Vie et destin de la première femme astronaute 

Histoire
EKATERINA SINELCHTCHIKOVA
Valentina Terechkova, fille d'ouvriers soviétiques, est devenue une héroïne nationale lorsqu'elle s'est envolée seule dans l'espace. 19 ans se sont écoulés après son vol avant que l’URSS ne songe à y envoyer une autre femme.

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Une jeune fille solidement bâtie avec des cheveux peignés en arrière et réunis en un chignon serré, portant un chemisier modeste avec un col et une jupe sombre, attachée à la taille avec une large ceinture. Aux pieds, des sandales légères. Elle fait partie des 8 000 jeunes filles d'URSS qui souhaitent voler dans l'espace. Et c’est l'une des cinq qui ont réussi la sélection. Elle s'appelle Valentina Terechkova. Fille d'un conducteur de tracteur et d'une ouvrière d’une usine textile, elle a rejoint la première brigade de cosmonautes féminines.

« Nous ne nous sommes pas trompés sur cette personne », diront plus tard ses supérieurs, lorsque Valentina fera seule 48 fois le tour de la Terre et atterrira dans un lac de l'Altaï. Khrouchtchev s’est tenu sur le podium du mausolée de la place Rouge à côté d’elle et s’est moqué des États-Unis : si la bourgeoisie a toujours considéré les femmes comme le sexe faible, sous le socialisme, les femmes ont des chances égales. Il aura fallu 19 ans pour qu’une femme ne vole à nouveau dans l'espace en Union soviétique.

Recherchée dans toute l’URSS

Il existe plusieurs versions concernant la façon dont les Soviétiques ont décidé d'envoyer la première femme dans l'espace. Selon l'une d’elles, Sergueï Korolev, le chef du programme spatial soviétique, a formulé ce souhait - pour lui, c'était une étape logique après plusieurs vols réussis avec des cosmonautes hommes. Selon une autre, le cosmonaute Guerman Titov s'est rendu aux États-Unis après son vol sur Vostok 2 et a appris que les autorités américaines envisageaient sérieusement d'envoyer une femme dans l'espace.

D'une manière ou d'une autre, cette idée a été transmise au dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev, qui s’est engagé avec enthousiasme dans cette nouvelle étape de la course à l'espace.

La sélection était plus difficile qu'avec les hommes. Si des candidats masculins étaient sélectionnés parmi les pilotes militaires, il y avait beaucoup moins de femmes pilotes en Union soviétique. Il fut décidé de chercher parmi les parachutistes. Exigences de base : moins de 30 ans, taille d’au plus 170 cm, poids de 70 kg maximum.

30 femmes ont atteint la finale de la sélection, et seules cinq sont restées. Janna Erkina, Tatiana Kouznetsova, Valentina Ponomareva, Irina Soloviova et Valentina Terechkova, qui avait fréquenté l’aéroclub et avait 90 sauts à son actif.

La meilleure parmi les pires ?

Terechkova, 25 ans, a remporté un « ticket » pour l'espace - elle a été choisie comme pilote principale. Mais dans les coulisses de cette décision, on ignore qu’elle n'était pas la meilleure candidate. Au contraire, selon les résultats des tests médicaux et de la formation théorique, Terechkova pointait… à la dernière place (sa doublure, Solovieva, par exemple, avait environ 700 sauts derrière elle et était maître ès sports en parachutisme, contrairement à Terechkova).

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Néanmoins, elle semblait être la meilleure candidate à Nikita Khrouchtchev - Terechkova avait un « backgroud » approprié. Une fille simple issue d'une famille ouvrière pauvre et originaire d'un village biélorusse, qui, après sept ans d'école, est allée travailler dans une usine de pneus pour aider sa mère, puis, comme sa mère et sa sœur, dans une usine de textile ; son père était mort sur le front de la guerre soviéto-finlandaise (1939 - 1940) ; elle-même était secrétaire du Komsomol [organisation de la jeunesse communiste]. Un pedigree de rêve. Une vraie « fille du peuple ».

