats des Prix Staline », écrivait à son sujetle Journal du Patriarcat de Moscou.
Eugénie Cotton
Cette même année, un ou plutôt une autre membre du Congrès et signataire de l’appel a reçu cette récompense soviétique. Il s’agit de la physicienne – élève de Marie Curie – compagnonne de route du Parti communiste français et dirigeante de l'Union des femmes françaises, Eugénie Cotton. En mai 1950, elle a scandé en public le Serment des femmes parisiennes. Comme l’écrivait à ce sujet l’Humanité dans son édition du 6 mars 1950, « Serment [...] des travailleuses, des femmes, des mères, des jeunes filles [...] qui ont juré de continuer et d’accentuer la lutte contre la guerre au Viet-Nam, pour le retour du corps expéditionnaire, d’agir résolument pour empêcher le débarquement et le transport du matériel de guerre américain ».
Un mois plus tard, les Soviétiques ont retenu sa candidature pour décoration. Outre ses mérites de résistante, a été mentionnée dans les publications de l’époque son œuvre pour la paix à titre d’initiatrice et présidente de la Fédération démocratique internationale des femmes.
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Yves Farge
Convictions de gauche et œuvre au nom de la libération semblent avoir figuré parmi les grandes vertus lors du choix des candidats à la prime. Il n’est donc point étonnant de retrouver sur la liste des lauréats Yves Farge. Journaliste, auteur de livres, résistant, homme politique proche des communistes, Farge a même été pendant près d’un an ministre du Ravitaillement – liste d’occupations qui impressionne davantage si l’on prend en considération qu’il a quitté ce monde à l’âge de 53 ans.
L’un des fondateurs et président du Mouvement de la Paix, il était, lui aussi, membre du Conseil mondial de la paix, et s’est rendu en 1952 en Corée et en Chine pour enquêter sur la prétendue guerre bactériologique américaine. La même année, l’URSS a décidé de le décorer.
En 1953, il se rend en URSS pour recevoir le 25 mars au Kremlin sa récompense. Durant son séjour, Staline décède et, lui-même, il disparaitra quelques jours plus tard, dans la nuit du 30 au 31 mars, suite à un accident de voiture en Géorgie. Plusieurs historiens ont avancé une thèse selon laquelle sa mort aurait été orchestrée par les autorités, Farge s’étant entretenu durant son séjour avec des médecins arrêtés dans le cas de l’affaire dite du « complot des blouses blanches ».
« Apparemment, Staline aurait ordonné de ne pas laisser ce trop curieux quitter le sol soviétique. De toute manière, Farge n’a pas tardé à disparaitre dans le Caucase dans des circonstances très suspectes », s’en souviendra l’académicien Andreï Sakharov.
Cependant, cela n'est resté qu'au rang d'hypothèse.
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Louis Aragon
Alain Le Léap, Pierre Cote – au cours des années qui ont suivi, des Français ont été régulièrement et fidèlement présents sur la liste des lauréats du prix qui, entretemps, sera rebaptisé à l’honneur de Lénine. Le profil était toujours le même. En 1957, vient le tour de Louis Aragon, connu pour ses écrits engagés en faveur du communisme et ses vers élogieux envers l’URSS, jeune pays où il s’est rendu à plusieurs reprises à partir de 1930.
Pour celui qui « à la façon de Raymond Lulle ou Saint Augustin » tire Lénine de sa « valise à La Ciotat Ustaritz ou à Saint-Pierre-des-Corps »*, l’URSS apparaissait comme un symbole d’un nouveau monde, ce qu’il s’empressait de partager avec ses compatriotes à travers ses écrits.
« Je salue ici
l'Internationale contre la Marseillaise
Cède le pas ô Marseillaise
à l'Internationale car voici
l'automne de tes jours voici
l'Octobre où sombrent tes derniers accents ».
Extrait de Réponse aux Jacobins
Il s’est vu attribuer la haute distinction soviétique en 1957. La nouvelle a été a rendue publique en novembre, alors que les autres lauréats ont dû attendre le 1er janvier - exception faite à l’occasion du 60e anniversaire de l’écrivain. Et bien que il ait adopté une attitude plus modérée (et des fois critique, surtout après Printemps de Prague) à l’encontre du pays des Soviets, cela n’empêchera pas Moscou de lui attribuer une autre distinction, l’Ordre de l'Amitié des peuples en 1977.
Jean Effel
Les caricatures de Jean Effel, de son vrai nom François Lejeune, étaient bien connues au-delà des frontières de l’Hexagone, et l’URSS n’y faisait pas exception. Dans le pays des Soviets, plusieurs titres de presse, dont le magazine satirique Krokodil ou le journal Pravda, ont publié ses dessins. En effet, la satire, visant les collaborationnistes ou fustigeant le plan Marshall, contenue dans les recueils politiques de cet homme proche du Parti communiste français ne pouvait que trouver un écho en Union soviétique.
« Mil neuf cent quarante-sept...
Il y a trois ans que nous sommes libérés des Allemands.
Mais pas encore des libérateurs.
Au contraire. Le débarquement continue », peut-on lire dans la préface de Toujours occupés**.
Il serait toutefois erroné d’affirmer qu’Effel n’était connu en URSS que grâce à cette attitude engagée. Le talent de cet homme, qui avant de devenir dessinateur avait aspiré à une carrière de dramaturge ou d’artiste peintre, n’a pas laissé les Soviétiques indifférents et plusieurs de ses albums ont été édités dans le pays. Qui plus est, sa Création du monde a inspiré un ballet homonyme du compositeur Andreï Petrov et la pièce Comédie divine d’Isidor Stok.
Jean Effel a reçu le Prix Lénine en 1968 et, dix ans plus tard, tout comme Louis Aragon, il s’est vu décorer de l’Ordre de l'Amitié des peuples.
Hervé Bazin
Entretemps, le prix Lénine devient biannuel et le tricolore apparaît de moins en moins souvent sur la liste des lauréats. En 1977, c’est Pierre Pouyade, ancien commandant du Normandie-Niemen, qui reçoit la distinction, puis, en 1980, Hervé Bazin, président de l’Académie Goncourt de 1973 à 1996.
Si cet homme de lettres était connu en URSS – ses œuvres, telles que Vipère au poing, Lève-toi et marche ou Au nom du fils, y ont bel et bien été publiées – c’est surtout son engagement au sein du Mouvement de la Paix qui était acclamé par Moscou. Lors du procès Rosenberg, couple américain qui sera exécuté pour avoir livré des secrets nucléaires à l’URSS, Bazin leur a exprimé son soutien depuis la France.
En commentant sa décoration par le prix Lénine, Bazin a humblement déclaré à l’agence TASS que c’était avant tout reconnaissance des services rendus par le Mouvement pour la paix dans son ensemble. Comme l’indiquera dans ses mémoires le journaliste et écrivain Lolli Zamoïski, le mot « paix » était particulièrement cher à Bazin :
« Il a lutté et luttera toujours contre l’idée affreuse qu’est la confrontation nucléaire. Il n’y a rien de plus suicidaire dans l’histoire de l’humanité que les guerres et les perspectives de l’extermination mutuelle par le biais des découvertes scientifiques censées servir l’homme ».
En 1987, le scientifique Jean-Marie Legay sera le dernier Français à recevoir le Prix Lénine. Au cours des années qui suivent, les rangs des récipiendaires se rétréciront davantage, puis l’Union soviétique cessera d’exister.
Bonus : Pablo Picasso
L’artiste franco-espagnol, dont la Colombe de la paix n’a nulle besoin de présentation, s’est vu décerner cette récompense en 1962. C’est l’écrivain et journaliste Ilya Ehrenbourg qui la lui a amenée à Mougins, en France. Apprenez-en plus sur les liens entre Pablo Picasso et la Russie, dans cet autre article.
* Vers tirés du poème Les mots qui ne sont pas d'amour
** Éditions Cercle d’Art (1955)
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