Le deuxième facteur déterminant a été décrit dans son journal par Nikolaï Kamanine, le responsable de la formation des premiers cosmonautes soviétiques : « Soloviova que Ponomareva pourraient être envoyées sur le premier vol. Je suis sûr qu’elles ne voleraient pas plus mal, voire mieux que Terechkova, mais après le vol, elles ne pourraient être utilisés que comme astronautes. [...} Terechkova peut et doit devenir plus que la première femme cosmonaute. Elle est intelligente, elle a de la volonté, elle fait une très bonne impression sur tout le monde et peut se produire avec succès sur n'importe quelle tribune prestigieuse. Il est nécessaire de faire de Terechkova une grande personnalité publique, elle représentera l'Union soviétique dans n'importe quel forum international avec honneur et brio ».

Terechkova a effectué son vol spatial le 16 juin 1963. Elle a dit à ses proches qu'elle partait pour des compétitions de parachutistes. Sa famille a appris qu'elle avait volé dans l'espace sous l'indicatif d'appel « La Mouette » aux informations à la radio. Les nouvelles étaient bonnes : une femme soviétique avait passé près de trois jours dans l'espace et se sentait bien. C'est ce que disaient les nouvelles officielles. En fait, ce n'était pas tout à fait le cas.

Risque de ne pas revenir

« Terechkova, selon la télémétrie et le contrôle télévisé, a enduré le vol de manière généralement satisfaisante. Les pourparlers avec les stations de communication au sol ont été lents. Elle limitait sévèrement ses mouvements. Elle était assise presque immobile. Elle a clairement montré des changements de nature végétative dans son état de santé », a déclaré dans les rapports le Dr Vladimir Iazdovski, l'un des pères fondateurs de la « médecine spatiale ». Elle ne remplissait pas le carnet de vol et n'a pas pu terminer les expériences prévues.

À un moment donné, Terechkova s'est même endormie à cause du surmenage à un moment inopportun, ce qui était strictement interdit. Elle n'a pas répondu aux demandes de la Terre. Seul Valery Bykovski, un autre cosmonaute soviétique qui s'est envolé dans l'espace la veille de Terechkova, a pu la réveiller (une connexion existait entre les astronautes, ils pouvaient se parler et se soutenir, mais seulement moralement ; techniquement, l'amarrage de deux vaisseaux n'était pas encore possible à ce moment-là.)

Cependant, les nausées, la léthargie et la somnolence ne furent pas l’épreuve le plus terrible. Valentina Terechkova est restée silencieuse sur l’incident suivant pendant 30 ans. Un programme de vol erroné avait été introduit dans le vaisseau spatial Vostok-6. Au moment où il était nécessaire de corriger l'orbite et d’atterrir, il s'est avéré que l'automatisation faisait le contraire : Vostok-6 est sorti de l'orbite, c'est-à-dire a envoyé le vaisseau dans l'espace lointain, loin de la Terre. Détectant cette erreur à temps, Terechkova a réussi à corriger manuellement l'orbite et à revenir sur Terre. Mais les aventures ne s'arrêtent pas là.

S'étant retrouvée sur Terre, en violation toutes les instructions, elle a, avant l'arrivée des sauveteurs, offert aux résidents locaux des tubes de nourriture spatiale destinés à la recherche, et a elle-même mangé des pommes de terre bouillies et du kvas. Korolev était furieux : « Il n'y aura pas de femme dans l'espace tant que je serai en vie », aurait-il promis.

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Plus de femmes

L'histoire des tubes, cependant, n'a pas joué un rôle significatif dans la décision de ne plus envoyer de femmes dans l'espace, et a été oubliée. Mais l'opinion selon laquelle le corps d'une femme est moins adapté à de telles charges a commencé à s’imposer. L'expérience d’envoi d’une femme dans l'espace n'a pas ravi les dirigeants du programme spatial soviétique (bien sûr, cela n'était pas reconnu officiellement). Des données télémétriques satisfaisantes mais loin d'être idéales ont remis en cause la faisabilité de telles missions.

« Nous préparions une autre femme pour le vol, mais Sergueï Korolev a décidé de ne pas risquer la vie des femmes, car l'une de celles qui faisaient partie du corps des cosmonautes avait déjà une famille, a déclaré Terechkova. Nous étions contre, a-t-elle dit. Nous avons écrit au Comité central que nous n'étions pas d'accord avec une telle décision ».

Cependant, cette décision n'a été révisée qu'en 1982. Sur les autres quatre femmes du corps des cosmonautes, aucune n’était vouée à aller en orbite. Valentina Terechkova reste la seule femme au monde à avoir effectué un vol spatial seule (par la suite, les femmes n'étaient envoyées que sur des vols conjoints). Elle resterait dans le corps des cosmonautes jusqu'en 1997, et en 1995 deviendrait la première femme générale de l'armée russe. Cependant, elle n’a plus volé dans l'espace. Au lieu de cela, elle s’est vu confier une autre mission.

L’invention d’une femme politique

« Lorsque la question de savoir ce qu’il fallait faire de Terechkova après le vol a été évoquée, j'ai fortement recommandé à Valentina de se préparer à une grande activité sociale et politique. [...] en essayant de la convaincre que, s'exprimant depuis les hautes tribunes de l'État, elle pourrait être d'une grande aide pour la cause de l'exploration spatiale dans notre pays », a rappelé Nikolaï Kamanine.

Mais Terechkova insistait sur le fait qu'elle voulait obtenir son diplôme de l’Académie des forces aériennes, où elle était entrée après son vol, et continuer à travailler au Centre de formation des cosmonautes en tant qu'instructeur de test. À cette époque, elle avait déjà épousé le cosmonaute Andrian Nikolaïev et avait une fille.

« Motivant une telle décision, elle a fait référence à ses maladies et soucis de santé, qui étaient devenus plus fréquents au cours des deux ou trois dernières années, au désir de participer personnellement à l'éducation d'Alionka (sa fille qui  avait une mauvaise santé, était souvent malade, et la famille n’avait pas de nounou), à la nécessité de renforcer la famille (les voyages fréquents à l'étranger et le travail à Moscou risquaient perturber l'ordre établi dans la vie quotidienne). Valia, les larmes aux yeux, m'a supplié de ne pas la laisser quitter le Centre, m'assurant qu'un nouveau travail pourrait la détruire », a écrit Kamanine.

Mais la volonté de l'État était plus forte… À partir 1966, une personnalité publique a été forgée autour de Terechkova. Elle a commencé à diriger et à rejoindre des dizaines d'organisations publiques - le Comité des femmes soviétiques, le Conseil mondial de la paix, la Fédération internationale des femmes démocratiques, etc. - jusqu'à son élection en tant que député du Soviet suprême de l'URSS et, par la suite, de député de la chambre basse du parlement de la Fédération de Russie (Douma).

La renommée et la gloire de Terechkova en ont fait une icône de style pour toutes les femmes soviétiques. « C'était une héroïne. C'était une femme belle, majestueuse et grande. J'aimais beaucoup ses costumes, ses vestes, ses chemisiers. Elle avait un beau corps. Elle était élégante et savait porter les choses », explique l'historienne de la mode Alla Chtchipakina.

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La garde-robe de Terechkova attirait effectivement l'attention : voyageant beaucoup à travers le monde avec divers comités, elle s'habillait d'une manière que les femmes soviétiques ne pouvaient pas se permettre. Ces dernières ont commencé à écrire en masse à Terechkova, lui demandant des conseils sur toutes les questions de la vie : de la façon d'avancer plus vite dans la file d'attente pour obtenir un appartement à la manière de sevrer son mari de l'alcool. Des réponses arrivaient, mais sous une forme bureaucratique du type « votre demande a été soumise au comité exécutif local ».

Terechkova ne donne pas d'interviews contenant des révélations et on sait peu de choses sur sa vie personnelle. Elle a divorcé de son premier mari en 1982. Elle n'a commenté qu'une seule fois cet événement : « Au travail - de l'or, à la maison - un despote. » Elle s'est mariée pour la deuxième fois avec un général de division du service médical Iouli Chapochnikov.

Depuis 2015, l'ancienne cosmonaute est membre du Groupe de députés chargés de la sauvegarde des valeurs chrétiennes et à la tête de la fondation caritative Mémoire des générations. Terechkova a soutenu des projets législatifs à grand retentissement, notamment le relèvement de l'âge de la retraite en 2018. En 2020, elle a proposé un amendement à la Constitution qui supprime la limite du nombre de mandats présidentiels. Cet amendement a ensuite été adopté.

Le 6 mars, Valentina Terechkova a eu 85 ans. Elle est toujours un membre actif de la Douma d'État.

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